mercredi 16 novembre 2011

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V. Basculement

Suite de Lettre au tyran - V

, Laure Reveroff

« Mais maintenant je viens à un point, lequel est à mon avis le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de la tyrannie. [...] Ce ne sont pas les bandes des gens à cheval, ce ne sont pas les compagnies des gens de pied, ce ne sont pas les armes qui défendent le tyran. On ne le croira pas du premier coup, mais certes il est vrai : ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en servage… »

L’oreille et les voix

« Mais maintenant je viens à un point, lequel est à mon avis le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de la tyrannie. [...] Ce ne sont pas les bandes des gens à cheval, ce ne sont pas les compagnies des gens de pied, ce ne sont pas les armes qui défendent le tyran. On ne le croira pas du premier coup, mais certes il est vrai : ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en servage. Toujours, seuls cinq ou six ont eu l’oreille du tyran, et s’y sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés, et communs aux biens de ses pilleries. Ces six adressent si bien leur chef, qu’il faut, pour la société, qu’il soit méchant, non pas seulement par ses méchancetés, mais encore des leurs. Ces six ont six cents qui profitent sous eux, et font de leurs six cents ce que les six font au tyran. Ces six cents en tiennent six mille qu’ils ont élevés en état, auxquels ils font donner le gouvernement des provinces, ou le maniement des deniers afin qu’ils tiennent la main à leur avarice et cruauté et qu’ils l’exécutent quand il sera temps, et fassent tant de maux d’ailleurs qu’ils ne puissent durer que sous leur ombre, ni s’exempter que par leur moyen des lois et de la peine. Grande est la suite qui vient après cela, et qui voudra s’amuser à dévider ce filet, il verra que, non pas les six mille, mais les cent mille, mais les millions, par cette corde, se tiennent au tyran. [...] »

Il n’a échappé à personne que ce phénomène singulier, l’existence d’un lien fort entre quelques conseillers proche du tyran et l’image que le tyran peut se faire de son importance, n’a pas disparu avec l’époque à laquelle vivait La Boétie. Au contraire, ces dernières années ont montré la pérennité de ce phénomène. La marionnette décérébrée supposée diriger les États-unis pendant huit ans n’a pas gouverné autrement et l’on a pu voir en France se mettre en place un processus semblable.

Simplement, au lieu des seuls cinq ou six ayant l’oreille du tyran évoqué par La Boétie, c’est plusieurs fois cinq ou six qui ont l’oreille du tyran tant l’importance des affaires à gérer a cru avec le temps. Il a cependant été possible de vérifier pendant quelques mois l’existence officielle et médiatisée d’un tel groupe tournant autour de la tête de l’exécutif comme mouches affamées. Ils n’étaient pas cinq ou six, mais sept à se réunir régulièrement autour de leur chef. Ils firent presque office sinon de gouvernement bis, du moins de chambre d’écho ayant un statut supérieur à toutes celles qui tentent de faire retentir leur petite musique dans le palais présidentiel. Mais les bourdonnements ont cessé ou se sont faits plus discrets, plus secrets. Il n’est pas bon aujourd’hui de trop faire savoir qui l’on écoute et ceux qui ont pour un temps un peu de cette oreille savent qu’ils doivent plutôt se taire que s’en vanter. Dans cette affaire comme dans les autres, seul le tyran dit rester maître de la décision.

Invulnérable

La désinhibition prend sa source dans un affect singulier, le sentiment d’être invulnérable. Du temps des héros, seuls les dieux étaient immortels. Les héros eux, s’ils étaient mus par cet affect profond, savaient qu’ils prenaient sur le terrain de la bataille le risque de la mort. Le temps des héros révolu, ce modèle de comportement reste une référence dans la société occidentale. Il est valorisé dans des cadres fort réglementés et le risque de mort a été limité. Les héros d’aujourd’hui pratiquent un sport, font des affaires ou parfois gagnent leurs galons en réussissant dans des activités contraires à l’ordre et à la loi. Parmi ceux-là, certains, en effet, risquent leur vie.

S’il est encore le fait d’individus dotés d’une certaine puissance physique, comme de ceux qui disposent d’une certaine dose d’intelligence ou de courage, le sentiment d’invulnérabilité est néanmoins l’apanage d’individus qui se savent ou se sentent protégés par un groupe ou une puissance plus large.

De quoi se sentent-ils protégés ? Du risque d’avoir à payer pour tout ou partie de leurs actions désinhibées, c’est-à-dire de leurs réussites mais surtout de leurs forfaits, de leurs exactions, de leurs manipulations, voire de leurs crimes !

En effet, il existe, et cela dans des strates sociales apparemment fort éloignées les unes des autres, une sorte de vision partagée du monde ou plus exactement de ce qui constitue le fondement des relations humaines.

