mardi 18 décembre 2012

Accueil > Les rubriques > Images > Danse, danse, danse….

Danse, danse, danse….

Note sur Dirty Western de Rafaël Carneiro

, Jean-Louis Poitevin et Rafaël Carneiro

Lors de son exposition de peintures à la galerie White Projects, Rafaël Carneiro a aussi montrer ce qui constituait la source à laquelle il était venu puiser pour réaliser ses toiles, un western érotique de 1975, Dirty Western de Joseph F. Robertson. Le traitement qu’il a fait subir à quelques scènes de ce film constitue une œuvre en soi qui problématise des aspects et des fonctions des images peu souvent abordées.

Avec le montage au ralenti de certaines scènes de Dirty western, film érotique/pornographique culte des années soixante-dix, Rafaël Carneiro nous livre non seulement la source des tableaux qu’il a réalisés pour l’exposition qu’il vient de faire à la galerie White Projects, mais il nous offre un voyage dans les zones troubles de notre mémoire. Ces zones ne sont pas tant troublées parce qu’il s’agirait de sexe que par ce que le flou et le ralenti offrent à notre appareil perceptif des possibilités d’adaptation plus grande aux images montrées. C’est bien leur allure, ces mouvements de va-et-vient qui ne sont pas seulement ceux des corps mais ceux des images mêmes, que naît une temporalité propice à une appropriation rêveuse. Il faudrait dire rêvante, car nous sommes, dès lors que nous accordons notre attention à ces images instables, plongés dans une sorte d’irréalité qui est proche de celle d’un rêve qui serait en train de se produire et dont nous serions, pour une fois à la fois l’auteur et le spectateur.

La rêverie tient au sujet, mais le sujet n’est pas ou plus la violence. Cette violence est gommée par l’image même dans l’image même. Ce que l’on voit même lorsqu’il s’agit de forcer des femmes à abandonner leurs corps à ceux d’intrus patibulaires, c’est une danse, une danse lente, lancinante, une danse orgueilleuse parce qu’elle ne laisse aucun recours à la réflexion, à la raison, mais emporte toute l’attention du côté de l’acceptation.

Paradoxe de ces images retravaillées à partir de celles qui composent un film sans autre histoire que la réactualisation d’une prédation antédiluvienne : emporter les corps dans une exultation non pas orgasmique mais cosmique. Si, comme on a longtemps tenté de le montrer, il y a une différence entre plaisir et jouissance, ces images censées montrer le plaisir dans son irrésolution carnassière montrent, une fois retravaillés par Rafaël Carneiro, la jouissance dans ce qu’elle a de plus singulier. Ce qui a lieu se produit moins sur l’écran que dans le défilement irrésolu des images, dans ce mouvement d’être emporté ailleurs, hors de soi et de se contempler, pourrait-on dire, de ce lointain irrécusable comme si l’on participait néanmoins non à l’asservissement ou à l’assouvissement, mais bien au transport proprement dit. Comme s’il ne restait dans l’image que le mouvement qui nous conduit hors de nous-même, nous les voyeurs absouts, devenus des jouisseurs sans partage, d’être parvenus presque à notre insu, à relier la fiction du regard avec la puissance du rêve.