jeudi 26 février 2015

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Please don’t Disappear

de l’image comme formule magique de l’abandon

, Jean-Louis Poitevin et Junghee Yoon

Jeune photographe coréenne, Junghee Yoon a présenté quelques-unes des œuvres que nous montrons ici au LUNAR Photo Festivals, Artspace Boan, qui s’est tenu à Séoul en octobre.

Pandore

Ces images ont toutes été prises dans la maison familiale acquise par ses grands-parents et où ses parents elle et sa sœur ont aussi vécu longtemps. Elles sont le fruit d’une sorte de visite nostalgique et en même temps le résultat d’un geste radical comme celui de Pandore qui ouvrit on le sait la boîte qui contenait tous les maux de l’humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie, la Passion, l’Orgueil ainsi que l’Espérance, dont Zeus entendait protéger les hommes. Nous sommes là dans les temps les plus anciens dont nous parle la mythologie. Comme on le sait, ces mythes constituent toujours des sources auxquelles notre psychisme vient s’abreuver parce qu’il y trouve des confirmations de choses qui aujourd’hui encore, continuent de vivre en chacun de nous. La curiosité qui se trouve à la source de ce geste irréversible, est le moteur de la découverte comme du désir. Il est la forme que prend en nous la puissance même d’exister.

C’est à cette source que Junghee Yoon a été s’abreuver, en elle qu’elle s’est plongée. Cette source était la maison familiale. Elle était à la fois remplie de souvenirs et débordant de secrets.

« My work deals with my family house. It was built in 1939. My grand parents moved in this house when they got married, sooner after my father was born so were my two sisters and I in couple decays later.
A small family house has been holding three consecutive generations for 75 years, and now our home became a famous ghost house of the village. However for me, our house is more likely a pandora’s box that never should be opened since my oldest sister left us. All the memories has been buried and sealed under the dust. It has been tranquil and stillness.
One day, I explored all the hidden places in the house and found out couple things that had never been moved since they landed such as plastic packing ropes, red tapes, old plastic bags that I used to play with. Then I started playing with them as if I said good bye to my house because we finally decided to leave the house. I began to photograph things that I never thought of giving up. »

L’abandon

L’appel que constitue le titre sous lequel est présenté cet ensemble d’images, Please don’t disappear, évoque à la fois la crainte et le désir. Ces mots constituent en fait la forme la plus simple et la plus radicale du cri dès lors que les mots sont venus prendre le relais des sons inarticulés. Et chaque cri s’il est porté par la peur et la stupeur en dit qu’une chose : ne m’abandonne pas. Qu’importe ce qui est la source de cet abandon possible, père, mère, maison ou amour, ce qui étreint chacun, c’est l’idée même qu’un tel abandon puisse avoir lieu, même si comme c’est parfois le cas lorsqu’on est amené à quitter un lieu aimé, un lieu de l’enfance, on est celui qui quitte. Le sentiment d’abandon ignore en quelque sorte où peut intervertir l’ordre des causes. On reportera ainsi sur la maison le sentiment de l’abandon, faisant en sorte, mentalement, que ce soit par elle que l’on finisse par se sentir abandonné lors même qu’on a dû la quitter.

L’image est liée de manière fondamentale à l’abandon. L’abandon est le territoire intime de l’homme, ce à partir de quoi il se constitue. L’abandon trouve dans le fait d’être abandonné ou d’avoir abandonné une personne ou un lieu, car la rétroaction d’un geste dont on peut être l’auteur est parfois telle que l’effet est au moins équivalent pour celui qui agit que pour celui qui subit, sa forme la plus communicable. Mais l’abandon est une dimension psychique avant d’être un fait. C’est une sorte de schème formé de coordonnées qui relève d’un monde dans lequel ni le temps ni l’espace n’existe véritablement. C’est précisément cette « sensation » qui envahit chaque homme lorsque remonte en lui la possibilité qu’il pourrait ne pas venir de la terre mais d’ailleurs. Chez lui ne serait pas ici, sur terre mais autre part. Dans un rêve peut-être. Et il serait ici, quoique ne pouvant se souvenir d’où il vient, comme pétri par l’abandon.

Il faut néanmoins pour que remonte ce sentiment absolu et impartageable, passer par des moments particuliers. Junghee Yoon en a fait l’expérience à travers un retour dans la maison familiale dans laquelle rien n’avait bougé. Mais plutôt que d’y voir se former des souvenirs personnels, elle a « vu », en poussant des portes en jetant un œil à la dérobée dans des pièces vides, au sens le plus strict d’une vision, des objets engoncés dans leur absence. Oui, leur absence, car ce qu’elle a vu et ce que chacune de ses images rend sensible, c’est le fait que, littéralement chaque objet, chaque pièce, chaque reflet, chaque grain de poussière, dit l’abandon.

Ainsi ce globe terrestre oublié dans un coin comme cette vieille radio, ou deux ventilateurs surpris dans une conversation intime, ce cheval dont seul le reflet existe alors que lui déjà est loin, ces sacs de plastique remplis d’air comme des ballons que l’envol a oublié d’emporter avec lui et ces mots à peine lisibles écrits à la main, comme pris en flagrant délit d’effacement, tout dans ces images dit la voix de l’abandon ?

En sachant ne pas tomber dans l’évocation trop personnelle mais en sachant conférer à l’intimité une dimension « cosmique » et au grain de poussière la valeur du photon, Junghee Yoon est parvenue à élever l’image à la hauteur d’une de ses vérités intrinsèques, celle d’être le porte-parole de l’abandon. Le regard qu’elle porte sur les choses accède à une vérité de fait, à savoir que chaque chose, partout, tout le temps, est seule et que l’abandon est en fait la dimension commune qui unit et les choses et les hommes, ces êtres qui ne savent faire qu’une chose abandonner les choses croyant ainsi se prouver qu’ils existent.