L’axiome indépassable tient en ceci que tous ces individus ont appris à ressentir comme normal le fait de considérer autrui comme un objet. Il n’existe dans une telle version de la conception de l’homme que deux options : soit s’imposer en soumettant autrui, soit se soumettre et obéir à celui ou ceux qui vous ont soumis. Dans un tel schéma, être libre par soi-même n’est pas une option recevable, tout au plus une survivance à peine tolérée dans certaines niches protégées.

Le choix paraît simple et même simpliste. La réalité du partage est tout autre, car la ligne de partage passe moins entre les individus qu’elle ne passe à travers eux.

Sur cette planète si fière de sa gouvernance, personne n’est censé être entièrement soumis à autrui, sauf bien sûr les esclaves modernes. Ils se comptent par centaines de millions dans les camps de travail, de réfugiés ou dans les zones grises qui parsèment la planète et dans lesquelles ne règne aucun droit sinon celui du plus fort.

Mais personne n’est non plus suffisamment puissant pour pouvoir prétendre n’être dépendant de rien. Et surtout pas le tyran. Un tel individu ne tire l’idée qu’il se fait de sa puissance, que de la preuve que lui en rapportent par leur soumission même ceux qu’il prétend avoir soumis.

Dans n’importe quelle strate de l’espace social, nul n’occupe de place, y compris et surtout celle de chef, que d’autres ne l’aient aidé à la prendre et à s’y maintenir.

Au-delà de l’interdépendance matérielle évidente qui fait qu’aucune vie sociale n’est envisageable hors de l’interaction avec les autres, c’est à la fois la densité de cette interaction et la position entre des pôles d’intensités maximales et minimales qui fait la différence entre chaque individu. Et pourtant cela ne permet de déterminer qu’un aspect de la fonction de chacun. On appelle cela habituellement le champ des apparences. Il est plus exactement celui des fonctions officielles, identifiables, reconnues.

Cette différence d’intensité et cette différence de position ne permettent pas de dire avec certitude dans quel type de dépendance et donc de soumission se trouve celui qui occupe aux yeux d’autrui, la position du décideur, du chef, du Divinant, ou du tyran.

La ligne de démarcation semble, aux yeux de qui s’en tient à elle, délimiter des espaces distincts. En fait, le jeu des interactions, des dépendances, des dominations et des soumissions, s’exerce aussi sur d’autres strates qui elles restent non vues, cachées ou absolument secrètes tout en étant réellement plus actives et plus déterminantes que les autres. Et pour connaître ces strates, il est nécessaire de les traverser. C’est pourquoi aujourd’hui, personne ne peut dire qu’il n’exerce pas ou n’exercera pas dans un avenir proche une activité illégale.

Seule la prise en compte systématique de ces deux « points de vue » peut permettre de constituer une image possiblement juste des forces en présence, à la fois pour ce qui concerne les individus mais aussi les groupes qui se partagent la domination effective de la planète.

Si un certain type de psychisme semble donc nécessaire pour atteindre une position dominante, ce sont des situations concrètes qui déterminent tel ou tel à en faire le choix et un ensemble systémique de facteurs qui détermine les conditions même de l’exercice de la domination.

Si le psychisme nécessaire à l’exercice de la domination n’est plus celui d’un maître mais bien celui d’un désinhibé, il est nécessaire de relever que ce personnage désinhibé ne peut être qu’une marionnette à laquelle le réseau réel des décideurs qui l’ont portée au pouvoir laisse le loisir de croire qu’elle pourrait se mouvoir librement, c’est-à-dire en oubliant les fils qui la retiennent.

Si le tyran de la Renaissance devait articuler la raison à l’exigence de ses passions, le tyran contemporain doit, lui, réussir à articuler une soumission explicite et vérifiée à ses soutiens à une désinhibition le soulageant du stress. Ce stress est moins celui de la fonction que celui qu’engendre la soumission sans faille aux règles et aux ordres explicites ou implicites auxquels il sait devoir obéir.

Si la désinhibition peut apparaître comme un aspect du fonctionnement du psychisme, le psychisme du tyran ne peut et ne doit pas être interprété comme étant celui d’une conscience historique. Il est tout au plus un individu qui a su se programmer pour répondre a priori sans faille à des exigences précises. Ses frasques ne sont pas l’aveu de passions irrésistibles, mais les éléments nécessaires d’une économie de contrôle. Un comportement « hors norme » ne dit pas un désir de renverser la norme, mais indique que la norme a changé. L’excès n’est pas le signe d’une perte de contrôle de soi mais bien plutôt la manifestation d’un nouveau type de « soi », d’une « conscience » qui ne se réfère plus à l’histoire ou à la raison pour se réguler mais à des limites échappant à leurs lois.

