lundi 1er mars 2021

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Jeter tout, le non-vu du corps

, Elizabeth Prouvost

« On touche le ciel quand on pose la main sur un corps humain ».
(Pierre Bettencourt, Fables fraîches pour lire à jeun.)

Quand j’étais enfant, chaque soir, pour oublier le temps, je courrais nue sur les plages de mes rêves, et puis, je m’allongeais sur le dos jambes écartées, ouverte.

La mer entrait en moi, me noyait de tendresse et je gueulais à tue-tête.

Le sommeil venait enfin dans mes pleurs d’enfant.

La mer m’a toujours été fusionnelle, et comme elle, mon corps qui se dit, qui se hurle, qui se crie, comme des tempêtes.

Je vais le saisir à travers le corps de mes modèles, dans le même ressac.

Dans mon enfance, le corps réel est un problème, un sujet tabou, alors, j’ai voulu découvrir son secret. Je me suis mise à l’espionner comme on espionne avec une caméra cachée, je l’ai recréé surtout sans à priori , sans pré-méditation.

Quand je photographie le corps, j’ai l’impression de commencer seulement à le voir, c’est la photographie qui me sert d’yeux.

Des corps pris dans la force d’un éclair au ralenti, une sorte de chaos inéluctable et jouissif, une langueur profonde et évidente.

Chaque séance de photos commence par un cercle vide suspendu dans l’espace, un cercle à remplir où tout est possible, et surtout, ne jamais chercher à résoudre les énigmes.
Ma vision est faite d’assemblages décomposés par le mouvement et recomposés dans le mouvement.

Comment distinguer le sens et la représentation ?

Je fonctionne par association inconsciente, et en rhizome, des milliers de photos, une sorte d’imageothèque.

L’imprévu et la surprise sont de rigueur .

Un corps, jamais un ailleurs et dont la puissance recèle une infinité d’effets visuels et de sens possibles

Pour moi, le réel au sens courant du terme n’existe pas, il n’y a que des images.

Je cherche à saisir des images qui dépassent mon imaginaire. Je rentre dans une sorte de labyrinthe intérieur.

« Images-mouvements » pour raconter le corps.

Des univers plus exacts dans leur représentation du réel que la réalité même.

Une façon de travailler qui traduit l’idée de dépossession, de perte de la notion de l’espace-temps.

« Que dire de ces plans qui glissent, ces contours qui vibrent, ces corps comme taillés dans la brume, ces équilibres qu’un rien doit rompre, qui se rompent, et se reforment à mesure qu’on regarde ? Comment parler de ces couleurs qui respirent, qui halètent ? de cette stase grouillante ? de ce monde sans poids, sans force, sans ombre ? Ici tout bouge, nage, fuit, revient, se défait, se refait. Tout cesse, sans cesse. » S Beckett (dans son texte « Imagination morte imaginez », quand il parle de l’œuvre de son ami peintre Geer Van Velde)

À partir 2000, Je me confronte à ces œuvres littéraires qui me bouleversent, elles sont mes empreintes de pensée, une contagion d’énergie, elles cristallisent ma pensée.

J’ai besoin de leur accompagnement, de leur réflexion, elles ouvrent mes brèches, elles sont mon fil conducteur pour rejoindre une sorte d’universel ?

Poursuivre en images ce que j’ai saisi des mots écrits.

Je suis née dans une maison vide de livres, ceci explique peut-être cela.

Elizabeth Prouvost sur LCI from TK-21 on Vimeo.

Je vole
L’homme à la scie