mardi 29 octobre 2019

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Kza Han

Douze corps célestes / Zwölf Himmelskörper

, Kza Han 한경자

La fuite du temps
D’un pinceau de lettré
se tire le chaos,
dans l’encre de Chine
se retire le chaos.
*
Zeitflucht
Aus dem Pinsel eines Gelehrten
zieht sich das Chaos,
in die Tinte aus China
entzieht sich das Chaos.
Eros et le sacré
Leurs corps étaient immobiles. Sur leurs épaules, de lourds quartiers de viande reposaient. Leur blouse de travail était trempée de sang. Un autel rouge dressé dans l’espace blanc. Ils attendaient l’abattage du cheval. Les civilisés parlent. Les barbares se taisent.
*
Eros und das Sakrale
Unbeweglich waren ihre Körper. Auf den Schultern schwere Fleischseiten. Der Arbeitskittel wurde mit Blut getränkt. Im weißen Raum ein roter Altar. Sie erwarteten das Schlachten des Pferdes. Die Zivilisierten sprechen. Die Barbaren schweigen.
L’Allemagne en automne

C’est l’automne. L’Allemagne enterre son cadavre. La professeur d’histoire de l’Allemagne creuse la terre. Elle cherche la base de l’histoire d’Allemagne. Les feuilles se fanent et tombent doucement. Antigone viole la loi de Créon. Elle enterre le cadavre de son frère. Dans la forêt, les chevaux frémissants piaffent.

*
Deutschland im Herbst

Es ist Herbst. Deutschland beerdigt seine Leiche. Die Lehrerin der deutschen Geschichte schaufelt die Erde. Sie sucht die Grundlage der deutschen Geschichte. Die Blätter welken und fallen sachte. Antigone übertritt Kreons Gesetz. Sie beerdigt die Leiche ihres Bruders. Die Pferde stampfen und schnaufen im Walde.

Angles de site
De toute sa force
résistant à l’air vicié,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
De son noyau
lâchant une amande,
feuille en éventail
séparée de soi-même,
en quête de son double,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
Dans la foule
frappant le gong,
faisant la quête,
un moine errant
en position de zazen
sur sa natte
illuminée par
le soleil couchant.
Forçant la divination
par la terre
par la poussière
par les cailloux,
à l’encontre du vent
à l’encontre de l’eau,
cette incommensurable église
face au Mont Vert.
Autour du 38e parallèle,
dans les chars abandonnés
depuis un demi-siècle,
fôlatrent des animaux rares
parmi des plantes rares
en l’absence des hommes.
Or une Coréenne d’Amérique
de retour au pays natal
sur le dos de la Grue Bleue
se met en tête
par le ciel
de déjouer le 38e parallèle,
au son âpre du komùngo
éraflant de ses six cordes
les frontières invisibles.

*

Höhenwinkel

Mit aller Macht
gegen die verdorbene Luft
sich wehrend,
Gingko, Himmelsbaum
in Gold gehüllt.
Aus seinem Kern
eine Mandel entlassend,
Fächerblatt
in sich selbst getrennt,
seine Zwiefalt suchend,
Gingko, Himmelsbaum
in Gold gehüllt.

In der Menschenmenge
den Gong schlagend,
Almosen sammelnd,
ein Wandermönch
in Zazenstellung
auf seiner Strohmatte
durch den Sonnenuntergang
beleuchtet.

In die Wahrsagung eindringend
durch Erde
durch Staub
durch Steine
gegen Windgang
gegen Wassergang
diese inkommensurable Kirche
angesichts des Grünbergs.

Um den 38. Breitengrad
seit einem Halbjahrhundert
in den verlassenen Panzern
tummeln sich seltene Tiere
zwischen seltenen Pflanzen
in Abwesenheit der Menschen.
Nach der Heimkunft aber
setzt eine Koreanerin aus Amerika
auf dem Rücken des Blaukranichs
sich in den Kopf
durch Himmelflug
den 38. Breitengrad zu durchkreuzen
bei rohem Klang des Kòmungo
mit sechs Saiten
die unsichtbaren Grenzen
schrammend.

