lundi 1er mai 2017

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Penser le son dans les films pornographiques

Réalité sonore des films pornographiques

, Clémentine Ader

Pour ce numéro 69 de la revue, nous avons choisi de nous interroger sur la part du réel dans le cinéma pornographique, non pas du point de vue des images mais bien de celui du son.

C’est toujours le visuel qui est mis en valeur et que le spectateur remarque en premier. On prête effectivement peu d’attention aux sonorités illustrant les images crues des films pornographiques, tant celles-ci fixent l’attention du spectateur, quitte à ce qu’il en oublie la façon dont elles sont mises en scène. Les films pour adultes n’auraient pourtant pas la même intensité émotionnelle si le son n’était pas aussi présent. Mais si nous parlons de l’importance du son dans ce type de cinéma, est-il spécialement étudié pour donner plus d’intensité aux images et davantage les mettre en valeur ? Y aurait-il, comme le souligne Daniel Deshay, confirmation du visible par le son  ?

Réalité sonore des films pornographiques

Au cinéma, le son accompagne l’image mais n’est jamais au premier plan, fait remarquer Daniel Deshay. C’est toujours le visuel qui est mis en valeur et que le spectateur remarque en premier. [1] On prête effectivement peu d’attention aux sonorités illustrant les images crues des films pornographiques, tant celles-ci fixent l’attention du spectateur, quitte à ce qu’il en oublie la façon dont elles sont mises en scène. Les films pour adultes n’auraient pourtant pas la même intensité émotionnelle si le son n’était pas aussi présent. Mais si nous parlons de l’importance du son dans ce type de cinéma, est-il spécialement étudié pour donner plus d’intensité aux images et davantage les mettre en valeur ? Y aurait-il, comme le souligne Daniel Deshay, confirmation du visible par le son  [2] ?

Labor of love

Les sons des films pornographiques sont-ils réels ?

Le son, dans les films pornographiques, est-il réel ? Est-il tout à fait fidèle aux images que nous voyons ? Les sons que nous entendons - bruits ambiants, voix des différents protagonistes - correspondent-ils entièrement aux images diffusées ?

S’agit-il de sons réels, de sons ”bruts” issus des différentes scènes pornographiques, ou de sons ”arrangés”, ”fabriqués” afin d’accompagner subtilement l’image ?

Les sons provenant des films pour adultes existent-ils a priori ou sont-ils associés dans un second temps aux images pour apporter une dimension plus réelle aux films ? Pour tenter d’éclaircir notre question, nous nous appuierons sur l’activité passionnante de Grant Meyers, un foley artist ou ”preneur de son” pour les films pornographiques. Le documentaire de Jack Pearce, Labor of Love [3] , montre l’artiste en train d’effectuer son activité de preneur de son.

Un preneur de son se définit littéralement comme une personne qui ”enregistre des sons” sur son chemin avec des micros, et qui lui serviront à créer les bruitages pour les films ou à en constituer l’ambiance sonore.

Si la vidéo Labor of Love est factice, elle est une juste illustration du métier de preneur de son en général. Elle nous permet de nous interroger d’une part sur la façon dont le son est pensé dans la réalisation d’un film pornographique, comment il parvient à mettre en valeur l’image plus qu’à l’"accompagner" tout simplement et, d’autre part, de nous concentrer sur le discours du créateur sonore lui-même, affirmant que le le son dans le cinéma érotique a une part primordiale. Sans le sonore, l’émotion ressentie serait moindre.

Labor of Love est un documentaire surprenant, montrant Grant Meyers à la recherche de sons rares et improbables qui pourraient servir à constituer une bande son de film pour adulte. Si cette vidéo est un ”fake”, c’est bien la démarche même de l’artiste preneur de son qui nous intéresse ici. Qu’elle ait réellement permis ou non à la réalisation d’un film pornographique, peu importe.

La première partie de Labor of Love le montre en train d’arpenter les rues de New York, parvenant à saisir sur le vif, à l’aide de son micro, le bruit d’une porte de voiture qui claque, puis tentant de rattraper un sac plastique qui s’envole pour ”capter” le ”son” qui s’en dégage. Plus loin, il se glisse entre deux joueurs de tennis et enregistre le son de la balle en mouvement, retentissant entre eux deux.

Si l’artiste n’était pas là pour ”remarquer” les sons de son entourage puis pour les faire exister à l’aide de son micro, nous ne soupçonnerions sans doute pas qu’ils existent.

