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2e Partie
Fractures (paysage visage) II
d’après des photographies de Jean-Charles Léon
, et
si tu écartes les branches
en fleurs que vois-tu
le château de la belle
l’orage le malheur et la pluie
de profil
on parle architecture équilibre des
masses
profondeur de champ
les lèvres obscures posées sur la glace
dessinent un papillon
en raison de l’amoureuse buée le reste
du visage est flou
je te regarde
je t’ai à l’œil je vois bien
que ton désir boit l’ombre
à longs traits comme le buvard
l’encre
tu sens sous la pulpe des doigts
un monde qui
se désagrège dont les lignes
tombent en poussière l’océan
laisse sur le rivage un peu
de sa salive amère le tout
sous une lumière
spectrale
tu te demandes comment ça
respire ton regard sans amarres
s’attarde sur les pores
de la peau
de l’océan
visage noir
considère vaguement
des heures enfuies
le labyrinthe bleu
surface des eaux
restaure le calme
est trompeur ô lac
à l’immobile éclat
alors tu flânes tu
déambules dans ce jardin
ce parc aux noires allées
un œil pâle s’est levé dans
ta mémoire c’est par ici
c’est par là souviens-toi
comme était beau ce profil
parfois la beauté
qu’on cherche pour le poème c’est comme
une greffe qui ne prend pas que
le corps rejette
tout ce qui vient de l’extérieur
un sourire artificiel
avant tout
était possible tu traçais
des chemins dans le gravier
du jardin
la maison d’enfance abritait
l’éternité les mots les phrases les pensées
avaient l’évidence sèche
de cette fourmilière que
tu persécutais
tu accordes de l’importance
à tout cela ce sourire
au coin de l’œil
cette bouche inconnue
dont la paupière se ferme
tandis que s’ouvre le poing
du combattant vaincu
que
vois-tu un visage non
pas un visage quoi
tu tiens en
joue le paysage dont
l’image floue
tapisse ta mémoire
tu murmures des mots
tiennent en équilibre au bord
des lèvres mais faute d’espoir
se désagrègent
le sourire n’a pas pris
trop vaste
le présent s’est répandu
sur toute la surface de
l’image on voit des champs
que froisse le vent à perte
de vue
de profil un oiseau de face
un paysage que désole l’amère
beauté en veux-tu en
voilà tout se défait
sous le regard
mais peut-être est-ce pour
le meilleur
les mots tu les
collectionnes tu les déposes
à l’aide de
pincettes précautionneusement
sur la page la langue
entre les dents comme feraient
tu sais ces philatélistes un peu
fous
un peu d’encre tu
la laisses imprégner
la page
est avide de poésie
boit goulûment
le noir jusqu’à plus
soif
le visage traversé de part
en part comme seul peut
l’être
un visage
un désert
tu voudrais tellement
être l’animal
dont la gueule
a faim jusqu’au bout
tu souris essaies plutôt
de sourire
tu manges toutes les bribes
avec quelle délectation cherches
à recouvrir les sédiments
du sens
tu
désires exprimer
le jus de l’aliment
que tu mâches entrouvres les
lèvres laisses entendre
un son un
sifflement strident
lancinant tê
tu il
n’y a pas une minute
à perdre
voilà la cérémonie
a eu lieu la cérémonie
du visage
ne subsistent que
les traces que
voilà les vestiges du grand
vaisseau démâté qui jadis
chavira
ah te voilà toi
regarde-moi regarde
moi mon
oiseau sphinx chimère
Antinoüs Apollon
mon tout où étais
tu caché
on dirait tu vois
un corps le corps
d’un homme je veux dire
mais que les mots seraient
sur le point de réduire
en humus en poussière le parfum
qui s’en dégage vous
ne pouvez pas savoir
écrire le moins
possible
mais trouver le mot
juste qui dans la marge
du texte couronnerait ce front
et prendrait
possession
des fonds marins
et de leur effroyable
obscurité
à qui ressemble
tu
plaine immobile et comme on dit
balayée par
les vents
océan
qu’agitent des rêves informes
ciel qu’obnubilent tiens
comme par hasard les nuages
d’hier et de demain
miroir miroir
mais n’en demande pas trop
au centre du miroir jouent
noires aux échecs l’absence
de la présence et la présence
de l’absence
les voilà qui s’embrassent
et confondent les horloges
du passé et de l’avenir
avec un rire cristallin
de profil et un sillon
profond sur la
joue
voilà que la lèvre fendue
borde les mots de vertige
et de ravissement
tandis qu’ailleurs
à l’autre bout de la plaine
éclate l’œil
bouleversé en mille
morceaux
est-ce dans ce pays
que ton regard mordu
de lumière restaure la clarté
de l’instant
avec la participation de Guillaume Védie en modèle.