dimanche 26 juillet 2020

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Manière de faire ce qui se chante encore ou la mort de Rowshan — I

(Ferdowsi : Livre des Rois, chant et dotâr, Rowshan Golafruz) - Première partie

, Joël Roussiez

Je dis : il partit avec son cheval bai, ventre à terre...

I

Je dis : il partit avec son cheval bai, ventre à terre, c’est l’expression sur les routes du désert pour fuir dira-t-on loin de tout et de lui qui le poursuivait comme l’ombre poursuit l’ombre à la nuit tombante où les loups sont des chiens mais portent de fameux crocs. Je dis : il partit et la route devant lui était comme le mirage d’une piste, une rivière de poussière chanterait un poète, le cheval aveuglé en surplus du soleil, filait à l’allure des peurs et des courses de vainqueur, la route ne ménageait pas les surprises et les courbes en lacets conduisaient entre les rocs et sur les hauteurs d’Hamett d’où se découvrent les splendeurs du couchant. Un homme sur son cheval n’est pas maître de tout, sa monture est la seconde roue et sans elle point de course, on l’exprime ainsi. La route soudain comme s’enfonce un bâton mouillé dans l’eau d’un marécage, la route se retira en partie et les sables bougèrent sous la brise du soir. Je dis : il partit et il s’élança sur la route sans route aux rênes de son coursier ; le soleil tombait au bout de l’horizon et le rouge du ciel alors cramoisi s’étendait comme une nappe de sang, on le dit comme ça. Un regard, pas un, pas un seul sur la route qui disparaissait, la cavalcade fuyait devant elle avec le cavalier. Ne tire pas à gauche, ne tire pas à droite, c’est tout droit qu’il faut aller : vois le ciel et l’incendie… Dans son cœur, je le raconte, brûlait la flamme de haine et celle d’un amour et toutes deux en combat, on l’a ainsi écrit, ne se ménageaient pas. Mais la nuit lentement, sur les dunes et les ergs, la nuit avec ses yeux sans corps et son inquiétante pénombre avançait. Bientôt, on ne distinguait que les crêtes aux sables volatils et de crête en crête se faisait le chemin…

Ainsi toute la nuit, je le raconte encore, toute la nuit donc sur le cheval bientôt fourbu dansait la silhouette serrant rênes et monture dans le burnous volant, écharpe et brillance de soie sous les lueurs des astres, dira-t-on… Qu’ai-je fait, Leila qui cause mon malheur ? Qu’ai-je causé, mon frère Ali qui voulait mon bonheur ? La chanson de son crâne harcelait ses mouvements, il y eut un faux geste, une brusquerie soudaine, une violence d’éperons, une rudesse de bride ; il y eut, dit-on aussi, un caillou tranchant, une pierre pointue, il y eut du sable mou, une sorte de boue, un trou et le cheval, le cavalier, c’est tout un, tombèrent au creux d’une montagne de sable, une vallée dit-on étroite et profonde aux sables glissants, aux pentes prononcées. On l’exprime comme on peut.

Alors le drame comme une mouche s’enfonce dans le miel odorant, le drame se précipita sur les deux êtres infortunés. Il y eut tout d’abord des douleurs et deux cris, un échange de membres, un fracas de sellerie, une gesticulation désordonnée et puis une sorte de ouf, un silence sans inquiétude. L’homme jambe coincée sous le ventre dodu du cheval, l’autre pour ainsi le dire empêtrée dans le harnachement ; le burnous quoique déchiré liant quelques éléments de cheval et d’homme et tout ceci dans la nuit, sous la nuit des étoiles et pas une brise. Le cheval tenta bien des fois la relève par des assauts de forces du cou, des jambes et même de la tête accompagnant l’effort. L’homme de même tentant de désengager sa jambe à chaque sursaut et ainsi des heures et des heures… Et enfin de guerre lasse vint l’assoupissement, le repos du guerrier, l’abandon de la lutte. La lune passa au-dessus de la vallée étroite, la lune au visage blafard éclaira les choses sombres qui dormaient tout au fond et quelques hyènes alors vinrent rôder… Holà cavalier, il n’est plus temps de ne rien faire, holà cheval il est temps pour ta vie ! Alors mouvements de ressource, on les appelle ainsi, réflexes pour survivre, instincts de défense ou de conservation, le cheval le premier tenta de soulever cette outre de panse qui pèse si lourd et l’homme aidant d’un mouvement de reins, d’une secousse des deux bras, d’un coup violent sur la cuisse, l’homme se prenant au concert des forces tenta lui aussi de sauver leurs deux corps. Les hyènes n’approchent que si elles sont sûres mais les voilà si près qu’on désespère peut-être. Et il ne le faut pas, et l’homme s’y emploie et le cheval fatigué cherche les forces qui manquent. Où les trouvera-t-il ? Je le raconte plus tard…

