dimanche 30 janvier 2022

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L’œil qui rêve

, Alain Brendel et Pascale Denis

Cherchant à échapper aux carcans du processus photographique, à prolonger l’acte au-delà du protocole de la prise de vue, transgressant les règles tant du point de vue du sujet que de la pratique, Alain Brendel utilise la photographie pour générer des univers qui paraissent s’éloigner du réel.

Créant un espace où le corps photographié comme le matériau qui le construit, acquièrent une forte valeur émotionnelle, il souhaite avant tout participer activement à la réflexion sur l’humain et relever le défi de la pertinence en faisant de son œuvre un point de départ, une tentative énergique d’offrir un moyen direct d’échapper au réel tel qu’il semble s’imposer.

Alain Brendel ouvre grâce à ses photographies un théâtre où rien ne semble interdit, où tout semble susceptible de survenir. À partir d’un même canevas, d’une même palette de personnes et de formes, sont organisés des univers sans cesse recomposés sans que jamais ne s’épuisent les propositions, comme dans un kaléidoscope où apparaîtraient et disparaîtraient les êtres, les accessoires et les éléments d’un décor baroque, dans un vaste mouvement créateur tant de joie que de stupeur, de plaisir et d’ironie.

Témoin de sa perpétuelle recherche, fragments d’une vision sans cesse enrichie, les photographies de Alain Brendel sont à tout moment étoffées ; refusant d’évoquer une série close ou à clore, le photographe préfère l’idée d’une série à la taille d’une vie, où chaque image fait œuvre et où chaque œuvre est susceptible de survenir, au sein d’un infini où il est toujours envisageable de se replonger, sans jamais épuiser ni la matière, ni l’énergie nécessaire pour la faire palpiter.

Les images théâtrales qui résultent de ce travail, parfois bruyantes, d’autres fois plus silencieuses, toujours grandiloquentes, alternent entre frénésie et suspension du temps, oscillent entre cauchemar et volupté, donnant l’impression d’un instant où tout pourrait basculer dans un sens comme dans tous les autres – les corps, la vie, les sentiments. Elles restituent la vie et dans leur stratigraphie se retrouvent toutes les idées, toutes les pensées, tous les gestes qui la traversent. Les images les plus frénétiques, où le temps semble s’accélérer, évoquent le tourbillon incessant de l’existence, la liberté de l’être et des pensées auxquelles il s’abandonne ou qui le surprennent. Visions de l’enchevêtrement des corps et des choses, où le corps photographié se fait l’allégorie du corps vivant, mêlant les souvenirs, les phantasmes et les possibles, les photographies de Alain Brendel tendent à faire oublier le présent pour pénétrer un monde où le passé, le futur, le cauchemar et le rêve se réunissent dans un même élan.

Les postures constitutives de la pensée, la culture et les motifs qui la composent s’y retrouvent mêlés, appelant des souvenirs tant religieux que littéraires, picturaux, mythologiques et pornographiques et proposent une danse qui, agitant les éléments du réel, pouvant se faire carnavalesque ou obscène, séduit l’œil et l’esprit en les conduisant hors des habitudes quotidiennes.

La photographie de Alain Brendel est ainsi faite de constructions mentales qui libèrent l’imaginaire. L’énergie qui s’y déploie est symbolisée par des « formes âmes », des visages et des yeux qui naissent de la surimpression de taches photographiées le plus souvent dans les rues et qui constituent autant d’entités survolant l’ensemble, observant le théâtre excentrique qu’elles ont créé.
Pascale Denis