Ainsi, le tyran moderne n’est pas invulnérable parce qu’il serait surpuissant, il est invulnérable parce qu’il est capable de se soumettre et de répondre, tel qu’il est, à des critères cachés ou secrets qui sont ceux de l’efficacité. Il n’est qu’un relais dans un système général de gouvernance dont il ne fait finalement qu’appliquer la méthode. Le particulier n’est plus la manifestation limitée d’universel qui l’englobe, le porte et le justifie, mais l’incarnation de règles particulières en train de se déployer et d’être imposées à chacun sur l’ensemble de la planète.

Nature, liberté et désinhibition

Les points d’appui concrets et psychiques de la désinhibition ne se situent donc pas du côté de la légalité et de sa légitimité devenue apparence, mais bien du côté de l’illégalité et de l’illégitimité réelle des actes ou des activités.

S’il existe un élément permettant d’appréhender la manière dont l’ensemble des croyances et des valeurs tant économiques que « morales » qui ont permis à la planète de fonctionner depuis la seconde moitié du XXe siècle, ont été renversées ou, plus exactement ont été retournées et brouillées, c’est précisément le schéma général de la désinhibition.

En effet, celui-ci ne prend pas appui sur la conscience ou le sujet comme corps vivant et pensant supposé capable de faire de sa vie le lieu expérimental de sa liberté. Tout au contraire, le schéma général de la désinhibition parie sur la capacité instinctive de chaque individu de trouver une réponse lui permettant d’échapper, de se libérer en un sens restreint donc, à certaines des contraintes imposées à chaque être vivant. L’existence étant pensée comme un réseau de contraintes et de limites, il apparaît alors logique de considérer comme « naturelles » l’ensemble des autres contraintes et limites imposées à certains hommes par d’autres hommes de manière volontaire et expérimentale.

Ainsi, seuls ceux qui savent passer outre ces contraintes parce qu’ils les considèrent comme des limites à dépasser trouvent dans cet excès même le signe, la preuve et la réalisation de leur liberté.

Si le mot de liberté peut être utilisé dans les deux cas, il ne s’agit pas du tout de la même expérience.

Dans le premier, on à affaire à des sujets supposés libres mais qui ne savent pas comment faire pour s’approprier cette liberté et dans le second, on a affaire à des sujets supposés faire une expérience et qui n’acquièrent leurs parts de liberté que sous une forme relative et quantitativement calculable. La liberté se mesure alors à leur capacité à échapper au piège que constituent les conditions de l’expérience pour accéder au camp de ceux qui pensent pouvoir déterminer pour autrui les conditions de l’expérience.

De facto, la posture existentielle posée comme première dans le schéma désinhibiteur est celle d’une soumission par nature à la nature.

En ce sens, on peut dire que les désinhibés et en particulier les Divinants ont tiré les leçons de la mort de Dieu en prenant en compte dans leurs actes même le fait que la vie n’est mue par aucune finalité. Ils ont remplacé les formes anciennes de finalité par une idéologie implicite qui consiste à voir dans l’existence une pure expérience, au sens d’une expérimentation de type technique. Ils jettent ainsi aux orties l’autre face de la nature, celle qui fait de l’existence non pas une donnée à exploiter mais un « principe » à réaliser.

C’est donc sur une soumission posée comme originelle que se fonde une telle conception de la nature et de l’homme. Si en effet contraintes et limites, qu’elles soient naturelles ou non, sont pensées comme des forces d’asservissement, il n’y a alors pour le sujet potentiel d’autre forme de liberté que dans le conflit permanent contre ces forces. Comme ces forces sont incommensurables, il n’y a de liberté qu’à travers une identification à ces forces et un transfert de ce schéma au cœur même des relations interindividuelles.

Seule la jouissance de voir d’autres que soi sous le joug qu’on leur impose passe pour pouvoir offrir un sentiment de liberté à ceux qui, alors, peuvent se prendre pour le joug.

La clé de la désinhibition, celle qui libère le pantin pour le faire sortir de sa boîte, est la soumission à l’idée de soumission comme fondement, schéma général de régulation et moyen d’action dans le domaine infini des relations interindividuelles.

Le partage ne se fait donc plus entre individu libre et individu soumis et obéissant, mais entre une liberté conçue comme champ de réalisation de « sa » désinhibition et une soumission conçue comme condition de « sa » survie.

Légal, illégal, légitime, illégitime

Le tyran contemporain est devenu une réalité inévitable parce que la tyrannie s’est imposée comme la forme de gouvernance la plus adaptée à une époque qui voit cohabiter, se mêler, s’opposer et surtout se compléter, des modes de régulation économiques et sociaux issus des principales époques antérieures.

Ces pratiques de type féodal que les groupes mafieux avaient déjà largement contribué à développer au XXe siècle, ont envahi l’ensemble des strates de la société et le clan, ses pratiques et son chef, sont devenues une forme essentielle par laquelle s’effectue la gestion globale de l’activité économique, politique et sociale.

