dimanche 3 octobre 2021

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L’entaille et l’aveu (inlassablement)

Note sur des dessins de Nicolas Busset

, Nicolas Busset

Chaque dessin de Nicolas Busset est une scène. Chacun de ses dessins est la représentation de quelque chose qui se joue dans un théâtre intime, et qui est, manifestement, éternellement cruel. Pourtant, jamais il ne vient à l’esprit de douter que ce qui est montré est une victoire.

Inlassablement

Inlassablement la question taraude. Inlassablement la réponse ne suffit pas. Inlassablement la danse se fait de plus en plus obsédante qui est censée conduire devant la porte ouvrant sur l’insondable abîme dans lequel, inlassablement, s’enfonce la chance.

C’est de ne pas renoncer qui rend possible l’œuvre. C’est de se mettre à l’ouvrage qui ressuscite chaque fois la force et transforme le fait de ne pas renoncer en une forme de chance. Même si elle est mutilée, même si elle est multipliée par la souffrance, la douleur et la joie, cette chance parvient à se connaître pour ce qu’elle est. Et cela ne se peut que par le travail inlassable de la main.

Nicolas Busset — Brotherhood

Chaque dessin de Nicolas Busset est une scène en ce que, toujours, ceux qui y paraissent nous regardent, nous qui nous trouvons dans ce dehors sans excuse. Chacun de ses dessins est une représentation de quelque chose qui se joue non pas sur une scène mais comme une scène. Le théâtre est intime même s’il est, manifestement, éternellement cruel. Pourtant, jamais il ne vient à l’esprit de douter que ce qui est montré est une victoire. Il s’agit d’une victoire obtenue dans un jeu dont nous ignorons les règles autant que celui ou ceux qui y participent. C’est cela la chance qui se cherche ici : savoir qu’on ne sait pas.

C’est cela la force de Nicolas Busset : savoir qu’il ne sait pas et tout miser sur « ça » ! Car pour parvenir à dessiner ce qu’il dessine il faut qu’il ne voie pas ce qu’il montre. Sinon, il faudrait qu’il meure, non pas dans son corps, mais à lui-même. Et ce qu’il veut c’est vivre, affirmer, danser, regarder, montrer, chanter. Mais tout cela dans le silence de l’aveu, celui que l’on tait à soi-même en le disant et que l’on jette à la face des autres en cachant la feuille sous son coude pour ne pas qu’on la voie.

Nicolas Busset — Call for help

Au-delà de la honte

On a fait de la honte un « sentiment » impossible, et en quelque sorte interdit, au motif qu’il serait repoussant de l’éprouver, à la fois parce qu’il est entaché de la marque de croyances supposées rétrogrades et signale une faiblesse originaire, celle qui a pris nom de péché, qu’il n’est plus de mode d’accepter. L’homme est devenu si grand que l’univers se plie à ses désirs. De quoi devrait-il avoir honte ? Mais qui croit à cette fable ?

Nicolas Busset, lui, sait qu’elle est un leurre. Si, d’une certaine manière il est hanté par une forme essentielle de honte, c’est parce qu’il a su accepter de ne pas savoir sans renoncer pourtant à chercher à atteindre l’instant multiplié d’une révélation fragmentée. Et s’il a appris qu’il est « indécent » pour l’homme d’aujourd’hui de reconnaître sa petitesse, il ne peut s’empêcher d’éprouver, lui, qu’il est inhumain de ne pas reconnaître combien l’on est hanté par tout ce qui nous échappe, nous dépasse et nous emporte au-delà de nos peurs. Ainsi, on le comprend ici, faire face à la honte, c’est accepter d’affronter les fantômes qui nous hantent et entreprendre de surmonter ses angoisses et ses peurs. Non pour les vaincre, mais pour découvrir ce qu’elles nous racontent.

Et ce qu’elles nous racontent n’est pas un « dépassement » de la honte, non un enlisement dans une jouissance malade qui porterait à se complaire en elle. Au contraire, dans la féérie de couleurs qui littéralement anime ces dessins, face à ces corps nus, offerts souvent, à ces fantasmagories oniriques parlant moins la langue de l’inconscient que celle de rêves qu’on n’achète pas, mais qui nous collent si bien à la peau qu’on finit par les aimer, peut-être, nous comprenons ce qui advient lorsque, malgré tout, malgré soi, on parvient à rendre compte de l’impensable.

