mercredi 28 octobre 2015

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Les Sens du Paysage

, Carine Mosca et Rubén Fuentes

L’artiste cubain, Rubén Fuentes, signe Les Sens du Paysage, sa première exposition personnelle à Paris inaugurée le 5 novembre prochain à la Galerie Felli.

Un cerf dans le paysage

Entrons dans le paysage, L’île du cháman. Un pic rocheux dont les arêtes s’adoucissent d’un fourmillement de végétation. La surface de l’eau miroite ses contours et les prolonge au-delà du papier. En contre-bas, un intercesseur – une barque et son imperceptible passager – nous interpelle. Une portion de l’île-montagne, nue de forêt, est parcourue d’une traînée d’encre noire. Sa dilution circonscrit une forme dans laquelle se devine un cerf aux bois printaniers. Image double, L’île du cháman revêt une dimension hallucinatoire propre au registre visuel que développe Rubén Fuentes dans sa série des Paysages Mentaux exposée pour la première fois à Paris sur l’invitation de la Galerie Felli. Image mentale, L’île du cháman tire sa forme du cerf qui soutient ses fondations. Dans son ensemble, les 23 paysages de la série livrent une représentation irréelle de la nature et de ses occupants, un condensé d’impressions et de souvenirs d’intensité contemplative, une nouvelle réalité non photographique.

L’île du chàman – ©Rubén Fuentes – 2015

Dans une mise à distance du réel tangible, Rubén Fuentes s’adonne à l’illustration d’une nature anthropomorphique (Depuis mes mains, La présence, Présences, Gaïa), d’une personnification animalière du paysage (Ours-montagne, L’île du cháman, La montagne infinie, El viaje de la montaña, El viaje del rio), ou encore d’un quotidien, objets et habitats, tapissé de végétations (La chaise, La table, Sans titre, La chambre, L’escalier, Barrière sans porte, Le village du silence). Ces différentes métamorphoses reposent sur une grammaire visuelle où s’entrevoit la récurrence de quatre motifs- sujets : l’eau, la montagne, l’arbre et la brume. Ce quatuor relève d’une double ascendance. Chez Rubén Fuentes, l’appréhension du paysage est d’abord orientale à travers le concept chinois du shanshui, littéralement « paysage des monts et des eaux » associé à deux principes cosmologiques, le yang (la montagne) et le ying (l’eau). Les Paysages Mentaux de Rubén Fuentes empruntent à cette tradition le rejet de l’illusionnisme pictural au profit de la retranscription de pensées et de sensations nées de la contemplation de la nature. Quant aux outils et techniques du peintre, une proximité se tisse également. Pour ne citer qu’elles, la procédure chinoise du pomo (l’encre brisée) alliée à sa voisine japonaise hatsuboku (l’encre éclaboussée) constituent le point de départ du Boléro de Ravel, des Arbres dans le brouillard, et des quatre Paysage nés de l’unique trait de pinceau. Ici, la tache suggère le paysage et dicte sa configuration. Prenons le cas du 16ème opus des Paysages Mentaux. Une forme excentrée évoque une embarcation maritime. À la naissance de ses voiles, une masse rocheuse sert de terreau à une forêt luxuriante. Autour, une quinzaine de barques s’apprête à accoster les rives de l’île-refuge. S’y décèlent une girafe, un bouc, un lapin, peut-être même un chimpanzé. Un trait de pinceau, un paysage. La nature pour seul pèlerinage. L’aléatoire, au cœur du processus créatif de Rubén Fuentes, combine à la spontanéité première du geste, la minutie des détails et la gestion équilibrée des pleins et des vides. D’évidence, la reprise des techniques traditionnelles de la peinture orientale s’accompagne d’un détournement. Nulle calligraphie signifiante ne vient soutenir l’image. Rubén Fuentes use pour unique idéogramme : le tourbillonnement du feuillage. Ce signe graphique est à la fois l’élément structurel et le sujet principal des Paysages Mentaux. La danse du calligraphe se traduit également en peinture à l’acrylique (Gaïa, La présence, La chambre, Arrivando a la gran ceiba, La barrière sans porte, Présences) et à l’huile (La chaise, La table). L’entrée du chromatisme et l’agrandissement des formats ne sont pas les seuls attraits de son usage. La possibilité d’accentuer brumes et brouillards prédomine.

Gaïa – ©Rubén Fuentes – 2015

Attardons-nous sur Gaïa. Sur un registre monochrome se déploie une succession asymétrique de massifs montagneux. Ça et là, des torrents transpercent leurs drapés forestiers. L’alternance des sommets est rythmée d’intermèdes brumeux. La gradation chromatique, d’un noir sobre à l’aérien gris-blanc, s’obtient par l’application d’un pinceau sec. La montagne s’élève jusqu’aux cieux infinis empruntant ses hauteurs aux voluptés d’une femme allongée. De l’aveu du peintre, la déesse mère est une ode à sa terre natale : Cuba. Cartographie mentale d’une île que Rubén Fuentes quitte en 2007 pour s’établir en Europe, Gaïa est l’image-totem des Paysages Mentaux. Placée en ouverture de la série, elle enfante les images suivantes : pomo et autres hatsuboku confèrent à Rubén Fuentes structures et outils ; Cuba lui inspire ses sujets.

Voir en ligne : Site de Rubén Fuentes

Galerie Felli
Vernissage 5 novembre 2015
Exposition jusqu’au 1 décembre 2015
Du mardi au samedi 11h – 19h
127 rue Vieille du Temple
75003 Paris – T/+33 (0) 1 427 88 127
contact@galeriefelli.com
* en logo : Paysage né de l’unique trait de pinceau – ©Rubén Fuentes – 2015