On doit à Jean De Maillard plusieurs ouvrages sur la criminalisation des activités économiques. Mais c’est dans son livre intitulé Le rapport censuré, critique non autorisée d’un monde déréglé, rapport que le Ministère des Affaires Étrangères lui avait commandé en 2001 et avait refusé de communiquer une fois qu’on le lui eût remis, qu’il a formulé les règles qui servent de base aux échanges économiques et à la gouvernance du monde d’aujourd’hui.

« Les nouvelles menaces non conventionnelles ne sont pas extérieures à la mondialisation, elles en sont le produit. Elles n’en sont pas le dévoiement, elles en constituent la logique. [...] Les menaces contre la mondialisation sont donc aussi entièrement celles de la mondialisation. » En inscrivant la mondialisation dans une perspective historique et en en montrant la cohérence interne, Jean de Maillard nous offre des éléments essentiels permettant de comprendre la manière dont se joue réellement la gouvernance contemporaine. Cela tient en peu de mots, car il s’agit d’un changement de paradigme qui une fois repéré devient lisible dans chaque strate de la réalité.

« Cette perspective rejoint et complète le changement de paradigme introduit par la mondialisation à l’égard du monopole de l’illégalité légitime. La globalisation nous a fait entrer dans une autre dimension. En dépossédant de leurs prérogatives et en privatisant leur monopole de l’illégalité, les États n’ont pas seulement pris le risque d’étendre le domaine de celle-ci au-delà de leur capacité de contrôle, ils ont aussi et surtout brouillé les repères entre l’illégalité légitime et l’illégalité illégitime. C’est donc une nouvelle construction qui s’échafaude. L’illicite ou le criminel n’est plus l’envers du licite, sous l’œil de l’État tutélaire seul admis, pour ses besoins propres à transcender cette élémentaire distinction. Il est l’objet de toutes les enchères pour s’en approprier l’usage autorisé. Qui détient désormais les clés de l’illégalité légitime est assurément le maître de l’accès à la puissance géostratégique. Le monopole de jadis, centralisé par les États et enclos dans une gestion publique plutôt pointilleuse, s’est pulvérisé en une multitude de bastilles. » (op. cit., p.75).

Chaque État, y compris ceux qui s’affichent encore comme faisant partie du gotha planétaire, est contraint de constater qu’il n’est plus souverain. En effet, il fait face à des puissances financières et économiques dont le budget et l’influence réels peuvent être largement supérieurs aux siens propres. Ces puissances sont de plus susceptibles d’intervenir sur son territoire et de l’aider à s’enrichir ou de l’appauvrir, de l’aider dans un conflit ou de le déstabiliser, sans pour cela avoir à franchir quelque frontière que ce soit ou déclencher une guerre.

Et pourtant, c’est bien d’une sorte de guerre permanente dont il s’agit, car comme le remarque Jean de Maillard, « pour paraphraser Clausewitz : l’économie est la poursuite de la guerre par d’autres moyens. » (op cit, p.284).

Cette mutation profonde et irréversible s’est effectuée à la fois en catimini et au vu de tous. Les États se sont laissés déposséder des instruments directs leur permettant d’assurer leur présence géopolitique et finalement d’exercer de manière unilatérale leur souveraineté à l’intérieur même de leurs frontières, en permettant aux marchés financiers d’une part puis à l’ensemble de l’économie illégale de s’approprier des parts du marché de l’illégalité légitime.

Les États, en perdant une part importante de leurs prérogatives internationales et internes, sont contraints aujourd’hui non pas tant de lutter contre les puissances qui les ont dépossédés que de composer avec elles, ce qui les amène parfois à les combattre mais le plus souvent à passer des accords avec elles ou à accepter leur aide ou à subir leur domination.

Ainsi voit-on se dessiner les contours des contraintes qui président à toute gouvernance contemporaine, en particulier dans les pays européens.

L’État n’est plus pour ses citoyens, le garant de leurs droits et le défenseur de leurs intérêts. Devenu un opérateur parmi d’autres sur la scène internationale, il tente d’abord d’organiser sa survie. Impliqué nécessairement dans l’illégalité illégitime il doit impérativement se taire sur l’ensemble de ses activités dans ce domaine, qu’elles se fassent en faveur ou au détriment des citoyens d’ailleurs.

L’impossibilité où l’État se trouve d’avouer que certaines de ses pratiques sont devenues nécessairement semblables à celles des mafias ou des grands groupes industriels qui pillent et détruisent sans vergogne la planète, que ce soit pour pouvoir les combattre ou pour leur prendre des parts de marchés, conditionne son rapport à la vérité. Ce silence se renforce pour devenir impénétrable dans la mesure même où l’implication de l’État dans cette nouvelle répartition entre illégalité légitime et illégalité illégitime implique que ceux qui l’incarnent doivent désormais non seulement penser mais se comporter comme tous les tenants de l’illégalité illégitime.

