jeudi 31 mai 2018

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Sous les rinceaux précieux

, Joël Roussiez

Chapiteau, Faune et Jeune Femme Égorgeant un Monstre, Prieuré Notre-Dame de la Daurade 1165-75)

Dans la résille habitée d’un jardin sans maison, on entre doucement en regardant ses pieds comme si des herbes entrelacées devaient surgir des serpents ; et puis lentement subjugué, on sent par tout le corps des frissons de volupté. Les peuples du jardin aspirent comme l’amour, partout le regard se perd dans l’éblouissement des formes et la bouche toute ouverte cherche son souffle pour embrasser davantage… La nature n’est pas douce, la nymphe égorge des montres, le faune tranche des lianes… Ah, la tête tourne maintenant de tant de volupté, la nymphe qui se penche révèle sous les plis de la toge les rondeurs de ses cuisses et son pied levé avec élégance invite à suivre le cours des ruisseaux où s’entreprennent boucles et feuillages, ceux d’une vigne sans fruit que l’infini séduit comme à se mettre sous la main de la nymphe : advienne que pourra… Il nous vient des temps anciens des abandons complexes d’où la beauté surnage comme un éternel jardin.

Sur le bord du Jourdain

Chapiteau La légende de Sainte-Marie l’Egyptienne (détail) cloître de la cathédrale Saint-Etienne (?) 1120-1140)

Sur le bord du Jourdain, une silhouette se penche et tord ses cheveux, c’est Marie, cyprès flexible et beauté humiliée dans le vent des rumeurs malignes et des pèlerins douteux, sur la route de la rédemption, s’activant avec courage, sans regret aucun des douceurs du delta. Le chemin n’est pas droit pour satisfaire au destin et chaque décision est fortuite, toutes cependant mènent où il sera dit qu’il faut. Dans la nuit qui vient, le lion, la gazelle n’osent s’entreprendre en amont de la rive, troubler l’eau du fleuve par la soif qui commande est impossible tant la figure courbe, la tige de lotus, la fleur en son visage rayonnent : approchez, vous qui verrez ma fin ! Venez vers moi, le soir tombe et la fraîcheur s’installe, venez donc réchauffer mon corps las !... Et tous deux sur chaque flanc se disposent à fournir la douceur de leur peau. Le soir tombe, ils observent avec elle les mouvements des voiles nocturnes et haut parmi les rougeurs du ciel, distinguent déjà quelques étoiles… J’ai lavé mes cheveux des parfums entêtants et ma tête reposant sur le bord du fleuve admire le soleil qui se couche. Demain sera un autre jour… Elle s’endormit, cheveux défaits, lune lisse au milieu des roseaux, son haleine à peine exhalait dans un sommeil léger sur lequel veillaient sous l’élégance de leurs forces gazelle et lion. Et pure créature, repentie selon ce qu’on raconte, Marie se délassant invite au délassement ; bientôt les animaux somnolent et la nuit s’étend avec ses profondeurs.

À quoi penses-tu dans le trésor de tes cheveux ?

Je me suis réveillée dans le sillage des marins, errante sur la route du départ, j’ai trouvé le fleuve et maintenant dans la pénombre de ce qui vient, derrière mes yeux naviguent les cols verts, les vanneaux au fil de l’eau luisante d’un jour tout nouveau… Et c’est joyeuse qu’au matin, elle s’éveilla aux lisières du désert qui attendait sa proie et qui, comme le Dieu cruel récompense en infligeant souffrances d’ici-bas, appelle ainsi avec désespoir la pauvre créature à rectifier l’erreur d’être en vie.

Il est des mondes invisibles

Chapiteau Personnage et animaux dans des Lianes, cloître de la Basilique Saint-Sernin, 1120-1140

Il est des mondes invisibles qui font par des indices tinter les rideaux d’imprévisibles grottes où s’ouvrent des chemins sous les tonnelles familières qui offrent des fruits d’une grande saveur. Parmi logent aussi des animaux divers, toutes créatures curieuses et joyeuses qui rampent et se trémoussent au milieu des feuillages, celui qui s’aperçoit qu’au-delà respire ainsi comme les morts ensevelis des êtres impalpables et cependant présents, celui-là donc s’envole dans des coulées et bouillonnements de phénomènes qui engendrent et renouvellent l’existence… Il peut partir dans la forêt sans arc, ni sagaie, le puma passe son chemin ou l’observe de loin ; le singe laineux virevolte autour de ses cheveux ; et les grands serpents offrent à son pied l’assurance des lianes. Qui traverse ainsi les territoires et les marais passent imperceptiblement au milieu d’un jardin où sèment les esprits et récoltent les anges, tout à fait comme lui qui s’en réjouit, passant les lacs et les étangs où sa pêche est si bonne qu’il doit se reposer et en offrir le fruit aux jaguars. Le fourmilier ne mange que des fourmis, lui-même pêcheur dans un invisible chez lui mange presque de tout et se régale surtout des différentes saveurs et même parfois de celles qu’il n’aime pas. Il pense sur le bord de l’étang avec l’impondérable poids des morts à son côté, sa besace remplie et les mains libres, il pense que c’est si bien d’être bien que le bien doit être ce qu’il ne cherche pas. Alors que cherchera-t-il donc lui qui aime spéculer ?