dimanche 28 mai 2023

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Lost in the supermarket #38

Aldo Caredda #38

, Aldo Caredda et Jean-Louis Poitevin

Aldo à La Fab

C’est que désormais il faut présenter à la machine son ticket en vue de l’ouverture du portique de verre qui permet l’accès à la salle, pas celle des machines, celle où reposent dans le silence, des oeuvres. Ah les oeuvres !
L’oeil percutant de la caméra les ayant aboli d’un réglage intempestif, il ne reste que du noir et du blanc, de la nuit et de l’aveuglement. Passant le portique comme on le ferait en effet pour entrer enfin dans The Super Market of Art, la masse d’un corps se détache et avance résolument vers le blanc du fond de scène sans rien regarder d’autres que la lumière aveugle. Le but est là devant, simplement. Le reste ne compte pas. D’ailleurs il n’a jamais compté.
Une fois entré, il faudra faire le tour complet et sortir par la sortie et pas par l’entrée !
Cela ressemble à s’y méprendre au gymkhana proposé par une célèbre marque d’objets divers, dans les méandres duquel, tous repères perdus, il n’y a plus qu’à se taire, respirer, absorber et avancer en espérant un jour trouver la sortie.
La différence entre art et non art a fondu comme neige au soleil. Il ne reste au mieux pour peupler l’écart entre l’aveuglement et l’oubli que quelques nuances de gris. Ah le gris ! Mais non, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici, mais bien d’un mouvement résolu de tout l’être pour se rendre là où la lumière est la plus aveuglante. derrière, là-bas au fond.
Alors s’accomplit le rituel dont nous ne pouvons pas même deviner les gestes. Alors s’accomplit la déposition de l’empreinte dont nous savons qu’elle est le but et dont nous ne pouvons, cette fois, pas même témoigner qu’elle a bien eu lieu.
Un tour pour rien ? Dernier voyage dans le super market ?
Le petit bruit du portique pousse encore sa vibration dans l’air ambiant encombré par les voix du dehors quand, à l’évidence, l’officiant du rituel s’est agenouillé, loin là-bas derrière l’objet, une oeuvre évidemment, qui pourrait évoquer une croix renversée, un tableau de Malevitch ou un déguisement crée par Arp, Tzara ou Ball en vue d’une soirée au Cabaret voltaire ou mieux, au Lapin Agile !
Mais quelque chose se produit d’inhabituel pour les aficionados de l’accomplissement du rituel de la déposition de l’empreinte que nous sommes. Non seulement le corps semble avoir glissé vers le sol comme s’il s’était désolidarisé de sa croix renversée, mais il ne réapparaît pas.
À chaque déposition, nous avons vu l’homme sortir du champ, du cadre, confirmant ainsi qu’il était bien un homme. Cette fois, rien ! Juste une disparition. Sa disparition.
De là à commencer à penser, de là à commencer à croire, de là à commencer à prétendre que cette disparition inexpliquée pourrait laisser espérer un retour tout aussi inexplicable mais qui viendrait combler d’aise l’attente indéfinie dans laquelle tous nous baignons depuis que le temps est compté à l’endroit, il n’y a qu’un pas.
Cela n’importe plus guère à tous ceux qui, victimes expiatoires offertes par le néant des jours au dieu marchandise, errent désormais pour l’éternité du silence entre les portiques de la gloire. Ils n’ont plus besoin d’espoir et toute idée de résurrection leur est étrangère. Oui, désormais, pour eux l’art s’est éclipsé dans ce qui s’exhibe entre les tourniquets qui comptabilisent les entrées et les sorties portiques qui d’ailleurs portent le nom de la marque de la fabrique à laquelle ils appartiennent !
Et dans l’ombre désolée de l’abandon, soleils noirs de l’oubli devenus porteurs d’une mémoire exsangue, des centaines d’empreintes continueront à briller et à parler la langue qui existait avant que la fin ne soit devenue le nouveau commencement.