C’est cette mutation qu’incarne et nous donne à voir et à vivre aujourd’hui le tyran contemporain, ce Divinant en chef d’un pays, d’un groupe industriel ou d’un groupe mafieux. C’est ce double silence qui fait de lui et de ses semblables qui ont désormais droit de cité sur la planète entière, des tyrans d’un nouveau genre.

Si les attitudes de certains de ces tyrans contemporains peuvent choquer ceux qui croient encore que le chef d’un État est une figure actualisée du Prince de la Renaissance italienne c’est qu’ils n’ont pas encore pris la mesure de la mutation qui inscrit le tyran dans une conception clanique du pouvoir pour laquelle la domination du chef est implacable. Figure tyrannique par excellence, le chef mafieux ne ressemble en rien à un despote éclairé.

Le paradis afghan

S’il existe sur la planète un pays dans lequel se concentrent tous les aspects de la tyrannie, à la fois le type de gouvernance qu’elle est, les principes qui l’animent, les formes et la violence de son exercice et l’opacité de son règne, c’est à l’évidence l’Afghanistan.

Rien de ce qui est dit au sujet de ce qui s’y passe et cela depuis le début de l’invasion anglo-américaine, ne correspond à ce qui a réellement lieu ou plutôt faudrait-il dire que rien de ce qui s’y passe réellement n’est communiqué aux peuples dont les armées occupent et pillent ce pays. Si des zones grises dans lesquelles le droit est sans cesse bafoué parsèment le monde et souvent même trouvent place dans les pays les plus développés, il n’existe pas de zone aussi importante qui soit rendue opaque au point que tout ce qui est énoncé à son sujet relève d’une fiction aussi totale que sont barbares les actes qui s’y produisent.

Ce que l’on appelle l’opinion publique est donc la première cible des informations absolument mensongères qui sont diffusées au sujet de l’Afghanistan. Il est en effet impossible de ne pas mentir sur tout puisque le moindre aveu sur ce qui s’y passe réellement, sur les raisons de la présence de l’OTAN comme sur la manière d’occuper ce pays, permettrait de comprendre en totalité les fondements et la réalité de la gouvernance contemporaine, celle que les États-Unis et leurs affidés pratiquent en tout cas.

Si l’on revient sur le déroulement des faits, l’invasion à laquelle s’autorisent les États-Unis au lendemain des attentats de New-York, ce n’est pas celle de l’Irak, mais bien celle de l’Afghanistan. Ce pays est censé être à la fois le repère de l’épouvantail inventé par les États-Unis et supposé auteur des attentats de septembre 2001 et un pays aux mains de fondamentalistes religieux. Ces derniers n’ont pourtant pu prendre le pouvoir à Kaboul contre les forces issues de la résistance à l’occupation soviétique que grâce à l’aide massif des États-Unis et des services secrets pakistanais.

Après avoir renversé le régime des Talibans, les États-Unis mettent au pouvoir leur homme de main, ancien chef de guerre pachtoune, mais ressortissant américain, agent connu de la CIA et surtout cadre d’UNILOCAL, la société en charge de la construction du pipe-line devant permettre l’acheminement de pétrole à travers l’Afghanistan. Nul autre que le frère du président s’est imposé, comme le savent les services secrets de nombreux pays, comme le plus important baron de la drogue puisque près d’un tiers de la production afghane, représentant aujourd’hui 92% de la production mondiale pour un chiffre d’affaires pouvant dépasser les 30 milliards de dollars, passerait entre ses mains.

Le problème avec l’Afghanistan, c’est que l’enchevêtrement des intérêts illégaux est tel qu’il nécessiterait à lui seul un livre imposant. C’est donc plutôt à une sorte de raisonnement par l’absurde qu’il faut se livrer si l’on veut avoir une chance de pouvoir appréhender de manière synthétique le fonctionnement de la gouvernance qui préside aux destinées de ce pays.

Ce pays a été érigé en modèle, c’est-à-dire en laboratoire tant pour mettre en œuvre une expérience grandeur nature des nouvelles formes de gouvernance et pour servir de vecteur à la politique de communication planétaire des intérêts des États-Unis.

La première fonction de ce laboratoire, c’est de tester les possibilités d’imposer une forme absolue de mensonge comme idéologie minimale en la rendant incritiquable. L’existence du mensonge est aisément repérable, mais il ne peut être pris pour une forme absolue de mensonge car il fonctionne moins par une dissimulation d’informations que par l’établissement d’un ratio entre ce qui est de l’ordre du croyable disponible et ce qui passe pour être impossible, aux yeux du public moyen, bien entendu. Il ne s’agit pas tant de cacher des informations que de leur attribuer un sens absolument différent de celui qu’il a dans la réalité. Au prétexte de rendre communicable l’information, il suffit de la faire entrer dans un schéma et de conserver ce schéma quels que soient les événements. Ainsi voit-on cependant se creuser un écart entre les aveux officiels et les informations concrètes que l’on peut glaner ici ou là. Il est vrai aussi que certaines informations restent secrètes ou supposent, pour être connues, qu’on les recherche, les croise et les analyse, ce qui n’est le cas que de quelques centaines ou milliers de personnes et en rien le cas des milliards de gens qui veulent simplement être rassurés par des mots plutôt que d’être inquiétés par des faits.

