vendredi 1er juillet 2022

Accueil > Les rubriques > Cerveau > Il faut travailler

Il faut travailler

Patrick Dekeyser

, Patrick Dekeyser

Il faut travailler mais aussi savoir dire… NON !

Et quand soudain retentit le verdict il apparaît à tous les participants au procès, jurés compris que quelque chose d’essentiel a été révélé à l’insu de tous même si cela a été fait à la vue de tous.
L’injonction contenue dans le « il faut travailler », injonction à laquelle nul n’est censé échapper, résonne en nous comme une telle évidence que personne ne songe à la regarder pour ce qu’elle est : un ordre répété par des voix multiples mais émis par une source unique.
La source unique a pour nom selon les époques, celui d’un dieu, de dieu ou d’un émetteur insituable agencé par des esprits que meut le désir du profit et le mépris de tout. Seulement, il est relayé par une infinité d’autres petits esprits, serveurs serviles assumant sans souffrir d’être les adjuvants de la soumission généralisée.
Et, de message reçu en message reçu, nous enfouissons sous des tonnes de déchets, le fait que ces messages ne disent qu’une seule chose, ne demandent qu’une seule chose, n’imposent qu’une seule chose : « tra-va-iller » !
Si l’injonction est bien un ordre pourquoi l’acceptons-nous si facilement ? Parce que, de père en fils de grand-père en arrière-grand-père, de mère en fille, qu’importe !, chacun répète avec son propre émetteur intérieur, le message venu du dehors. Et cette répétition fait si bien partie du cortex de chaque humain quelle est devenue le petit dieu personnel auquel chacun, sans même y penser, obéit. Une sorte de oui, certes faiblement émis mais qui amplifié à l’infini sonne comme une fanfare, nous convainc de sa légitimité.
Et il n’ a pas suffit qu’un « ne travaillez jamais » soit inscrit sur un mur du bas de la rue de Seine en janvier 1953, pour que la honte change de camp et que la voix s’estompe qui oblige chaque être à acquiescer avant même de penser.
Pourtant, il y a une autre source à laquelle la pensée peut s’abreuver, plus intérieure que celle qui se révèle n’être que le relais intériorisé des voix du dehors. Et cette source bruisse d’un mot qui fait frissonner, car il est de tous les mots, celui sans lequel aucun être singulier jamais n’aurait pu exister.
Il est, sinon la source, du moins le révélateur de ce qui au coeur de la pensée fait que la pensée existe avant même de se savoir pensée. Il es composé de trois lettres et est, à sa manière, un palindrome minuscule : NON.
On en profitera donc ici pour rendre un bref hommage aux écrivains de la négation, ceux qui sans doute en le sachant ou peut-être sans vraiment le savoir mettent en pratique, nous dit Vila-Matas, « une théorie selon laquelle le mot « non » est consubstantiel au paysage poétique et mérite le respect en tant que seul mot pourvu de sens. »