dimanche 2 juillet 2023

Accueil > Lire & écrire > Les blasons de l’éphémère de Jérôme Bertin

Les blasons de l’éphémère de Jérôme Bertin

, Jean-Paul Gavard-Perret

C’est d’une langue bien pendue que Jérôme Bertin tend au-dessus du vide de filous filins afin de bander nos vertiges.

L’auteur de Limoges cofondateur de la revue "Poésie Express" évoque les quidams qu’il côtoie de gré ou de force dans son quotidien. Certains fument et ne se sentent pas bien et profitent de ce retournement de leur être en un tel malaise pour regarder leur cul. Bertin est plus circonspect : bon prince, il accepte d’écouter une certaine Marguerite, à la peau de lait, lui réciter ses poèmes aux formules alambiquées et ses sortes de fables molles "avec du chou et du gras dedans". Mais qu’on se rassure : ce n’est que et uniquement que pour coucher avec elle. Et il n’inflige pas à ses lectrices et lecteurs cette double peine. Il offre à l’inverse ses anecdotes du quotidien de sa vie matérielle avec ce qu’il faut d’humour au sein d’une ruralité envahie par l’urbanisation galopante.

S’y vit une corporéité égrégore de diverses dimensions. L’auteur utilise ce qu’il a à portée de la main pour nous faire accoster aux rives extrêmes de la pensée et de la Pangée. L’ensemble dans une captation qui permet de rire et de rêver jusqu’à décoder le sens caché de chacune de ses aventures, névralgies et poétiques où l’humanité n’est pas forcément giboyeuse. Mais c’est ainsi que les choses avancent en divers lieux nodaux d’une campagne gangrénée par l’avancée des immondes cités baudelairiennes. Et une fois de telles rencontres effectuées le galopin poète appréhende en solitude absolue de tels rendez-vous (de gré ou de force). Nul ne peut se lasser de telles évocations dès qu’il met le nez dedans.

La langue est ici simple mais bien pendue et va à bonne foulée là où elle parcourt la campagne comme si elle courait au fond de l’océan. Partout où ça rate, ça fulgure en un donnant-donnant dans une fantasia de nuances et en blasons de l’éphémère, voire des effets mère tant les femmes peuvent engendrer des rumeurs mélancoliques. Mais tout cela donne à de telles notes poétiques des saveurs de légendes qui amènent insidieusement vers d’autres entendements que ceux de la poésie classique. Cette dernière croyant emplir de plénitude assomme au lieu d’abasourdir. Ici chaque texte crée un vertige dans le quotidien et le corps s’aiguise aussi bien dans un bar que dans un entrepôt sous le soleil exactement ou au plus fort des embruns. La poésie a là encore beaucoup de choses à dire et d’images à montrer là où la vie s’éprouve à la petite semelle qui la forme, histoire de prendre son pied.

Jérôme Bertin, Wanted Stéphane Guivarc’h, Au diable Vauvert, le 1ᵉʳ juin 2023, 310 p., 20 €