samedi 27 juin 2015

Accueil > Voir, Lire & écrire > Lire & écrire > Tu vois pas qu’on voit rien

Tu vois pas qu’on voit rien

Capturer le surgissement – IV

, Fabienne Yvert

Un masque pour regarder au fond. Assez loin du bord, après les bouts de falaise tombés, plus bas, plus loin, les herbiers de posidonies comme de grands massifs posés sur le sable.

Promenade au-dessus du jardin, d’un bosquet à un autre, retrouver certains dessins, apprécier les ondulations, les rondeurs des contours ; suivre les reflets argentés des poissons qui passent à travers, qui jouent dans leurs cheveux verts et châtains clairs. Quand la visibilité est réduite, deviner un peu plus loin une autre tache brune où poursuivre le circuit ; veiller à hauteur de nage qu’aucune méduse indolente-transparente se laisser porter dans des parages urticants.

Le matin, quand le soleil n’est pas encore trop haut dans le ciel, le retrouver au fond de l’eau, qui éclaire obliquement les posidonies. Ou c’est l’inverse, aller-retour : les raies de lumière, qui convergent vers le fond, en viennent également.
Soleil noir englouti. Rayons laser des jardins de Glaucos. Ou boîte de nuit dont les portes marines s’ouvrent au matin. C’est la fête, chaleur-éclat de la lumière dans le liquide frais. Fascination de la nage dans les rayons mouvants ; nager dans le ciel liquide, en suspension dans les rayons. Bain de réfringence.
Réfraction et réflexion du changement de milieu.

Quand trop de particules en suspension réfléchissent le rayonnement solaire, le fond disparaît dans les turbidités. Nager dans l’eau turbide, être nulle part, sortie extravéhiculaire où ciel et terre n’existent plus, simple arpenteur d’un espace métaphysique relié à un tuba terminé par un scotch fluo.

Ou reconnaissance en avion, quand la mer est claire comme une piscine. Survol de la carte. Là, une soucoupe volante qui rase le sable, heu non, c’est une grosse sole, et plus loin 2 jeunes qui se poursuivent et jouent les invisibles quand elles perçoivent la masse sombre au-dessus qui les observe. Devenues petites bosses de sable avec des yeux qu’on devine, dans les ondulations lumineuses hypnotiques que le soleil dessine.

Et là, un abruti sortant de l’eau qui se met une (rare) étoile de mer sur son crane rasé pendant que son copain le prend en photo pour immortaliser ses prouesses ; il a l’air content de lui ; étoile qui prendra tellement la poussière sur une étagère qu’elle finira à la poubelle.

Devenir maître du monde, capturer jusqu’aux étoiles. Au pied pour la photo ! On s’en fout de la vitesse de la lumière derrière les Ray-Ban®. Vintage, ça remonte pas à plus de 4 milliards d’années.