vendredi 29 septembre 2017

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La traversée des regards

Mengzhi Zheng à Francfort

, Jean-Louis Poitevin et Mengzhi Zheng

« Ces œuvres étant plus des indications que des certitudes, elles stimulent l’imagination de leurs observateurs. Elles sont, pour citer Le Corbusier, un "jeu sérieux" » Anna Dr. Meseure

Introduction

Les œuvres de Mengzhi Zheng sont le fruit d’un long processus de maturation et d’évolution qui a commencé dans les premières années de ce siècle. Formé au design graphique, il est un adepte du dessin et de la couleur en deux dimensions. C’est au cours de ses études artistiques à la Villa Arson qu’il crée ses premiers volumes.

Né en Chine, il arrive en France à l’âge de sept ans. Ce grand écart, il le vit positivement. La différence culturelle devient ainsi une source profonde à laquelle s’alimentent ses diverses approches de l’espace.

Il résidera régulièrement à Francfort entre 2009 et 2011, pour un séjour Erasmus, puis pour des séjours plus courts. C’est pendant ce séjour qu’il renforce l’inscription de son travail dans une nouvelle relation à l’espace.

Dessin

Il est important de donner ici un bref aperçu des diverses directions dans lesquelles se déploie l’œuvre de Mengzhi Zheng. Si les maquettes abandonnées sont en quelque sorte apparues en marge de ses diverses activités professionnelles et créatrices, c‘est au centre de sa création artistique qu’elles se situent aujourd’hui.

Il n’existe guère de créateur qui ne soit un dessinateur, c’est-à-dire qui ferait l’économie d’une pratique souvent libre et non conventionnelle du dessin. De la mode au cinéma, et évidemment de l’architecture à la sculpture et à la peinture, le dessin constitue l’armature à la fois physique et psychique de l’œuvre. Qu’il serve de lieu expérimental, de pratique créatrice pure ou de relais de pensée dans l’invention des images à venir, le dessin agit, toujours, en relation directe avec la vitalité créatrice.

Ici, dans le déploiement de l’œuvre de Mengzhi Zheng, on assiste à un double phénomène : de pratique constante du dessin et autres travaux en deux dimensions comme la gravure ou un recours épisodique à l’image photographique, et de prolongement de certains gestes libres du dessin dans un travail en volume. Les maquettes abandonnées se situent à ce croisement qu’elles font aujourd’hui exister comme un espace ou si l’on veut, comme un monde à part entière.

Oser

En effet, il importe ici de caractériser la situation à la fois artistique et existentielle de ces maquettes par rapport aux autres pratiques, tout en relevant leur profonde intrication et leur interdépendance.

Ces maquettes abandonnées se sont imposées dans l’existence de Mengzhi Zheng à partir d’une situation que l’on peut évoquer ainsi : pour se changer les idées d’un travail en cours, l’esprit et la main se saisissent de ce qui se trouve immédiatement accessible, des fragments de divers matériaux qui traînent à proximité du bureau et sont considérés comme inutiles. Face à ces rebuts qui s’offrent comme les pièces d’un puzzle imaginaire, pris d’une agitation à la fois libératoire, amusée et jouissive, main et esprit se mettent à assembler d’une traite certains de ces éléments.

La frénésie qui s’empare alors de Mengzhi Zheng le conduit à écarteler le temps, à laisser de côté le reste de son travail et justement à s’occuper de jouer avec ces « restes ». Ils sont en papier, en carton, en bois, qu’importe. L’important est qu’ils sont là, à disposition et qu’il n’y a donc qu’à les saisir et les assembler. Les gestes s’enchaînent et quelque chose arrive, apparaît comme si la danse des mains échappait au contrôle de la conscience.

Dans ces moments-là il suffit simplement d’oser. Et c’est d’autant plus facile qu’il n’y a pas à proprement parler d’enjeu dans ce « jeu ». L’esprit est libre parce qu’il n’a à se soucier de rien : les matériaux n’ont pas de valeur, il n’y a pas besoin de mobiliser des instruments difficiles à manier, rien à soulever, à transporter.

La main est libre parce que ce qu’elle manipule est à la fois auprès d’elle et facile à utiliser, les matériaux sont légers et accessibles et appellent donc des gestes simples comme plier, déchirer, couper, puis associer et finalement rapprocher ou si l’on veut, assembler. Il suffit pour cela de ciseaux et d’un peu de colle.

La nécessité de bien faire s’efface. Le faire se dédouble et l’esprit laisse place au plaisir d’agir. La main accomplit alors une métamorphose. La maquette devient sculpture.

Conscience modifiée de l’espace

Lorsque l’on est confronté à ces maquettes abandonnées, il est inévitable de penser qu’il s’agit de quelque chose qui aurait à voir avec l’architecture puisque ces maquettes abandonnées évoquent inévitablement des « maisons ». Et, en même temps, il est inévitable de constater d’une part qu’elles ne sont pas habitables et d’autre part qu’elles « parlent » d’autre chose que d’architecture. C’est qu’à l’évidence, se tenant là en dehors de toute attribution d’un statut d’objet, fruit d’une vision et d’un geste inventant l’espace, elles s’imposent comme des sculptures.