II

Holà, holà ! La cavale ne cavale plus le cavalier non plus. Je le dis, ils partirent pourtant, de la dune se sauvèrent et comment ils parvinrent au bord du fleuve Mahad et s’y baignant tous deux, la monture et le montant, ils furent emportés sur le fleuve Mahad comme de vieux matelas s’agrippant l’un à l’autre avec le harnachement, avec le long burnous, mêlés l’un à l’autre comme les eaux le sont qui les portaient au loin, très loin dans des pays curieux où personne ne se souviendrait d’eux. Ah, ah, youp, youp, youp ! On flotte comme une éponge avec le poids lourd des vêtements, on le raconte, ce sont de vieilles algues, dit-on sur les berges où vont parfois des promeneurs et aussi des pêcheurs… Aïe, aïe, les berges sont rugueuses, on y déchire sa peau, le poète l’a chanté : comme des herses de pierres sont les rives du Mahad. Yahoup, yahoup ! La cavale, le Cavalier tous deux emportés au détour d’un méandre sur l’île Mandorh accostent fatigués, endormis ; encore bercés par les eaux, ensevelis en leurs assoupissements, a-t-on écrit, ils abordent la rive par la plage du nord, épaves de vieil arbre, paquet de branches flottantes, le sable les retient au détour d’un méandre ; les voilà, les voilà sur la rive échoués sous l’eucalyptus à l’ombre fragile. Et le ciel : pas un nuage, le soleil brûlant. J’ai mal Ali, Leila, mes pleurs, mes regrets ! Ma cavale est fourbue, je suis moulu et nous voilà tous deux, tous deux… Eh, eh, eh ! La cavale ne cavale pas plus que le Cavalier, au milieu du fleuve Mahad, je le dis, voilà tous deux arrêtés en la course fluviale. Un âne bientôt passe au-dessus sur la sente de sable parmi des herbes hautes et des joncs. Yèp, yèp, yèp ! Un homme une baguette en main est derrière, et tous deux trottent. Tous deux trottent, on les aperçoit de la plage, dit le conte, car le Cavalier s’est redressé au son des clochettes. L’âne secoue en effet un collier de dix grelots, il trotte allègrement : ohé, ohé, ohé ! C’est la voix qui revient sur le sable plus bas où tente le cavalier un effort de ses reins. La cavale, je le dis, soudain d’un effort tout pareil s’ébroue en un coup, en deux, au troisième elle se lève tout à fait. Le Cavalier, l’homme, il ouvre les yeux, un regard sur les lieux, il parcourt l’espace alentour, un âne, un homme derrière, frr, frr, se pressent : ohé ! La voix ne porte pas… Sur l’île Mandorh au bord du fleuve Mahad, bientôt ils furent d’aplomb, c’est comme ça qu’on l’exprime ; ils furent dispos, on peut le dire aussi et décidés aussi sans réfléchir beaucoup, ils avancent sur la plage, le Cavalier à pied tenant la bride de la cavale qui suit. Et l’homme avec l’âne se sont arrêtés, la cavale hennissant réveille l’attention, on se retourne, on s’aperçoit : qu’est-ce ? Qui donc ?… Le Cavalier lève le bras, agite le mouchoir de dentelle, le cheval hoche la tête. On voudrait se rejoindre mais la pente est rude, on piétine, on s’élance, l’avance est difficile. Je t’ai tendu les bras et tu n’es pas venu ; mais non bien sûr, tu n’as pu les prendre car je les tendais mal : Ali mon pauvre ami, Leila ma douce aimée, venez, je le dis, au secours du gâchis… Mais le temps passe, la montée est rude, l’âne aide à tirer, l’homme prête la main, chacun déploie ses forces, on s’entraide cordialement. Et puis voilà, il faut raconter. Que raconte l’homme, que raconte le Cavalier ? Vous êtes ici sur les lieux de Mandorh, une tente de trois ares, une tente de maître, en son milieu il s’y tient, rend la justice et régale. Je le raconte maintenant, une tente peu petite, de nombreux mâts de chênes, des cordes de chanvre de deux pouces, des ustensiles de cuivre et de bronze, une armée de chèvres, des brebis, des moutons et des vaches ; quant aux chevaux, on ne peut dire mieux ! Finesse d’encolure, museau humide, souffle profond, … Et moi, je viens du fleuve, m’ai failli noyer, ma cavale et moi-même des jours dans le désert, contre les rives avons craint de mourir écharpés, brigands malfaisants et rocs éreintants : sommes ici, demandons protection. Je le dis : l’homme et lui, et le cheval et l’âne partirent sur la sente, le chemin qui serpente dans le marais peu sûr, passages étroits, vases gluantes, herbes coupantes et tous quatre marchant avec précaution sur des sortes de digues. Le ciel est clément mais le soir approche, dix kilomètres de chemins pour conduire au Bey, c’est ainsi qu’on l’appelle. Voici la tente, immense pour le logis nomade, devant sont quelques chiens et des hommes en armes. Viendrait donc le drame ici même après périple comme on finit un rêve en se levant brusquement ? Je le raconte : voici le Bey qui se présente, qu’est-cela qu’on me dérange mais c’est un homme un cavalier et sa cavale, belle cavale, harnachement solide et ouvragé ; viens homme naufragé, viens prendre le thé, parlons enfin, voici le temps de ton réconfort. Merci de ton accueil, je suis fourbu mais le cheval l’est aussi. Qu’on donne une litière, de l’avoine un peu et du fourrage beaucoup…, de l’eau, et de l’eau ! On entre sous la tente où brillent les ustensiles, où chatoient les couleurs, on le dit ainsi, c’est la chaleur des tons mêlés aux surfaces laineuses, la lourdeur des rouges mêlés aux bleus, ce sont les tapis profonds, des couvertures épaisses qui se reposent dans l’ombre de la tente aux vingt pièces. Voici le repos promis et pour lit la peau de laine haute. Les bruits atténués dans la pénombre, on s’installe : qu’as-tu à dire au Bey ?

