mercredi 28 octobre 2015

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Paroles d’institution

, Virginie Balabaud alias Globuline

L’écrit suivant fait suite à une réunion regroupant des membres de différents corps de métier d’un service de psychiatrie pour adultes, des professionnels de la santé animés par l’idée d’échanger sur la perception de la psychiatrie actuelle.

Cette parole a permis dans un premier temps de croiser des histoires professionnelles singulières, par le partage d’expériences et de parcours distincts, et d’en d’appréhender ainsi les retombées thérapeutiques dans des espaces de soins et de temps différents, de tenter d’en évaluer les avantages et les limites.

Le plus grand ressort commun s’est de suite situé dans la crainte de perdre le petit chemin de pensée issu des années 70, celui, porté par des philosophes, historiens, psychiatres (Tosquelles dès 1948), qui par leurs critiques de l’existant, leurs écrits et leurs pratiques avaient réussi à penser la psychiatrie autrement, c’est-à-dire au plus près des valeurs humanistes fondamentales du respect de l’autre et de la tolérance.

La mobilisation militante de quelques-uns a alors permis de penser un usage de la psychiatrie qui ne la cantonne pas à l’enfermement, à quelques pratiques thérapeutiques barbares, ou au mieux aux progrès pharmacologiques. Par sa pratique de la clinique du sujet, la psychothérapie institutionnelle a largement souligné que le mode de pensée en médecine psychiatrique est spécifique car il tire du côté des sciences humaines et que le geste technique et le savoir scientifique ne sont rien sans le « savoir être » du soignant...

L’inquiétude actuelle porte donc sur cette nouvelle vision du soin, non plus issue de la pratique quotidienne pour aider le sujet à construire son altérité, mais plutôt issue d’un contrôle de normalisation portée par une pure logique comptable qui produit des chiffres et des tableaux accusateurs propres à l’effacement du corps et de la pensée.

L’idéologie dominante des décideurs se construit à partir de représentations étriquées de la folie qui ne servent en rien le bien-être humain et le philosophe Michel Foucault, en précurseur éclairé, nous invite par l’ensemble de son œuvre à nous alerter sur les méfaits, de l’assujettissement face aux rapports de domination. Selon lui « Aucun pouvoir, quel qu’il soit n’est de plein droit acceptable et n’est absolument inévitable ».

En accord avec ce principe, les professionnels du soin refusent l’attentisme et souhaitent ici partager les points essentiels de leur pratique de la relation afin d’offrir d’autres représentations que celle du conformisme intellectuel et d’une logique de réduction des coûts.

L’Hôpital psychiatrique est une institution particulière qui se concentre sur les drames de la condition humaine, c’est une organisation complexe, un cadre dans lequel se développe des pensées individuelles. C’est avant tout, une enveloppe soignante, contenante, et cadrante, dans laquelle on y négocie sur la peur de la mort, le passage à l’acte, le passé, la vie quotidienne... mais aussi les projets.

Dans ce contexte, contrairement à d’autres champs de la médecine, le temps nécessaire à chacun pour se rassembler et amorcer un début de cicatrisation n’est guère prévisible, les patients rejouent à leur rythme sous la forme du transfert institutionnel leurs problématiques. Cette enveloppe doit être solide, fiable et sécurisante pour que le patient se confie et se restructure, le manque de personnel et l’interchangeabilité permanente est source de confusion, l’organisation psychique ne le permet pas, ainsi les changements d’équipes provoquent l’angoisse car le contenant est ébranlé. L’enveloppe est de suite attaquée et l’on observe le délitement, des relations distendues, des cris, ou de l’évitement ; quand on manque de personnel soignant, la pauvreté de la communication se répercute dans le transfert institutionnel et provoque des passages à l’acte. Le soin atteint ici ses limites et se transforme en surveillance.

Les équipes pluridisciplinaires sont ainsi des fils conducteurs pour les personnes en souffrance, elles assurent une cohérence de plusieurs manières. Le soin en période de crise, lors d’une hospitalisation, est une étape qui permet d’évaluer la souffrance, de l’adoucir, de situer le patient dans son environnement familial, affectif et social, ce n’est pourtant qu’une étape pour créer au long cours un travail de liaison avec d’autres structures ouvertes sur l’extérieur tels les hôpitaux de jour, Institut du couple et de la famille, Centre Médico Psychologique, service de suivi de la réinsertion, ateliers d’Art thérapie, etc... (soit 90% des patients pris en charge) où des psychothérapies individuelles pourront se prolonger dans le temps. 

