dimanche 1er octobre 2023

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Lieux, Photographie, Fantôme

Des « Migrations pendulaires » aux « Voisins »

, Frédéric Taddeï Ange

Frédéric Taddeï Ange inscrit son art dans l’économie de moyens et la proximité d’un espace familier, en capturant avec un téléphone portable des images à partir desquelles il fabrique des compositions élaborées avec ce même outil. Il revient sur la genèse, l’évolution et le sens d’un travail aux multiples ramifications, « les Voisins ».

«  Ma manière de photographier n’est jamais qu’une tentative de retournement de mon être social et de ma destinée, une projection, une défense psychique ou tout autre procédé qui relève de ma subjectivité et qui ne prétend à rien d’autre que de s’exercer dans l’infini possible du territoire qui m’est le plus familier et qui s’impose à moi comme un horizon.

L’idée que la source d’un projet photographique se trouverait dans l’espace immédiat de l’auteur ou bien encore dans la temporalité de ses déplacements réguliers m’est venue à partir de 2018.

Je décidai à cette époque de mettre à profit mes déplacements en transports en commun en photographiant les paysages urbains que je traversais quotidiennement en banlieue sud de Paris. J’entamai ainsi une série que j’appellerai plus tard les Migrations pendulaires. Le paysage urbain défilait sous mes yeux sans que je n’aie rien d’autre à faire que de déclencher, je jouais sur la vitesse de déplacement en mettant à profit la fonction rafale de mon appareil photo numérique. Les conditions de répétition du « voyage » participaient aussi du résultat, avec la possibilité de photographier un site plusieurs fois dans des conditions de lumières différentes. J’obtenai ainsi des images assez « rêveuses » du fait des superpositions et des effets résultant du mouvement.

Frédéric Taddeï Ange, Longumeau, 2019, série les Migrations pendulaires

Selon les écoles, réalistes ou pas, on pouvait s’offusquer du fait que ces images ne rendaient pas compte de la situation de contrainte économique — pourquoi ne pas photographier les voyageurs ? — ou au contraire apprécier que ces vues restituent une certaine poésie propre au paysage. Quoi qu’il en soit, je choisis à ce moment-là une esthétique qui me soulageait de ma condition, je passai d’un statut de personne qui doit faire la navette entre son domicile et son lieu de travail à celui d’un voyageur pouvant accéder à une forme de contemplation.

Frédéric Taddeï Ange, Suite sans fin, 2019, série les Migrations pendulaires

Fort de cette expérience, j’ai considéré par la suite que la contrainte d’évoluer dans un espace familier était une chance et m’évitait de ruminer sur la frustration possible de ne pas être dans tel ou tel endroit « extraordinaire », voire dans une situation exotique politiquement parlant.

Dès mon emménagement à Ablon-sur-Seine en 2011, je m’étais intéressé à différents espaces, rivières et plans d’eau, jardins partagés, parcs paysagers, plus tardivement les bords de l’Orge. Mais c’est en 2021, dix ans plus tard, que je décidai de mettre de côté mon boîtier numérique pour utiliser un smartphone Androïd, afin de me donner la possibilité d’être disponible en permanence pour répondre à des stimulations visuelles — j’avais déjà fait expérimenté la photophonie avec un smartphone première génération dès 2008.

Frédéric Taddeï Ange, Copropriété, de la série l’Orge 2023

Il y a deux ans, j’ai également commencé à utiliser une application embarquée dans mon téléphone afin de modifier de différentes manières mes images avec l’idée de pouvoir superposer des calques mais aussi de proposer des matières colorées et des filtres.

La série des Migrations pendulaires est ainsi la toute première partie d’un ensemble plus vaste que j’ai intitulé Les Voisins. Ce dernier regroupe plusieurs autres sous-séries, dont L’Orge, en cours depuis 2021, mais aussi Les Situations ou encore Féros.

Frédéric Taddeï Ange, Les acacias coupés, de la série l’Orge 2023

Je poursuis actuellement mon exploration de l’économie de moyens et de la « proximité » en utilisant des captures d’écrans à partir de documents vidéos (série Les Volleyeuses) mais aussi à partir de mon propre corps sur lequel je projette les vues des paysages saisies par ailleurs (série En Corps). Je donne beaucoup d’importance aux titres considérant qu’ils questionnent ce que l’on voit et dévoilent partiellement les intentions et pensées de l’auteur, voire son propre inconscient.

Frédéric Taddeï Ange, Les sirènes, de la série En Corps 2023.jpg

Avec l’utilisation de césures visuelles grâce à des calques, la répétition des formes et le « ré-emploi » sont au principe de ces compositions. Il y a aussi une grande part de hasard qui rattache cette pratique à celle de la peinture abstraite.

Frédéric Taddeï Ange, L’ascension ou Zao Wou Ki chez les cubistes, de la série l’Orge 2023

Enfin, sachant que les matières, les manipulations ou les effets plastiques pourraient n’être que l’illusion d’un écran ou à défaut d’une application embarquée, j’accorde de l’importance aux impressions et au choix des papiers : les tirages obtenus finalisent ainsi des intentions premières et souvent les révèlent, le doute s’efface dès lors dans la matérialité d’un support. »