lundi 1er mai 2017

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Rendez-vous

, Laëtitia Bischoff

L’art comme tout autre lieu est un espace de rendez-vous, avec vous visiteur, amateur, éclaireur mais pas que.

Les formes parfois, la composition toujours est une question de rendez-vous … peu importe l’espèce (humain, animal, forme, couleur, matière) la rencontre est affaire de miroitement, d’espace et de regards.

La drague

Il y a de quoi revisiter l’histoire de l’art, de l’invitation pastorale du XVIIIe au coït formel proposé par Mondrian. Mais j’ai envie pour tout débuter, pour vous hameçonner quelque peu, vous présenter la bergère de Paulus Moreelse, personnage d’une œuvre commanditée pour flatter la virilité de son acquéreur. Aujourd’hui sur les cimaises du Musée de Grenoble, elle se tient au coin de deux salles, cherchant à attirer sur elle tous les yeux des visiteurs qui devant elle, passent. Peu importe l’âge, le sexe, l’habillement, elle n’est plus l’exclusive, elle offre sans choisir.

Contez moi ce regard
prunelle noisette
petite bouclette
tombante
Je t’aguiche
je t’emmène
Mon attribut se porte à l’air
il se pointe
pour éveiller
quelques gourmandises
L’herbe est si fraîche en cette saison
viens mon berger
nous finirons
la nuit dans les foins
Ma rose répond
à la couleur de mes joues.
il faudra que j’en change bientôt
pour une rose plus rouge.

Oh toi spectateur,
que fais-tu encore si vêtu ?

La course poursuite

S’ensuit une course poursuite, où l’un cherche l’autre et l’autre cherche l’un. Sur une toile figée de Nemanja Nikolic, les formes et les couleurs sont toutes affairées à se rattraper, se joindre, se repousser. Les teintes sont travaillées autant que les espacements et les dimensions. Chacune dévoile sa couleur précise, sa juste forme pour briller aux abords de cet autre convoité. La touche est alors millimétrée, la rencontre aussi secrète que précise. Les contraires font les beaux couples, un rond pour une piquante, les secs avec les généreux, les voyageurs et les sédentaires, les moroses vont aux exaltés.
Sur les rails de Nemanja Nikolic, il y a comme un « dating » pictural, jovial, doux et divers comme une farandole de tables de restaurant complet pour ce soir.

Symbiose ou rupture

La condition de l’eau est l’horizontalité,
la condition de la sculpture la verticalité.
Lever l’eau est un moment poétique.
La condition de l’eau est d’être informe,
la condition de la sculpture est la forme.
Donner une forme à l’eau est un moment poétique.
La condition de l’eau est fluidité, la mutation,
la condition de la sculpture est la solidité, la permanence.
Donner de la solidité à l’eau est un moment poétique.
Lever l’eau pour la boire est un nécessité vitale,
visualiser cet événement
c’est construire quelque chose qui nous ressemble.

Giuseppe Penone, 1976

D’une rencontre primaire presque frontale se dégage une poétique ... Penone laisse l’élément naturel donner, s’offrir, continuer. La distinction des contraires révèle souvent leur complémentarité, à l’image de l’eau et de la sculpture (et à travers elle, le geste humain). La jonction semble belle à imager, à entamer dans la sphère des mots et des pensées. Un rendez-vous réussi a tout d’un moment symbiotique. Parfois cette rencontre se fait physique et ressemble à un clash des essences : une verticalité au contact de la mer de nuages ou des montagnes, une juxtaposition en croix, un tableau de Caspar David Friedrich. S’agit-il d’une simple confrontation sublime ? Est-ce notre regard d’aujourd’hui qui fausse la possible réussite de symbiose dans ces tableaux ?

Lors de nos rendez-vous, avec un semblable ou un élément, se combine à la plongée dans la matière, une envie d’alchimie.

« Cela n’empêche que j’ai un besoin terrible de – dirais-je le mot – de religion, alors je vais la nuit dehors pour peindre les étoiles » Lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo, le 29 septembre 1888.