– Je dis : je suis parti, oui, j’ai fui le malheur et le bonheur également, personne derrière moi qui chercherait vengeance, dépit et chagrin m’ont mené jusqu’ici. Désert hostile, fleuve sans rive, comme qui s’accroche aux branches d’un arbre en dérive, ma route sans issue.

– Je propose donc et tu disposes, viendrais-tu jusqu’au camp de Lisaphan qui est à deux jours, là je te ferai connaître ce que je te propose ?

– Je viendrai, dit-il au Bey. On lui servit le thé et les sucreries, réconforts des fourbus, amusement de bouche… servit donc, je raconte, minces biscuits aussi, régal pour les dents, sésame des paroles. Oui, je te ferai une proposition qui te conviendra, ne suis-je pas ton ami ? Oui, puisque tu ne m’as pas tué, tu es mon ami, je viendrai au camp de Lisaphan. On lui servit, la semoule roulée, les raisins secs, les aubergines, le mouton ; on mangea avec les doigts, force graisse fut consommée, on l’exprime ainsi. Au bassin d’argent, on lava les extrémités qui servirent à manger, un poète l’a écrit, on s’allongea pour la sieste, ce fut ensuite sommeil réconfortant, le soleil au zénith déclina, le Cavalier ne se réveilla qu’à la tombée du jour. Alors, déjà tout était près pour le départ nocturne. Sa cavale harnachée, ses vêtements lavés, il remercia la jeune fille soigneuse, le jeune homme attentionné qui le pressèrent de partir, on le dit ainsi. Ils partirent bientôt, sur la rive du fleuve Mahad, ils trouvèrent des barques… La nuit, le ciel, le fleuve très tranquille, les senteurs du soir et l’humide fraîcheur, et les affairements des hommes, celui des bêtes impatientes ; la vie active et joyeuse avait quelque projet de voyage : on l’exprime ainsi… Je le dis : une fois franchi le fleuve par les barques, quelques arbres, quelques épineux en bordure de rive puis le sable, et le sable encore, voilà ce qui se présentait. Ils décrivirent une large courbe parmi les dunes et la pierraille, ils prirent le chemin du nord mais route tortueuse, il faut approcher les puits avec prudence. Une caravane de cent hommes, sur cheval ou sur des ânes, le Bey allait devant avec trois hommes liges et le Cavalier. Ils avançaient plus vite et ne se souciaient de la suite, la suite vint en drame… Je le raconte plus tard !