Quand pour des raisons économiques, l’hospitalisation est trop courte, le patient part sans avoir tissé des liens suffisants et ne poursuit pas de travail individuel sur le secteur, il se fait donc hospitaliser rapidement à nouveau et c’est un échec tant sur le plan de l’éthique du soin qu’en termes d’économie financière.

Les équipes pluridisciplinaires constituent l’alliance thérapeutique, celle-ci s’effectue dans l’échange par la présence directe auprès des patients ; par l’écoute, les gestes et les techniques de soins spécifiques à chaque profession, les soignants aident à créer du sens sur ce que chacun éprouve, visant ainsi à désamorcer les conflits et à redonner le sentiment d’existence physique et psychique face au morcellement. Les professionnels viennent chercher le patient dans toute son histoire avec leur propre mémoire, une certaine perméabilité est nécessaire mais il faut par ailleurs savoir se protéger de processus mortifères ou d’envahissement, travaillant avec ce qu’ils sont, ils sont directement exposés.

En psychiatrie, on ne soigne jamais seul, il est donc indispensable pour les membres des équipes de participer aux réunions cliniques afin d’échanger sur les perceptions que les différents professionnels ont de la souffrance du sujet, c’est un temps pour conceptualiser, pour l’échange des points de vue, l’évaluation des traitements, et la proposition de nouvelles idées d’activités thérapeutiques. Ce temps est précieux, il permet non seulement d’assurer une liaison avec les partenaires mais c’est aussi un moyen de se ressourcer, d’opérer un déplacement par la mentalisation face à la pesanteur de la pulsion de mort.

Ces réunions, comme on le voit, ne servent pas qu’aux transmissions mais ont valeur de représentation cohérente et unifiée du soin, c’est un espace plutôt démocratique où les décisions médicales sont prises après le partage d’arguments.

Le fait de réduire les équipes infirmières provoquerait à terme un dangereux déséquilibre avec le risque que le pouvoir de décision soit pris par les instances médicales sans une consultation suffisante auprès des équipes infirmières, celles-ci se retrouveraient alors assujetties, dans la situation d’obéir aux prescriptions en lisant les transmissions plutôt qu’en saisissant les enjeux lors de discussions cliniques.

On ne peut aider les patients à se ressentir sujet qu’en étant soi-même un sujet, avec une subjectivité autonome, une créativité et un sentiment d’accomplissement personnel dans sa mission. Il est donc impossible de renoncer à l’obtention de postes de soignants sous peine que le travail se vide de sens du fait d’un possible pouvoir médical monopolisé.

Enfin pour reprendre la riche pensée du philosophe et historien Michel Foucault, si devancière en matière d’analyse du pouvoir, nous nous permettrons juste d’observer un parallèle constitué d’indices pratiques précis entre les demandes d’EPP (Évaluation des Pratiques Professionnelles), si dévoreuses de temps et d’énergie mal placée ces dernières années, et le lien involontaire qui nous attache et nous plie au pouvoir.

L’obligation d’EPP exigée par les hautes instances de la santé met en lumière un usage cynique du pouvoir ; sous le prétexte de rationaliser le travail, elle oblige le personnel à construire ses propres barreaux en se pliant à l’exercice obéissant du remplissage de cases ou encore au minutage de chaque acte thérapeutique comme technique de vérité sur la pratique soignante. Ces petites « cases de prêt à penser » à l’image des grillages appauvrissent la liberté discursive d’où naît toute connaissance, c’est un regard qui fixe et qui permet ensuite aux décideurs de valider la prise de pouvoir en brandissant la figure tyrannique des chiffres. L’injonction extérieur du « Donnez-nous par les EPP, la Vérité sur votre pratique » nous amène à calquer la théorisation Foucaldienne sur la critique de l’aveu exhaustif dans le christianisme avec le principe de la confession, de la verbalisation des fautes et péchés, de la pénitence si le nombre de points n’est pas obtenu, et enfin de la rédemption, par l’acquisition de la certification par celui qui s’est donné le pouvoir de la remettre.

Pour l’équipe, rédigé par Virginie Balabaud