La démarche de Grant Meyers s’apparente à celle du « Fieldrecording », une pratique récurrente de l’art sonore, se caractérisant par sa capacité à « saisir », au hasard, des sons avec l’appareil qui enregistre pour mieux nous les faire écouter. [4]

Les preneurs de sons sont-ils les nouveaux créateurs de sons érotiques ?

Dans la deuxième partie du documentaire, l’artiste n’est plus à l’extérieur mais bien dans son studio d’enregistrement, non pas pour saisir des sons sur son passage mais pour en "recréer" de nouveaux. Il aime ”fabriquer” des sons pour les films pornographiques, indépendamment de sa propre activité de preneur de son.

En traitant le son, en le mixant, je fais acte de réécriture d’un réel, en toute conscience, je me joue de lui (...), fait remarquer Daniel Deshay. [5]

Un marteau, ou encore un liquide coulant d’un plastique quelconque sont utilisés par Grant Meyers à des fins artistiques : ces objets ordinaires vont ou pourraient servir de base à toute la bande son d’un film X. C’est parce que l’artiste les prend au hasard, dans son entourage, les ”repères” qu’il va en faire un réel outil de travail. Avec lui, les objets du quotidien deviennent matériaux de création à part entière. Le son est une expérience physique constate l’artiste. [6]

A l’aide d’un objet ordinaire trouvé là - une ventouse - ou en bougeant sa bouche d’une façon particulière, il sait ”recréer une sonorité” spécifique évoquant chez le spectateur des univers sonores familiers issus de films pornographiques : un gémissement, une “masturbation”...

Les preneurs de sons sont-ils les nouveaux créateurs de sons érotiques ? se demande Jack Pearce. [7] Existe-t-il réellement une pensée sonore pour les films pornographiques ? Grant Meyers explique que dans l’érotisme, tout se joue au niveau sonore. [8] Le son parvient-il à mettre en valeur l’image dans les films pornographiques ? Participe-t-il réellement à l’intensité émotionnelle qui s’en dégage ?

Labor of love 2

Imaginaire sonore

Daniel Deshay explique que c’est parce que nous ”connaissons” ces sons qu’ils prennent toute leur importance. C’est parce que l’artiste, tout comme le spectateur, ”connait ces sons”, issus de l’imaginaire des scènes de films pornographiques qu’il parvient à les reconstituer mentalement et à les associer aux images. C’est parce que nous avons déjà connaissance de ces univers sonores provenant des films pour adultes que nous imaginons parfaitement qu’ils puissent en illustrer les images.

Le son produit chez l’auditeur un besoin de retour d’image, précise Daniel Deshay. [9] C’est bien notre imaginaire qui nous guide dans notre
compréhension des sons. Je comprends les sons que j’ai déjà associés en images. Les sons font partie de nous, c’est notre mémoire qui fait qu’on les reconnaît, souligne Daniel Deshay. [10]

Dans Labor of Love, nous ne partons pas de l’image pour parler du son, mais bien des sons eux-mêmes, qui serviront ou pourraient servir à illustrer les images pornographiques d’un film. On imagine les images à partir des sons proposés par l’artiste. A partir du son, nous pensons l’image.

L’auditeur s’appropriant le son le personnalise, construisant ses mondes par sa mémoire. Les images sonores apparaissent alors, rappelle Daniel Deshay [11]

Et Grant Meyers de dire, You can close your eyes but you can’t close your ears, they’re always open.

Notes

[1Daniel Deshays, Pour une écriture du son, collection Klincksieck

[2Daniel Deshays, idem

[3Sound in porn movies : are foley artists the next creators of sexual noise ? h7p ://www.soundesign.info/2014/09/02/sound-­‐porn-­‐movies-­‐foley-­‐ar0sts-­‐sexual-­‐noise/

[4Le field recording, ou enregistrement de terrain, est une pratique apparue logiquement à la fin du XIXe siècle avec l’invention de systèmes d’enregistrement, de plus en plus portables. Peu à peu, le studio perd de sa fatalité et l’homme peut partir par les chemins pour capter quantité de musiques et de sons. Les premiers à se lancer sont les ethnomusicologues et les audio-naturalistes. Les uns sont en quête des musiques de divers peuples de la terre, vivant souvent loin des grandes villes et de leurs facilités logistiques. Les autres souhaitent quant à eux conserver la trace des sons de la nature. Alexandre Galand. http://lemotetlereste.com/musiques/fieldrecording/

[5Daniel Deshays, voir note 1

[7cf note 6

[8cf note 6

[9cf note 1

[10cf note 1

[11cf note 1

Voir en ligne : Labor of love