Pourtant même en l’absence de telles informations et en n’utilisant que celles qui sont disponibles dans la presse généraliste, il est possible de construire un schéma acceptable et logique de ce qui se passe réellement dans ce pays ou du moins des raisons qui conduisent à la fois à l’évidence d’un échec militaire, politique et social et à la nécessité avouée d’un maintien des troupes d’occupation.

La réalisation d’un projet politique de restauration de la liberté et de l’autonomie de ce pays apparaît aujourd’hui non seulement irréalisable, mais il n’échappera à personne qu’aucun des pays impliqués dans cette opération n’a jamais eu l’intention de le réaliser.

C’est donc à une sorte de temps inversé que l’on fait face puisqu’il s’agit pour comprendre ce qui se passe, de penser le présent non plus en fonction des prévisions d’avenir, ces prophéties gratuites fonctionnant comme des leurres, mais en fonction des intentions premières et bien réelles des pays ayant envoyé sur place leurs hommes. Elles ne ressemblent en rien à ces justifications recouvertes outrageusement du voile de la vérité intégrale que l’on a vendu au public planétaire et que l’on ressert presque quotidiennement en plat de résistance dans les journaux d’information de la planète.

Ainsi, le spectre Ben Laden n’a jamais existé que dans l’imaginaire cathodique des peuples. Ancien allié des États-Unis, il est devenu une icône que l’on promène d’écran en écran comme autrefois celle du diable. Par contre la nécessité de prendre position au cœur de l’Eurasie, d’installer des bases de missiles pour tenir en respect la Russie et mettre à portée de tir la Chine sont des raisons plus réalistes. Contrôler le pays pour pouvoir y construire pour l’une des multinationales qui financent la guerre, Enron, Chevron, ou la Rand corporation est bien plus exact.

Quant à ces tragiquement et absurdement célèbres Talibans, ils ont été armés par l’ISI et les États-Unis pour renverser le gouvernement certes instable mais réel issu de la résistance afghane aux dix années d’occupation soviétique. Et une fois devenus autonomes, ils ont commencé à avoir des revendications inacceptables pour leurs maîtres.

Celles-ci ont essentiellement concerné le marché absolument faramineux de la drogue. Les États-Unis ne pouvaient laisser leur échapper un tel marché qui avait été suffisamment mis à mal par le jeu complexe auquel ils s’étaient livrés entre le milieu des années quatre-vingt-dix et le déclenchement de la guerre. Ce jeu consistait à négocier avec les Talibans, des destructions de champs de pavot contre des subventions. Les subventions restaient dans les mains des responsables et les destructions limitées n’empêchaient pas les Talibans de continuer à trafiquer avec le produit des surfaces restantes.

Les États-Unis et les pays de la coalition ont donc décidé de prendre en charge eux-mêmes la production de l’héroïne en intensifiant dès les premiers mois suivant leur arrivée la production de pavot. Ainsi, dix ans après leur arrivée, c’est 92% de la production mondiale d’héroïne pure qui est réalisée en Afghanistan, à partir des terres qui y sont cultivées.

Cela fait donc dix ans que les États de la coalition se sont décidés de manière unilatérale à prendre pied effectivement dans l’économie illégale, informelle et considérée par leurs lois comme criminelle, et à en devenir des acteurs clés.

Ces États l’étaient déjà sur le marché des armes, car ils sont parmi les premiers producteurs d’armes de toutes natures et de toutes tailles, y compris celui des armes de destruction massive, comme ils le sont sur le marché des hydrocarbures, qui comme nul ne l’ignore, est aussi un marché qui touche de près l’économie illégale.

Simplement, les armes et l’énergie sont depuis toujours des prérogatives des États et font partie de la forme ancienne que l’on considère comme normale de relation qu’un État est susceptible d’entretenir avec l’économie illégale. La drogue, par contre, est et reste officiellement combattue au nom de la morale et du droit, c’est-à-dire de la défense des individus contre l’usage de substances naturelles ou chimiques pouvant les détruire.

Simplement, depuis la montée en puissance des cartels colombiens, par exemple, et l’accroissement significatif de la consommation mondiale dans les grandes villes des pays développés, il a été possible aux Divinants de comprendre quelle source de profit ils laissaient passer en ne s’occupant pas de ce marché si juteux. C’est chose faite. Certains des plus puissants États de la planète ont choisi de passer le pas à la fois pour des raisons stratégiques, contrôler ainsi la destruction diffuse de certaines populations de pays ennemis ou amis mais que l’on peut vouloir affaiblir, par le biais de la mise sur le marché de drogue en quantité suffisante, et économiques, en particulier pour pouvoir ainsi financer des actions menées par leurs services secrets et finalement aussi pour pouvoir financer leur accession ou leur maintien au pouvoir en irriguant les caisses de leur parti ou en rémunérant grassement leurs hommes de main.