C’est aussi pourquoi Mengzhi Zheng a mis en place une autre manière d’appréhender et de travailler l’espace, en construisant des structures ouvertes qui, telle une sorte de projection rationnelle des maquettes abandonnées, sont des agencements de formes visant à la création d’architectures non fonctionnelles.

Ce changement d’échelle permet, par la relative finesse des armatures, à la fois d’investir au sens le plus strict un espace d’exposition par une œuvre de grande taille et, par la légèreté des éléments de construction et l’absence de « murs », c’est-à-dire d’élément de bois qui viendraient fermer la structure, d’offrir au regard la possibilité d’accéder à ce que l’on pourrait nommer une conscience modifiée de l’espace.

L’ensemble des éléments, on le comprend de suite, sont d’abord des lignes, c’est-à-dire des éléments issus du dessin. Comme montants ou armatures, il déploient le dessin dans ce qui n’est pas tout à fait encore l’espace dans la mesure ou chaque panneau est en quelque sorte la projection d’un dessin libéré simplement de la matérialité du papier et installé dans l’espace habituel de la perception.

Comme agencement de diverses surfaces levées et assemblées ou plus exactement associées, ces dessins dans l’espace créent des structures qui sont et ne sont pas des volumes. Elles sont des volumes parce qu’elles occupent l’espace habituel de la perception et elles n’en sont pas parce qu’elles occupent l’espace avec des lignes encadrant des « vides » et non avec des volumes constitués de « murs pleins ». Traversées de par en part par le regards, ces architectures non fonctionnelles s’offrent comme des méditations à taille humaine sur les différents aspects de l’espace dont elles révèlent l’existence.

Ainsi, ce que l’on voit, c’est à la fois des dessins en train de coloniser l’espace habituel de la perception et de nous révéler que cet espace que nous croyons si bien connaître parce que nous y vivons, n’existe pour nous que comme une sorte de mouvement, de déploiement de structures mentales et physiologiques préexistantes dont le dessin matérialisé devient l’incarnation.

Ces structures sont aussi inhabitables que les maquettes abandonnées parce que comme elles, elles nous confrontent aux évidences du perçu et nous révèlent ce qui, dans notre perception reste en quelque sorte occulté en tout cas non conscient.

En réalisant ici à Francfort une telle structure complexe, Mengzhi Zheng rend hommage à la ville où il a déjà séjourné un long moment et où lui est venu à l’esprit le projet de prolonger son travail de dessin et de maquettes par des constructions dans l’espace.

Archi–textures

Mais alors de quoi parlent-elles, ces maquettes abandonnées et ces architectures non fonctionnelles ? Dans quel univers nous font-elles entrer ? Quelles dimensions de l’imaginaire réveillent-elles en nous ?

L’architecture n’est pas d’abord un savoir, mais un savoir faire. Elle est aussi plus et autre chose que cela. Nom que l’on donne au fait social de construire des habitations, l’architecture étant ce qui permet à l’homme de construire sa coquille, elle est de facto le prolongement direct et matériel du psychisme.

En s’appropriant les éléments de l’architecture et en les exploitant d’une manière inédite, Mengzhi Zheng nous propose à la fois une plongée dans ce que l’on pourrait nommé l’inconscient de l’architecture et une entrée dans le champ élargi de la sculpture.

Inhabitables parce qu’elles ne sont pas pensées pour pouvoir l’être, ces maquettes abandonnées et ces architectures non fonctionnelles mettent en scène une sorte de vision imaginaire sur le réseau de textures, nerfs, os, veines et autres éléments, qui permettent à un bâtiment de tenir. Réalisées dans une sorte de détachement par rapport aux préoccupations de l’architecture même, c’est comme si elles nous permettaient au moyen d’un détour par l’imaginaire, de pénétrer ou, si l’on préfère, de découvrir son envers.

Abandonnées ces maquettes ne le sont ni par la volonté de l’artiste ni par celle d’un architecte fatigué. Elles le sont parce qu’elles expriment, témoignent et surtout mettent en scène l’enjeu qui est au cœur de notre être au monde : que nous y habitions et que nous le pensions et que nous articulions en permanence ces deux activités au moyen de la troisième, invisible et pourtant sans laquelle rien ne tiendrait, la libre imagination, celle qui accomplit la métamorphose de l’objet en œuvre, de la structure en élément vital « créant » l’espace, de la maquette en sculpture.

/ Save the date
/ Frankfurt am Main
/ solo show
/ opening → 04.10.2017
Mengzhi Zheng

Des images et des maquettes abandonnées
Bilder und verlassene Modelle
05.10 → 05.11.17

Exposition solo à l’occasion de la Foire du livre de Francfort 2017 (la France invitée d’honneur), sur une invitation de la galerie A1 Ausstellungshalle avec le soutien culturel de la ville de Francfort

/ commissariat : Anna Dr. Meseure
vernissage le 04 octobre, 1A Ausstellungshalle, Francfort, DE