mercredi 25 novembre 2015

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Krampus vous salue bien !

Images d’Adam Reynolds

, Adam Reynolds et Jean-Louis Poitevin

Krampus, cette figure diabolique tout droit sortie de la mémoire des frayeurs originaires, semble être « née » dans les alpes autrichiennes et s’est répandue ensuite bien au-delà.

Pré-chrétienne, cette figure anthropomorphe est probablement préhistorique et c’est pourquoi, lorsqu’elle paraît, encore aujourd’hui, dans les rues des villages avec sa tête cornue, sa peau de chèvre et ses chaînes, accompagnant le plus souvent Saint Nicolas dans de nombreuses régions au cours des deux premières semaines de décembre, une émotion extrêmement puissante nous étreint : le Saint vient s’enquérir du comportement des enfants pour leur prodiguer récompenses s’ils ont été sages et laisse à Krampus le soin de faire peur à ceux qui ne l’ont pas été.

En nous s’ouvre une porte qui nous conduit immédiatement dans les couloirs les plus profonds d’une mémoire que l’on croit effacée. On découvre, apeuré, qu’elle est bien vivante, active même, cette mémoire, d’autant plus qu’il est là devant nous, vivant et effrayant si l’on se promène dans un village autrichien, mais aussi américain par exemple à cette période, et là, maintenant, dans les images d’Adam Reynolds.
Ce qui en nous résonne alors, c’est cela qu’il faut tenter de comprendre, car la peur reste un terme trop vague pour exprimer l’impression mélangée qui s’empare de notre chair lorsque nous faisons face à ce Krampus.

Personnage mythique, il est avant tout un homme et c’est de la puissance de métamorphose, qui dans les rêves en constitue la part la plus envoûtante, dont il est porteur. À ceci près que lui, Krampus, c’est dans la rue qu’on le rencontre, c’est dans les villages qu’il rôde, c’est de la nuit qu’il sort et dans la nuit qu’il retourne, années après années, sans jamais disparaître pour de bon, comme s’il incarnait aussi la puissance de la répétition dans le canevas du temps qui permet de tisser les vêtements habituels. Lui, est vêtu d’un vêtement non tissé, fait de peaux de bêtes, et ce corps humain couvert de poils en tout genre réveille en nous les strates lointaines d’une animalité largement impensable et pourtant d’une puissance émotionnelle incomparable.

Il y a dans les images d’Adam Reynolds une tentative réussie de nous reconnecter avec ces courants souterrains de notre histoire qui, quoique vibrant encore en nous, ne s’activent que peu dans notre vie civilisée. Il faut les regarder en détail, se laisser absorber par elles jusqu’à devenir ce corps couvert de poils et de cornes, ce corps avec cette tête aux dents immenses, avec cet air goguenard ou décidé, un air qui exprime la tension de l’attente, une attente dont nous sommes, nous les regardeurs d’image, les victimes désignées.

Car c’est nous qu’ils regardent ces Krampus prêts à l’action, verges en main prêtes à fouetter les enfants méchants, c’est nous qu’ils dévorent des yeux sans nous voir, c’est nous dont ils attendent la venue afin de nous effrayer, afin de nous terroriser, c’est nous qu’ils renvoient à ce temps d’avant le temps, ce temps d’avant l’histoire, ce temps d’avant l’illusion dans laquelle nous vivons, d’une continuité de notre présence au monde.

Que nous raconte donc la peur lorsqu’elle se réveille en nous ? Que nous ne sommes que des êtres transitoires, des intermittents d’un spectacle toujours recommencé, certes, mais toujours interrompu. Et la frayeur que nous pouvons éprouver devant ces figures non humaines - et en un sens trop humaines - vient de plus loin que la peur, car elle fait remonter à notre conscience ébahie le doute radical qui constitue la pensée. Ce doute nous assaille chaque fois que, dans un geste décalé, dans la face d’un autre étrange et étranger, nous entrevoyons l’instabilité de notre état, de ce qu’avec grandiloquence nous appelons notre présence. Cette instabilité est relative à notre perception, à notre apparence, à ce qui en nous continue de grouiller, cette faim originaire de violence et de sang dont cet être porte avec lui le réveil.
Une trace de cette fascination pour le sang, on la retrouve dans une des versions de cette histoire de Saint Nicolas, quand il est question d’enfants que le charcutier transforme en pâté et que le Saint ressuscite malgré tout une fois la forfaiture et le crime découverts.

Krampus est celui-là qui accompagne le Saint mais dont les griffes dépassent de ses mains grotesques, prêtes à ravir chacun de ceux qui, justement effrayés, relâcheront l’effort de leur pensée pour s’accrocher à une certaine vérité au sujet de leur existence.
La force des images d’Adam Reynolds tient par ces portraits frontaux qu’il a réalisés, qui nous installent directement, au-delà de la peur, face à ce gouffre du doute au sujet de nos métamorphoses possibles. Je suis qui je suis, mais je suis aussi Krampus et, si je m’abandonne à ses griffes, c’est que je sais qu’il est aussi un peu moi et qu’à cet instant, attention relâchée, je suis prêt à sauter le pas pour aller voir de l’autre côté des barrières que dressent en moi, pour me permettre de tenir droit, la si faible conscience et la si faible raison.

Face à lui, je me trouve renvoyé dans ces régions froides où le corps se sait venir de plus loin que le temps de l’histoire, de ce temps où hommes et animaux, humains et non humains encore communiquaient sans crainte, puisque aller et venir d’un monde l’autre était tenu pour réel, pour vrai. Et ce dont nous parlent les images d’Adam Reynolds, c’est, tout simplement, de la possibilité d’existence en nous, aujourd’hui, de cette vérité là.

With its roots in pre-Christian tradition , the Krampus is a frightening Alpine snow demon whose sole job is to frighten, kidnap, and punish the naughty children each and every December. This “anti-Santa” provides a dark counterpoint to the usual Yuletide cheer. The Night of the Krampus is celebrated the day before the Feast of St. Nicholas, December 6, in parts of Europe, and increasingly in parts of North America as well. These quirky tintype portraits offer a look at the Krampus beyond the annual festivities, as the Christmas devil increasingly becomes a part of American pop culture.
The krampus pictures are all from Bloomington, Indiana. They are all the costumed participants of Bloomington’s own krampus night parade that has become an annual event over the last few years. The krampus is becoming part of the holiday season pop culture throughout the United States. A.R.

address : http://www.adamreynoldsphotography.com

"Adam Reynolds is a documentary photographer whose work focuses primarily on the Middle East. He holds a Masters of Fine Art degree in photography from Indiana University. As a documentary photographer he seeks to elevate the subjects above the individual photographer and to allow the subjects to speak through the images. This allows him to navigate the delicate balance between the photographer’s own creativity and remaining honest to the subjects he documents. He began his career covering the region in 2007. Adam holds undergraduate degrees in journalism and political science from Indiana University with a focus in photojournalism and Middle Eastern politics. He also holds a Masters degree in Islamic and Middle East Studies."