Les anciens fonds secrets dont disposaient autrefois les ministres sont devenus inutiles. Il y a d’autres caisses, beaucoup plus pleines et dont l’usage échappe aux règles minimales et aux contrôles toujours possibles par des services de l’État.

Il est clair qu’une telle version de l’immoralité peut sembler trop radicale et trop absolue à des yeux et des oreilles dressés à ne recevoir que les messages lisses émis par les médias. Il faut alors se demander pourquoi, ces mêmes États qui se vantent de leur puissance perdurent avec autant d’obstination dans l’échec militaire, politique et social en Afghanistan et au fond dans le reste du monde ?

Aucun des buts avoués à leur présence n’ayant jamais eu une quelconque réalité, les raisons de leur présence étant donc « autres », ils n’ont pas de raison de partir malgré ou à cause de leur échec, puisque cet échec n’est mesuré qu’à l’aune de déclarations mensongères.

Au contraire, leurs visées réelles rendent nécessaire l’instauration d’une instabilité durable. Ils ont besoin que des hommes de main qu’ils contrôlent absolument soient au pouvoir dans ce pays. Ils ont besoin de leur armée pour permettre la construction des structures nécessaires à l’installation de bases militaires pouvant menacer directement certains pays trop loin de leur territoire propre, mais aussi pour construire les installations complexes et coûteuses devant servir au raffinage et à la fabrication de l’héroïne pure.

Ils ont pour cela besoin de mêler à leurs affaires d’autres pays proches et de les impliquer dans leur stratégie. Ils ont d’autre part besoin de maintenir l’instabilité et la terreur sur place pour pouvoir continuer de faire croire à leurs populations que leur présence militaire est nécessaire afin de rétablir, un jour, mais nul ne dit quand, un semblant d’ordre.

Le message fonctionne à ce niveau sur le modèle de celui qu’émet toute promesse qui ne peut maintenir éveillé dans chaque conscience une sorte d’espoir, que si elle ne se réalise jamais.

Car il s’agit bien ici de fabriquer un produit fini pour lequel des installations de premières qualités sont nécessaires et seuls des moyens financiers, matériels et humains occidentaux peuvent permettre l’installation dans un pays pauvre mais sous contrôle, de raffineries d’une technologie et d’une taille suffisantes pour traiter de telles quantité d’opium.

De plus, il faut bien sûr faire parvenir ces quantités industrielles de drogue sur les marchés et ces marchés sont disséminés sur la planète entière. Une question n’est jamais évoquée à ce sujet. Elle concerne le mode d’acheminement de la drogue à travers l’Afghanistan et ensuite à travers les différents pays du globe.

Est-il possible d’imaginer que ces cargaisons soient acheminées à travers le monde à dos de mulet par des passeurs affidés aux soi-disant Talibans ? Est-il envisageable un instant que, mis à part de micro quantités ayant pu échapper au contrôle, la drogue puisse être acheminée autrement que par camions ou par avion ? Est-il envisageable dans un pays en guerre et absolument surveillé de toutes part par les moyens les plus sophistiqués que des avions puissent constamment atterrir et décoller sans que les forces de la coalition ne soient en mesure de les intercepter ? Ne peut croire à de telles sornettes que quelqu’un qui ne se pose simplement pas de telles questions. Car les réponses sont logiques et simples. Dans sa globalité, la drogue ne peut « voyager » que par des chemins et des moyens contrôlés de près ou de loin par la coalition ou par l’un de ses alliés comme l’est le Pakistan. La drogue ne peut donc être acheminée que par des avions officiels de l’armée ou par des avions officieux, mais qui sont autorisés à atterrir et décoller avec leur cargaison et dont nul n’ignore, de ceux qui ne doivent pas l’ignorer, quelle est leur destination.

De plus, il est impossible et non pas seulement impensable, que les plus hautes autorités des pays de la coalition ne soient pas au courant de ces trafics. Être au courant signifie approuver et approuver implique d’y participer. Reste à chacun à déterminer le type de participation auquel il a droit ou qu’il peut s’autoriser.

Il va de soi que là les choses ne sont plus aussi évidentes et que des conflits « internes » ne manquent pas d’avoir lieu entre les différents niveaux d’organisation et de pouvoir qui officient dans cette économie illégale, car nul n’ignore que partout dans le monde ce sont les mafias qui contrôlent la vente des drogues. Il peut donc y avoir des formes de guerre larvée ou réelle pour le contrôle de telle ou telle partie du magot, mais l’ensemble reste en fait relativement contrôlable grâce aux sociétés écrans qui permettent directement ou indirectement de faire circuler l’argent récolté et de la blanchir. C’est pourquoi les États, leurs chefs et certaines de leurs structures comme leurs services si bien nommés secrets, sont aujourd’hui partie prenante de l’économie illégale mais aussi de cette autre strate devenue autonome comme la dernière crise l’a parfaitement montré, que sont les marchés financiers. En effet, l’argent illégal ne peut pas arriver ailleurs que dans ces bourses où se négocient sans que l’État ne puisse là plus contrôler l’avenir des profits et la paupérisation des peuples.

