LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue, n°87


Éditorial

« J’ai en vue dans la genèse de l’image involontaire qui habite la perception, qui meut le voir, à mi-chemin du fantasme et du rêve, que je cherche à méditer, une espèce de point antéoriginaire.
C’est ce point qui précède la possibilité même de la peinture : il est comme sa pupille.
Pupille qu’on peut dire, dans ce cas, orificielle.
Trou béant dans le visible.
Trou qui s’entrouvre, sans qu’on y voie, au bas du ventre des femmes qui poussent, lors de la parturition, par où le nouveau du temps passe. »
Pascal Quignard (L’enfant d’Ingolstadt, p.228)


TK-21 LaRevue
ouvre ce numéro 87 avec Alexander Kluge, auteur d’une œuvre d’une ampleur rare et qui n’a aucun équivalent dans les lettres françaises, car il est autant écrivain que cinéaste et penseur. Nous avons choisi d’explorer les divers aspects de son travail jusqu’en juin, date d’un colloque qui lui sera consacré à Cerisy-la-salle, non sans mettre l’accent sur les deux volumes actuellement disponibles en France de Chronique des sentiments publiés chez P.O.L. Avec sa complicité et celle de ses amis nous tenterons donc d’établir une cartographie du « plurivers » qu’il a engendré.

Jean-Louis Poitevin poursuit sa « lecture » de Chronique des sentiments, II par un retour sur cette figure qui joue un rôle non négligeable dans ce livre, celle de Julian Jaynes. En évoquant comment la bicaméralité s’est changée en une occupation de notre cerveau par l’ennemi, Alexander Kluge nous permet de saisir l’ampleur de notre « soumission » à ces voix du dehors qui plus que jamais ont pris le contrôle de nos esprits.

Nous publions ensuite la première partie de l’entretien qu’il nous a consacré lors de son dernier passage à Paris en septembre. Pour cette séquence, il se trouve en compagnie de Julia Marchand, commissaire à la fondation Van Gogh d’Arles. Ensemble ils évoquent l’exposition James Ensor & Alexander Kluge : Siècles noirs, qui ouvrira le 17 Novembre. Cornelia Geiser assure la traduction.

Dans la seconde partie de l’entretien que nous a accordé Marie Azevedo qui, pour l’occasion, était entourée de Gilles Boisaubert et de Christophe C., ce sont les possibilités innombrables de se créer de nouvelles identités qui sont évoquées. Ainsi, aujourd’hui, ce ne sont pas tant ou pas seulement les documents matériels qui sont susceptibles d’être falsifiés, mais c’est la possibilité de se fabriquer des identités qui nous est offerte par la seule manipulation des images de ces documents, images récupérées ou fabriquées électroniquement bien évidemment, remarque Jean-Louis Poitevin dans le texte qu’il consacre à cette deuxième partie de l’entretien.

Rencontrés par TK-21 en Russie cet été lors de la biennale de Shiriaevo, the Antibody corporation ont réalisé à Montreuil, avant leur retour aux USA, une performance montrée intégralement. Adam Rose and April Lynn are Chicago based artists involved with performance art who are also thrilled about presenting their work in various contexts around the world. In the middle of their world tour this summer they had a chat with Ivo Ivanov (Sofia Underground) about influences and what is it to be an antibody performance artist on the road.

Jean-Louis Poitevin poursuit dans sa Logiconochronie XXXI son interrogation sur cette entité censée nous constituer et être à la fois nous-même et plus que nous-même et que l’on nomme la conscience. On trouvera dans ces notes retrouvées et datant de 2006 un écho aux préoccupations d’Alexander kluge lorsqu’il parle de Julian Jaynes.