Nicolas Busset — Fasciste perfection

L’entaille et le possible

S’il y a ce que montrent les dessins de Nicolas Busset., une fantasmagorie puissante d’états physiques désirants et d’états psychiques écartelés, il y a, comme un secret dévoilé qu’ils abritent et exposent à la fois, une mise en scène de l’endroit d’où ils « sortent ». Il faudrait dire d’où ils naissent, tant il semble que ce qu’ils mettent en scène, souvent, est une sorte d’accouchement, ou si l’on préfère de libération d’images.

La féérie de ces dessins ne raconte pas, elle désigne. La nature y est violente. Les objets semblent faits pour être dévorés. Les corps jouent à prendre des postures qui miment le désir d’être vu et s’exhibent dans l’indifférence voulue aux regards qui les observeront.

Partout, cependant il y a des liens, des connexions, des traits qui signalent moins des projections mentales que des continuités sensibles entre des niveaux d’existence qui nous semblent devoir être distingués. Les symboles déjouent la farce de l’existence, ou rejouent la fable éternelle du péché. Les sexes se préparent une danse qui semble-t-il va advenir sous peu.

Nicolas Busset — Where is home

Mais il y a y un « endroit » du corps, à la fois variable et toujours identique à lui-même et qui est comme la synthèse du signe du symbole et de l’aveu de la chair, endroit à partir duquel il semble que s’engendrent les dessins, les images, les rêves donc et les corps eux-mêmes. Il s’agit d’une sorte d’entaille qu’un simple trait fait exister. Elle est partout, car c’est le corps comme entité cosmique et comique qui en est la véritable source. D’elle, naît le visible, la farce du monde qui est aussi sa réalité. Il suffit de porter son regard sur le dessin intitulé Where is home pour appréhender ce qui est en jeu dans ces dessins. La main d’un Pinocchio grimé en gay harnaché pour des réjouissances SM, sa seule main valide, l’autre ayant disparu avec le bras arraché semble à la fois, si l’on regarde l’expression d’étonnement du personnage marionnette et humain à la fois, plonge dans le ventre d’un corps féminin, absent des dessins hors celui-ci, et en est en même temps expulsée.

Est-ce cela naître ? Est-ce cela vivre ? L’image, car c’est l’image, le dessin qui naît de cet engendrement fictionnel d’une entaille qui n’est qu’un trait, nous rapproche d’une révélation et nous protège de sa violence.

Nicolas Busset — Réminiscence

Il n’y pas de réponse à ces questions autrement qu’à participer à la mascarade, indéfiniment. Pas en faisant semblant d’en ignorer l’indécence et en esquivant l’émotion indépassable de la « honte ». En la regardant autant que possible dans les yeux. Et c’est cela que nous contraignent à faire ces personnages qui hantent chaque dessin de Nicolas Busset accepter pour notre plus terrifiant bonheur d’être engendrés par des images plus puissantes encore que les êtres qui les dessinent. Bonheur ? Parce que, là, dans l’image, tout est « réellement » possible. Et le possible n’est pas l’antichambre du réel, mais bien ce qui l’enveloppant lui permet d’exister.

Dessinateur puissant, Nicolas Busset, au-delà de la féérie des couleurs et des traits, en se situant au cœur même du possible nous révèle, à sa manière, que nos rêves sont bien notre seule patrie.

Nicolas Busset — Tant de col re
Nicolas Busset — This is not real life
Nicolas Busset — A church for butterflies
Nicolas Busset — Vanit

Self defense
Exposition de Nicolas Busset
Du 7au 16 septembre 2021 du mardi au dimanche de 13 heures à 19 heures
20 rue des Gravilliers — 75003
www.galerie-hors-champs.com
contact@galerie-hors-champs.com
Instagram : https://www.instagram.com/galerie_hors_champs/
FaceBook : https://www.facebook.com/GalerieHorsChamps/

Frontispice : Nicolas Busset — Lonely red haired boy