III

Les dunes, les dunes toujours les dunes, je le dis sans ménagement, la route était pénible et pénible les propos. Le Bey veut savoir d’Ali et Leila, l’histoire, la raison, le Cavalier s’entête : à quoi bon savoir, c’est le destin qui pousse et c’est parfois l’orgueil. On s’arrête pour manger, à la flamme d’un feu, on grille de la viande, de petits gigots d’agneaux tendres, on parle parmi les tintements des boucles de bronze. Point de grelot ici, le Bey n’est pas chez lui. Je le dis qui n’est chez soi est chez un autre, il doit le ménager, apporter des présents. Que présenteras-tu à la main du messager, Cavalier, le sais-tu ? Ta cavale vaut bon prix et ta vie ne vaut guère… ? L’humeur est belliqueuse, on ne sait pourquoi, le vent est chaud comme un souffle de braises. Il faudrait donner le cheval magnifique, deuxième doigt de ma main celui qui de deux font un, non ! Je le dis : mourir est bienvenu ! Alors le Bey : c’est bien, tu es fier et l’orgueil te sied. Je donnerai un âne de ma troupe, mais dis-moi de Leila, d’Ali qu’en est-il et pourquoi ? Ah Bey, tu me forces l’âme et le secret te hante ; tu voudrais savoir ce que je ne sais pas ; Ali, mon ami, Leila mon amante, mon bonheur, mon malheur, les voilà réunis, tous deux sur la couche, tu le veux savoir, tous deux donc amants devant moi qui surgit dans la chambre aux rideaux baissés. La pénombre n’est pas si grande qu’elle ne cache l’étreinte, on le raconte ainsi. Je ne sais ce qui naît, sentiment confus, trouble du chaud et du froid, vapeur et frisson jamais ressentis. Les embrasser, je le désire, les frapper, je le veux aussi, je reste au seuil, donne nouvelle de rien et voilà que je fuis ! Ho ! Viens cavale fière, je fuis, je file, j’arrive jusqu’ici, Bey, ici tu vois l’homme devant toi, la cavale fourbue, l’homme fatigué, tu prends soin d’eux, les voici avec toi. Ainsi, murmure le Bey, ainsi tu n’as pris vengeance ni de l’un, ni de l’autre, on me raconte pourtant que tous deux sont morts, ils étaient mes parents, la vengeance est mon plat ! Comment faire, le dilemme est sérieux ? Peut-on croire cavalier fuyant innocent quoiqu’il y eût deux morts ? Le Bey ferme les yeux, il secoue la clochette de bois, appelle ainsi des hommes ; se retire promptement du foyer, rassemble ses cavaliers, parlemente, il y a de grands mots, certains chevaux montés se cabrent et soudain quelques-uns filent. Le Bey a dit : allez prévenir que nous traversons, nous sommes prêts à payer. Que le voisin pardonne, nous contournerons ses troupeaux… Et voici que reprend la marche, les dunes et, derrière, les dunes, des dunes encore, est-ce loin, est-ce près ? Deux jours de marche, une promenade, je le chante. Cavalier t’ai-je dit, j’ai payé le passage, on ne te cherche pas, je le sais mais moi qui dois-je croire ? Bey, je te l’affirme, pas moi, ni l’épée, le sabre, le poignard, ni le foulard qui étouffe, aucun n’a pris la vie de tes parents. Vois, je pleure leur mort que je ne savais pas, j’ai perdu sans comprendre, c’est déjà bien assez ! Ils chevauchèrent encore longtemps, deux jours dans le désert hostile mais en nombre, tous, ils étaient forces et décisions, c’est ainsi qu’on l’exprime. Ils campèrent au soir non loin du puits, au puits de Moulahd, ils campèrent autour étaient les