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entame ici une relation d’échanges avec la revue Les cahiers de Tinbad dirigée par Guillaume Basquin, éditeur des Éditions Tinbad, qui publie dans son numéro 6 paru en septembre, le tout premier texte jamais consacré aux Chants de Maldoror et qui est signé Léon Bloy.
« On parle beaucoup de la littérature vécue, des livres vécus. La plupart des romanciers contemporains nous donnent ainsi à flairer leurs petites affaires de cœur. Je veux me persuader que ce barbarisme finira par tomber dans le ridicule » écrit ce dernier. Il semble qu’il n’ait pas eu raison sur ce point mais bien sur l’autre qui consistait à voir dans ce livre devenu culte celui d’un fou. « Car, c’est un vrai fou, hélas ! un vrai fou qui sent sa folie, qui s’arrête subitement de nous raconter sa soif d’un monde infini, pour exhaler ce cri déchirant : « Qui donc sur la tête me donne des coups de barre de fer comme un marteau frappant l’enclume ? »


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se réjouit d’accueillir deux nouvelles auteures avec lesquelles nous espérons poursuivre une collaboration fructueuse.

Monika Marczuk est philosophe. Nous publions aujourd’hui un remarquable essai sur un texte de 1970 de l’écrivain et penseur Pierre Klossowki intitulé La monnaie vivante. Elle parvient en quelques pages à lever une part du mystère qui s’attache à ce texte hors normes. Monika Marczuk écrit également de remarquables chroniques sur l’art dans son blog monikamarczuk.com.

Pauline Lisowki, elle, a un parcours riche centré autour de l’art et travaille comme commissaire, elle écrit désormais régulièrement pour des artistes. Elle nous livre aujourd’hui une chronique sur La cartographie ou le monde à déchiffrer, une exposition qui se tient à la galerie IMMIX, à Paris. Elle y évoque la cartographie qui est un objet artistique et scientifique ouvrant l’imaginaire. Car la carte, à la fois pour ses caractéristiques plastiques et pour ses usages multiples, constitue un support pour les artistes. On y croisera les œuvres de Brankica Zilovic, Valentina Vannelli, Sylvie Bonnot, Isabelle Chapuis, Daphné Le Sergent et Camille Sauer dans une exposition conçue par le commissaire Bruno Dubreuil. Vous pouvez aussi la retrouver sur son blog le corridor de l’art.

Présent dans la revue par ses vidéos décalées, Frédéric Atlan expose à partir du 29 octobre pour une courte période à Paris, à l’espace Beaurepaire. C’est une occasion de découvrir les œuvres, peintures et photographies, mais aussi vidéos de cet artiste hors norme. Dans son texte, Muriel Louâpre remarque que « Si le numérique n’était qu’une opération mathématique, il calculerait des superimages comme il y a des superhéros ; si le numérique était une opération chirurgicale, il serait la décomposition inoculée au monde sensible. Mathématiques et chirurgicales, les opérations sur toile effectuées par Frédéric Atlan, interrogent ce que le numérique fait au réel, ce qu’il reste de pouvoir à la peinture. » Jean-Louis Poitevin, lui, analyse ce que l’artiste nomme ses tétragrammes et la manière dont ils permettent un passage de la peinture à la photographie qui révèle une part du secret qu’elles partagent.

Guillaume Dimanche exposera à partir du 6 novembre à la Ville A des arts son travail plastique. Locations, tel en est le titre, est présenté par Laurent Quénéhen qui remarque à ce sujet : « Fruits de divers séries ou thèmes, l’ensemble des photographies de cette exposition offre un regard en séquence. Elles s’interrogent et se répondent. Elles questionnent sur la réalité de l’histoire, sur la globalisation, sur les différentes attaches qui peuvent se nouer entre chaque sujet. »
Nous reprendrons à partir du prochain numéro l’exploration du Qatar entamée le mois précédent.

Jean-Christophe Ballot présentera bientôt un ensemble de vanités à la Galerie Loo & Lou de la rue Georges V, sous le titre L’éternité et un jour. Jean-Louis Poitevin explore ces images à partir de l’élément qui en constitue le ressort, le sujet et le motif, un crâne en résine. Déployé dans des espaces « joués » tel un dé improbable, ce crâne nous entraîne dans une méditation sur les fins de l’homme, tout en distillant comme un parfum d’angoisse. La magie des images le métamorphose en effluves agréables.

