jeudi 1er décembre 2022

Accueil > Les rubriques > Cerveau > Les secrets de l’esprit

Les secrets de l’esprit

Patrick Dekeyser

, Jean-Louis Poitevin et Patrick Dekeyser

Sans les mots que saurait-on, de l’existence ?

La partie de ping-pong que les mots jouent avec nous dans le rôle essentiel et insignifiant de sparring-partner, se révèle être une partie qui se déroule en nous contre les mots. L’objectif secret est celui d’une participation plus intense au mystère de l’existence. Mais sans les mots qu’en saurait-on, de l’existence ?
Et puis il y a l’autre, l’autre en moi, un autre qui me ressemble sans doute et qui est lui aussi constitué de mots, et comme moi constitué par les mots. Donc aussi étranger à moi que je le suis à moi puisqu’il est en moi comme ce qui me fait douter que j’existe lors même que je ne cherche qu’une chose : assurer à ce flux incessant qui me traverse et dont je ne parviens pas à comprendre comment il me constituerait, une consistance et une stabilité qui soit celle de remparts inébranlables ou de dieux invincibles, voire d’un sol solide sur lequel je puisse marcher sans craindre qu’il se dérobe sous mes pieds.
La pensée n’est pas une dimension une, mais le container translucide de fonctions à variabilités incessantes.
La partie de ping-pong se poursuit. L’esprit n’est pas descendu en moi, il est le scintillement des balles du match sans fin qui resplendissent dans la pâleur du soir.
Et soudain quelque chose déchire, mais en douceur, l’évidence de l’évidence. Les mots ne sont ni moi ni à moi, ils portent avec eux non seulement la rumeur du monde mais celle des siècles, celle de l’histoire, celle de tous ceux qui ne sont pas moi et que je ne connaîtrai jamais. Si autre il y a, il est le nom de l’inconnu en moi et hors de moi.
La théorie de l’esprit qui, en chacun, nous permet de croire que l’on s’éveille, nous fait entrevoir que parler et connaître ne sont que l’illusion hallucinée permettant de contourner l’angoisse qui nous meut et contre laquelle nous érigeons des remparts et des dieux.
Alors la connaissance sait qu’elle ne sait rien mais cela importe peu, car c’est croire qui importe et s’inventer un sol fait de l’accumulation de cadavres de mots, sur lequel marcher pour avancer encore, jusqu’à ce que la nuit emporte tout jusqu’au souvenir des mots.