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La charge de la brigade légère ou De re poetica
Werner Lambersy, 2021
,
« Un monsieur attendait
Au café du Palais
La femme qu’il aimait… »
(chanson)
« Je voulais réinventer la peinture
mais elle a résisté ; je l’ai tuée ! »
Jacopo Robusti, dit Tintoretto
« Après la première mort, a écrit Dylan
Thomas, il n’y en a pas d’autre »
Erri De Luca
Aujourd’hui
Le ciel est vide
Pas un oiseau
Ni sur les toits
Ni dans les airs
C’est comme
Un mot à qui
Manquent des
Lettres
Un livre
Où manquent
Des pages
Que faire sinon
Siffler
À la fenêtre… ?
J’ai rencontré
Beaucoup de gens
Qui ont beaucoup
Lu et relu !
Pas un seul qui a
Tout lu
Alors
A quoi sert de tant
Lire
Ecrire ce qui n’est
Pas encore voilà
La véritable tâche
Chaque jour
Un livre dort dans
Mon sommeil
Chaque jour
Je m’éveille avant
D’avoir fini
La première phrase
Avant
De comprendre les
Mots
Chaque jour
Je pense que c’est
La chronique des
Temps longs
Celle du grand rêve
Ce n’est pas le moment de lire
Ni d’écrire
Quelque chose se prépare dont
On ignore tout
C’est de l’ordre des levures dans
La pâte
Dans l’ordre du chant murmuré
En silence
Un bouleversement pareil à un
Renversement de marée
Et nous attendons que la plage
Soit vide
Quoi s’est rapproché de moi
A me frôler
Sans dire son intention ni ses
Pouvoirs obscurs
Je ne pourrai pas vivre sans et
Pourtant il faut
Apprendre à s’en passer je suis
Dans ce malaise
De savoir que la beauté existe
Sans que je sache
Ce que je puis espérer encore
D’elle et du monde
Dans l’horreur de son retrait
J’ai beau regarder le ciel
Rien n’a changé
Rien de visible ne
Remue le soleil se couche
Et entraîne des choses qu’
On ne voit pas
Sans la lumière de l’aurore
Et les oiseaux
Qui font leur possible dans
Les arbres
Comme j’attends de prendre
La plume
Pour écrire la première lettre
C’est là et ce n’est pas là
C’est tout autour comme
Une ville que l’on assiège
Ce n’est pas ma mort que
Je ne crains pas
Pas celle de l’autre que je
N’imagine pas
C’est là car il n’y a pas de
Place ailleurs
Et que l’univers n’est que
Ça Rien d’autre
Ça n’a pas de voix mais sa
Présence pèse
Ça attend de trouver une
Porte pour dire
Je sais que je guette cela
Comme le bond formidable
De la baleine sur la vague
Je sais que j’attends de
Courir avec le tigre et la
La gazelle dans la savane
En flamme du signe tabou
Je sais que je redoute de
Croiser l’épouvante des
Enfants dans les canots
Pneumatiques des mots
Et je serre les lèvres sur le
Navire qui prend l’eau aux
Pieds de l’iceberg énorme
D’un poème dans la brume
Rien n’est encore écrit
Rien n’a posé encore
La hauteur de sa voix
Son rythme ni le ton
Mais le chant a
Commencé à chanter
Dans le silence
A danser dans
L’absence de signes
Il reste cependant
L’antique angoisse
La peur millénaire
D’être envahi par
Tant de mystères
Comment donner au monde
Tant de richesses et
De privations
C’est fini ! Le signal
D’appartenir va être lancé à
Tous pour personne
On sent qu’on ne pourra pas
L’éviter
Ça pénètre par la peau et la
Mémoire
Un parfum inoubliable vous
Entoure du dedans
Demande à retourner là-bas
Où naît l’anonyme
Illustrations : détails, peintures de Georges de la Tour, Saint-Jérôme et Madeleine à la veilleuse, et Le Caravage, Saint Jérôme.