Dans le cadre de nos échanges avec la revue Corridor Élephant, nous accueillons les images d’Isabelle Otto, diplômée de l’école Nationale Supérieure du Paysage de Versailles, qui a mené de front pendant plus de 15 ans un travail sensible et engagé sur le paysage et une recherche plastique autour du corps et de l’espace par la photographie et la sculpture. Ici, c’est la montagne et la neige qui constituent le sujet de cette confrontation avec des questions essentielles sur notre situation intramondaine.

A la Galerie Fernand Léger à Ivry sur Seine et à voir jusqu’au 15 décembre, Claire Maugeais lève le rideau sur la ville à l’ère de la gouvernance par les nombres. Dans le texte qu’il lui consacre, Jean-Christophe Nourrisson questionne : « La médiation technique serait-elle en voie de déresponsabiliser tout geste ? L’opaque vulgarité de la transparence binaire, qui conduirait l’humanité vers l’exclusion du tiers, est-elle une farce cruelle dont seuls, peut-être, les tunnels creusés à la frontière de nos zones de confort nous délivreront ? »

Une belle cohorte d’artistes sera présente à Topographie de l’art pour Des artistes & des abeilles. Cette exposition a été conçue par Martine Mougin et Karin Haddad et présente un florilège d’œuvres dans lesquelles sont en jeu les relations entre homme et abeilles, qu’on y interroge par exemple leur morphologie, leur danse ou leur manière d’utiliser le pollen.

L’exposition Fragile qui se tient à la galerie de l’est à Compiègne, un lieu unique en France qui travaille sur les relations est / ouest en art, réunit la photographe surréaliste et spirituelle Laura Makabresku (Pologne) et la sculpteure Daria Surovtseva (Russie, France, Prix de l’ICART 2018 pour Innovation dans la Sculpture). Le travail photographique de Laura Makabresku évoque la fragilité des relations humaines tandis que les sculptures en porcelaine de Daria Surovtseva nous présentent la fragilité de la beauté matérielle, remarque Maxime Kapral-kastel dans le texte qu’il leur consacre.

Dans la partie consacrée à la littérature qui clôt généralement chaque numéro, nous accueillons Guillaume Basquin qui évoque ici pour nous « LA TE LI ER », un ouvrage de Jacques Cauda, qui est aussi peintre, paru chez Z4 éditions. « Chez l’animal, le jaune s’oppose merveilleusement au noir : la guêpe, le zèbre, le tigre et le dronefly. C’est la couleur du gai savoir ». Comment l’obtient-on ? Eh bien, par cut-up tout à fait burroughsien (toute couleur chez le peintre inventeur du mouvement surfiguratif étant un palimpseste). » Un univers à découvrir, ici, dans ce numéro 87 de TK-21 LaRevue.

Werner Lambersy nous fait le plaisir et l’honneur de nous confier un nouvel inédit dont nous publions la première partie d’un texte intitulé Mémento du Chant des archers de Shu* — I/II, in memoriam Mark Rothko. Ce long poème s’ouvre par une citation d’Antonio Ramos Rosa : « La mort confirme que nous n’étions pas nécessaires et que la liberté seule ou son invention pourrait nous intégrer à la grande houle roulante de l’univers. » Le ton est donné. À nous de plonger.

Pour clore ce numéro, nous poursuivons le publication du texte inédit d’Alain Cœlho, Images d’aurore, avec le chapitre 6 intitulé Médina cathédrale qui, comme les autres parties, nous invite à faire un tour dans la Tunis des années cinquante et surtout nous indique comment chacun de nous peut plonger pour un voyage énigmatique dans la chair de ses souvenirs.


Photo de couverture : Olivier Perrot

De nombreux problèmes subsistent encore pour des utilisateurs de Safari. Le mal semblant être profondément ancré chez Apple, nous vous conseillons de lire TK-21 sur Firefox ou Opéra par exemple.
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