LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°69


Éditorial

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter puisqu’il est seul ni aimer puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, ils ne peuvent pas être toujours les plus forts. Si donc une nation, contrainte par la force des armes, est soumise au pouvoir d’un seul comme la cité d’Athènes le fut à la domination des trente tyrans, il ne faut pas s’étonner qu’elle serve, mais bien le déplorer. Ou plutôt, ne s’en étonner ni ne s’en plaindre, mais supporter le malheur avec patience, et se réserver pour un avenir meilleur.
Étienne de La Boétie (Discours de la servitude volontaire, 1576)


TK-21 LaRevue
n’a pu résister aux voix charmantes et cruelles qui appelaient à célébrer le Numéro 69 par un déluge d’images célébrant toutes à leur manière les corps, leurs charmes, leur beauté, leurs devenirs inattendus et l’inévitable provocation à la débauche dont ils sont tous porteurs !

Avant de se jeter dans la gueule du loup, ce Numéro 69 se décline tel un numéro habituel avec des articles et des présentations d’œuvres, des analyses sur des sujets inattendus et des textes inédits, et la suite des entretiens ou des œuvres qui se déclinent en chapitres multiples.

Jean-Louis Poitevin poursuit et clôt sa réflexion sur Jona, premier ou dernier homme selon le point de vue que l’on adopte sur cette figure biblique, ce « petit » prophète qui est pourtant porteur d’un message terrible lorsqu’il se retire après avoir accompli sa mission : dire en quelque sorte « non » à son dieu, ou si l’on préfère le renvoyer à son inexistence ! On peut remarquer que le but de sa mission était de se rendre à Ninive, ville qui occupe aujourd’hui par intermittence les devants de la scène médiatique sous le nom de Mossoul.

Des Confessions d’une enfant du siècle, le long entretien que nous accordé Jeanne Susplugas, nous publions la deuxième partie, un moment où l’intime et les injonctions sociales trouvent en elle à s’accorder dans le devenir œuvre de la contradiction qu’ils instaurent en chacun de nous.

TK-21 LaRevue
trouve enfin une occasion de rendre un hommage appuyé à Charles Dreyfus, artiste au parcours singulier, à l’humour ravageur, ce qui manque le plus en ces temps de misère intellectuelle, et à l’œuvre littéraire et critique — il est spécialiste de Fluxus — tout à fait impressionnante. Il expose en ce moment au Carroi, Musée des Arts et d’Histoire de Chinon (vernissage le 20 mai).

Hyo-seok Jin est un jeune artiste coréen vivant en France depuis de nombreuses années et qui dans cette exposition personnelle à la galerie Paris Horizon révèle son approche singulière formellement juste et plastiquement séduisante de l’espace entendu à la frontière de l’image et du pli. Un texte de Jean-Louis Poitevin tente de rendre compte de la richesse de cette recherche puissante.

Jaewook Lee permet à TK-21 LaRevue d’être présente sur le front de l’art biotechnologique en présentant le travail de Suzanne Anker à O’NewWall E’Juheon, un lieu rare à Séoul attentif aux enjeux les plus actuels dans l’art aujourd’hui. « Anker works in a variety of mediums ranging from digital sculpture and installation to large-scale photography to plants grown by LED lights. One of her main works, Rainbow Loom (Korea), is a series of arrangements of organic and inorganic objects in Petri dishes. »

Nous poursuivons notre collaboration avec Frédéric Atlan qui, avec une très courte vidéo aux allures de document sociologique, nous renvoie, comme le montre Jean-Louis Poitevin, aux strates les plus profondes de notre « animalhumanité ».

Nous présentons la seconde partie de la nouvelle, Reine de la nuit, de Marc Petit, texte qui nous entraîne dans un moment de l’histoire de la photographie qui aura des conséquences artistiques importantes. Une étonnante innovation venait de bouleverser le petit monde de la photographie. « Grâce à l’appareil à développement automatique, il devenait possible à tout un chacun de tirer sur papier les clichés sans passer par les soins d’un laboratoire. Le maître de la Louvière vit aussitôt le parti qu’il pouvait tirer de cette merveilleuse invention. » On y retrouvera aussi l’ombre d’un grand peintre français dont on découvre aujourd’hui certaines images de jeunes filles qu’il a pu faire en amont et à côté de ses toiles.

Alain Coelho clôt ici son Voyage à Leipzig. « Nous emportons avec nous ces immensités d’un instant dans le dédale des trajets et des jours, reliques et déjà effigies anciennes. Pour moi, cette fois, ce fut Leipzig, et Bach, et Dresde, et leurs merveilleux détours que furent Iéna, ou Weimar ou Erfurt. Alors, comme un langage millénaire imprimé dans notre être, ce sont les « détails » du voyage qui ont eu parfois la plus vaste des formes » et ces détails sont la richesse la plus enivrante car ils ouvrent la porte à des évocations variées sur lesquelles plane l’ombre du grand maître de chapelle que fut J.S. Bach.

Ici s’ouvre toute grande, la gueule du loup ! Ici s’ouvre le dossier spécial du Numéro 69 !

Pour célébrer les fastes, les délires, les visions, les élans, les ardeurs, les songes radieux ou peuplés de monstres que le petit dieu Éros fait germer dans nos esprits, Jean-Louis Poitevin présente en un panorama erratique mais pensé, l’ensemble des œuvres de celles et ceux qui ont accepté de participer à cette méditation en acte autour des affres et des plaisirs dont les corps sont porteurs.

Ici s’ouvrent les portes des abysses qui conduisent des arcanes du corps aux zones sombres du désir, des exhibitions volontaires aux aveux involontaires de la chair, de la découverte de la richesse de la vie dans les plis à la quête des formes que prend le corps lorsqu’il est porté par l’amour. C’est à découvrir des œuvres souvent photographiques, mais aussi dessinées ou sculpturales, que nous vous invitons. Des textes accompagnent ces images, textes des photographes eux-mêmes, car ils savent aussi évoquer leurs œuvres, textes qui témoignent qu’il est possible de comprendre des images comme étant des ouvertures sur des parts inaccomplies de nous-même, textes qui sont d’auteurs connus et que les artistes ont choisis pour accompagner leurs œuvres.

Voici ici la liste de celles, car il y a une majorité de femmes, et ceux qui ont chaleureusement accepté notre proposition de participer à ce numéro spécial dans lequel Éros étend plus ses ailes vers les cieux du désir et du plaisir et des langueurs de la peau que vers les rives noires où loge Thanatos.

L’ordre est le fruit d’une savante réflexion qui aura privilégié des rapprochements finalement très « subjectifs » ! Ce sont les œuvres qui importent et elles sont là, offertes, alanguies, tendues, cachées ou exhibées dans la plus terrible lumière.

Avant de vous plonger dans le corps du sujet, nous vous proposons une chronique de Laetitia Bischoff, ainsi qu’une analyse de Clémentine Ader sur les sons dans les films pornographiques.

Les artistes présents sont : Dahmane,Jonathan Abbou,Hervé Rabot, Hannibal Volkoff, Martial Verdier, Sylvain Paris et Hélène Tyrtoff en tant que collectif Rrose Semoy, Denise Fréchet, Cindy, Isabelle Waternaux, François Sagnes, Alain Nahum, Elizabeth Prouvost, Isabelle Gressier, Hervé Bernard, Hélène Langlois, Maud Veith, Martine Heyner Catois et Milène Guermont.


Photo de couverture : Martial Verdier
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