C’est pourquoi l’on finira un jour par trouver que Pablo Escobar avait plus d’amour pour son pays et ses concitoyens que les présidents de la république qui se sont succédés avant et après lui, car il a de facto réellement réinvesti certains de ses bénéfices colossaux dans des entreprises dont le but était de leur donner du travail, un logement ou des moyens de subsistance.

Il n’est donc pas logiquement possible qu’un trafic d’une telle ampleur puisse échapper à la connaissance et au contrôle des principaux acteurs sur le terrain. Il est non seulement impensable, mais impossible en effet, que les Divinants en chefs et autres tyrans de pacotille ne soient eux-mêmes devenus des acteurs réels de cette économie illégale, par réseaux interposés sans doute mais avec un droit de regard et de contrôle réel.

Nous savons depuis des décennies que la décolonisation a donné naissance à des tyrans avides de pouvoir et de sang. Ils ont pu apparaître comme des exceptions au cours des années soixante, même si leur collusion manifeste avec des chefs d’État, comme l’ont révélé tant d’affaires singulières, ne peut être mise en doute, et inversement.

Nous avons vu des chefs de petits États être arrêtés et emprisonnés pour activités illégales, dans le trafic de drogue en particulier. Ce n’était pas tant parce qu’ils avaient agi ainsi que parce qu’ils avaient eu des ambitions et des besoins disproportionnés par rapport à leur fonction réelle dans l’économie illégale à laquelle ils participaient. Nous avons vu des chefs d’État plus sages se contenter de tenir leur rang et leur rôle en assurant dans leurs avions officiels une petite partie du trafic et qui ont vécu longtemps. Tous étaient chefs d’État de pays en voie de développement et les chefs des États occidentaux ne pouvaient en aucun cas être soupçonnés de prise d’intérêt dans l’économie illégale, mais seulement dans des affaires mineures comme celle des diamants par exemple. Le triste bénéfice de l’action illégale était donc laissé à ces tyranneaux du tiers-monde, les États se contentant d’engranger les bénéfices des trafics légitimés sinon légitimes comme ceux des armes.

Mais nous avons vu pendant près d’une décennie le président de la première puissance du monde être le pantin d’intérêts privés et obéir à leurs ordres au-delà de toute raison. C’est ainsi que ces guerres iniques qui ont été déclarées lors de sa présidence, font aujourd’hui encore la une de l’actualité par le nombre de morts qu’elles engendrent et par l’échec dont elles témoignent, si ce n’était encore une fois que leur échec n’en est pas un mais bien un des aspects que prend la gouvernance mondiale.

Il n’est donc pas étonnant de voir un président de la République française, à peine élu aller montrer sa soumission au président de l’État considéré encore comme le plus puissant de la planète. On s’inquiète moins de la signification réelle qu’il faut attribuer à d’autres voyages, à d’autres invitations comme celle émanant d’un trafiquant notoire mexicain et de la visite à laquelle elle donna lieu, visite qui ne fit l’objet d’aucun commentaire mettant en lumière le nouveau statut d’un chef d’État comme acteur de l’économie trafiquante.

Il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit là en rien d’une question de morale personnelle mais bien d’adaptation de l’individu aux nécessités nouvelles de sa fonction. Par contre, cela a des conséquences importantes pour ne pas dire graves, puisque lié de facto à l’économie illégale, un chef d’État aujourd’hui ne peut plus, sauf à risquer sa carrière et sa vie, prendre des mesures qui viseraient à combattre ou même seulement à réduire l’autonomie et la puissance réelle de l’économie financière devenue autonome et dont tous les États sont aujourd’hui les otages. Les mésaventures de la Grèce viennent de le montrer, et de faire aussi comprendre que ceux qui peuvent venir en aide à un otage maltraité ne sont eux-mêmes que des otages à plus haute valeur ajoutée. Cependant, c’est un autre aspect qui se révèle ainsi, à savoir qu’il n’y a actuellement plus personne pour s’opposer, pour penser pouvoir le faire et encore moins pour s’y autoriser, à la destruction générale de l’économie réelle par l’économie financière dont le fonctionnement est identique à celui de l’économie illégale, dans ses manières comme dans ses moyens car leurs buts sont les mêmes, générer des profits sans limite par une mise en coupe réglée du monde effectuée avec le cynisme d’appareils dénués d’affects et d’individus que rien ne touche.