sables, dunes sur dunes, je le dis. Éh, éh, éh ! Et le vent subitement se leva, sous les couvertures, les tapis, derrière les bêtes assagies, pas de tentes arrimées, pas de cordes tendues, ni piquets enfoncés, ils attendirent que passe l’ouragan, crible des yeux, fouets et cravaches d’émeri. Chacun rumine en son camp, le Cavalier est serré de près, trois hommes forts, les gardes du Bey, sont contre lui. On te protège, on te menace, qui le sait ? ... Mais je le dis, dune après dune, la tempête s’arrêta, soudain comme se perd l’élan du torrent dans les eaux du lac, les flux venteux s’évanouissent dans l’air brûlant, c’est le poète qui l’écrit : eau tranquille maintenant, mer aux vagues immobiles, les sables reposaient dans le désert assagi, … Ils reprirent la route, ils partirent, avancèrent lentement, les pieds broutant souvent dans le sable crissant, les moutons et les bêtes hésitant et braillant. Allez, allez, on y sera bientôt ! ... Et puis vient un grand creux, un creux profond, étroit tout de sable glissant, et puis le Cavalier dedans, sa monture dessus et le sable, le sable qui coule sur lui, sur eux deux et le Bey qui regarde en haut de la colline, qui regarde et d’un geste retient ceux qui veulent descendre… C’est le drame annoncé ! Cependant : je t’ai promis un poste, Cavalier, ma promesse vaut ce que je vaux. Je suis le Bey, j’ai deux ares de tente qui en dira autant ? Trois hommes de la garde rapprochée, on les appelle ainsi, descendent dans la gorge étroite, le val malfamé, la source du malheur, trois hommes rivalisent, on le dit, d’efforts et d’efforts. On tire le Cavalier. Du sort, il s’est sorti, la cavale à sa suite qui hennit et s’ébroue. Et voici : la marche reprend son cours, ruisseau de bêtes et d’hommes, ruisseau sans rive qui s’écoule par les crêtes, se répand dans les creux et sur des veines étroites de sol dur, se resserre en file sous le soleil qui monte et monte encore. Quelle…, mais quelle fournaise ! Harassement, accablement, pas un mot, silence, bouche fermée, seules tintent parfois les boucles de métal, et les yeux brûlent, ceux des bêtes et des hommes, sous le sel des suées… Sous le sel des suées, ils grimpent lentement franchissant de fortes masses de sable, se laissant ensuite couler à leur base, une dune après l’autre avec effort et lassitude… Et puis, hop, hop, hop, voici un âne qui vient, un âne à dix grelots qui trottine vers eux. Une ânesse braie, des chevaux soufflent, des moutons bêlent et soudain se précipitent les marcheurs, c’est bientôt, on arrive : vois Cavalier voici le village, mon domaine et mes gens ! Alors le régent, on l’appelle ainsi, c’est lui qui dirige quand le Bey est absent, voici qu’il vient, belle monture, accoste le Bey : comment va-t-il, comment se portent ses proches et ses gens, le séjour à Mendorh fut-il profitable… Voici un cavalier, je veux qu’il soit régent, c’est le Bey qui le déclare sans préambule, ni remerciement... Ouh, ouh, ouh ! Voici que se préparent des colères d’outrage, on l’exprime simplement, c’est l’orgueil blessé qui aiguise son humeur et sur la meule de l’arbitraire affûte ses raisons, je le déclare savamment pour obscurcir l’affaire. Quelle affaire ? dit le Bey au régent qui s’en plaint ; oui, quelle affaire en fait, je raconte sans tarder.