Traces erratiques

Dans le chaudron glacial de Stalingrad se réfléchit le cerveau des soldats paralysés – “ Ne rien faire ” - “ Rien penser ” - “ Bruit blanc ” – seules leurs psalmodies encerclent de blanc le champ de bataille – “ Nous avons déjà perdu notre pays natal à Stalingrad… ” Alexander Kluge “ L’Édification organisationnelle d’un malheur ” – Sans écho, l’irrépressible nostalgie s’en va en vain sur le chemin du retour. – “ Stalingrad, no man’s land ou le rire insensé du courage ! ” Asger Jorn dissout en vain toutes les couleurs de l’antique peinture d’histoire dans le blanc de l’Ouest, mat de la mort, sans retour au blanc de l’Est qui monte de la matité à la brillance. Stalingrad vit encore le huis clos, si profondément sombre le regard au rire erratique, crevassé de rouge et de noir, criblé de blanc. Si le noir imprime la volonté de vivre, le blanc exprime la volonté de mourir.

*
Irrfährten

Im Eiskessel von Stalingrad spiegelt sich das Gehirn von gelähmten Soldaten – “ Nichts tun ” - “ Nichts denken ” - “ Weißes Rauschen ” – Nur ihre Psalmodien umzingeln ein weißes Schlachtfeld – “ Die Heimat haben wir schon in Stalingrad verloren… ” Alexander Kluge “Der organisatorische Aufbau eines Unglücks” – Ohne Echo geht vergeblich die unbezwingliche Sehnsucht nach dem Rückweg. – “ Stalingrad, Niemandsland oder Irrgelächter der Courage ! ” – Asger Jorn löst vergeblich all die Farben der uralten Geschichtsmalerei ins Weiß von Westen auf, das Mattweiß des Todes, ohne Rückweg nach dem Weiß von Osten, das von der Mattheit zum Glanz emporsteigt. Stalingrad lebt noch in abgeschlossener Sitzung, so tief der Blick mit Irrgelächter versinkt, von rot und schwarz zerklüftet, von weiß durchsiebt. Wenn das Schwarz den Willen zum Leben eindrückt, drückt das Weiß den Willen zum Sterben aus.

Brutalité en pierre
Seuil sur seuil
porte sur porte
voûte sur voûte
violemment
s’avère
loi de chant
à travers
loi de ruine.
Seul
un vautour
du haut des airs
se scrute
de son rire erratique
à travers
livre de ruine.
*
Brutalität in Stein
Schwelle über Schwelle
Tür über Tür
Gewölbe über Gewölbe
gewaltig
offenbart sich
Gesangsgesetz
durch
Ruinengesetz.
Nur
ein Raubvogel
in der Höhenluft
erspäht sich
mit irrem Gelächter
über Ruinenbücher
hindurch
En un éclair
en haut voûte étoilée
en bas ver luisant
en karma étoile filante…
*
Im Augenblick
vom Himmel
ein Irrstern
zum Himmel
ein Glühwurm
das Geschick hindurch…
Sous quel astre ?
Échappant
à la congestion du temps
un transmigrant
en perpétuel transit
se transmue
en machaon, morio, vulcain ;
en évent étincelant
battant des ailes
sur ses fines écailles
capte le rayon vert
en perpétuel transit
un transmigrant.
*
Unter welchem Gestirn ?
Der Zeitstauung
entrinnend
im fortwährenden Transit
ein Transwanderer
verwandelt sich
in papilio machaon, vanessa antiopa, vanessa atalanta ;
im funkelnden Vorfall
flügelschlagend
auf seinen feinen Schuppen
fängt den grünen Strahl auf
ein Transwanderer
im fortwährenden Transit.
Satori
Dans le grouillement d’atomes
de son alpenstock
se frappant,
dispersant dans le vide ses aumônes,
sous le paravent sidéral
de sa feuille de gingko
se frayant un angle de vision,
le moine errant
en zazen d’aplomb
sur sa couche d’air bariolée
en apesanteur planant.
*
Satori
Im Atomengewimmel
mit dem Alpenstock
sich schlagend,
ins Leere die Almosen verstreuend,
unter dem Himmelschirm
mit dem Gingkoblatt
sich einen Sichtwinkel bahnend,
der Wandermönch
in senkrechter Zazenstellung
auf bunter Luftmatte
in Schwerelosigkeit schwebend.
Brutalité en pierre
Violemment
s’avère
loi de chant
à travers
loi de ruine
à travers
livre de ruine –
Ah ! bleui
carminé
pétrifié
visage de poète
dans l’aura !
C’est là que réside
Hölderlin Benjamin Kluge.
Ah ! bleui
carminé
pétrifié
écho
à travers
calciné
cendré
noirci
angle de site !
*
Brutalität in Stein
Gewaltig
offenbart sich
Gesangsgesetz
durch Ruinengesetz
über Ruinenbücher
hindurch –
Ach ! blaubeleuchtetes
karminrotes
versteinertes
Gesicht des Dichters
in der Aura !
Dort wohnt Hölderlin,
Benjamin, Kluge.
Ach ! blaubeleuchtetes
karminrotes
versteinertes
Echo
über verbranntem
aschenbeleuchtetem
geschwärztem
Höhenwinkel !
Fugato
Dans ce bois
chargé de soufre
où son tronc fut marqué
par un signe de croix
le voici de retour
le violon aux quatre cordes
par sa cambrure oblongue
animant les fils de bois
de l’âme —
adirato-affetuoso
afflito-affretando
affretato-agitato

par des stridences de l’archet
invisible
en croisées de souffles
numériques :
“ Ist unbekannt
Gott ? Ist offenbar wie der Himmel ? ”
*
“ Inconnu que
Dieu ? ostensif comme le ciel ? ”
Hölderlin
*
Fugato
In diesem Holz
mit Schwefel gesättigt,
in diesem Stamm
mit Kreuz angelascht,
ist sie heimgekehrt
mit vier Saiten die Geige
durch ihre oblonge Wölbung
die Holzstriche belebend
der Seele –
adirato-affetuoso
afflito-affretando
affretato-agitato

durch Bogenschrillen
unsichtbar
in dieser Atemkreuzung
*
« Ist unbekannt
Gott ? Ist offenbar er wie der Himmel ? »
Hölderlin
Change de tons
Dans son halo
se contemple l’ovale
des yeux mi-clos ;
sur le front arqué,
sur la commissure
des lèvres closes,
sur le sombre bord
des paupières
se reflète l’orbe de lune ;
à l’écoute des cordes d’épinette
pincées,
à la recherche du grundton
kunstton

dans son hexaèdre
Hölderlin :
“ Augen hat des Menschen Bild,
Hingegen Licht der Mond. ”
*
“ De l’homme l’image a des yeux,
De la lumière la lune par contre. ”
*
Wechsel von Tönen
In seinem Lichthof
betrachtet sich das Oval
von halb geschlossenen Augen ;
über gebogener Stirn,
über dem Mundwinkel
von geschlossenen Lippen,
über dem dunklen Saum
von Augenlidern
spiegelt sich der Mondkreis ;
gezupften
Spinettsaiten lauschend,
nach dem Grundton
Kunstton suchend,
in seinem Hexaeder
Hölderlin
*
« Augen hat des Menschen Bild,
Hingegen Licht der Mond. »

Douze corps célestes (six « Comètes » et six « Météores ») fut conçu entre l’automne 2009 et l’automne 2011, entre l’île Beaulieu et l’île de Nantes, au cœur de l’ultime combat d’Ekkehart Rautenstrauch. – Une première version de « ‘Six comètes’, poèmes de Kza Han, présentifiés par Ekkehart Rautenstrauch », a paru sur le site de L’Atelier des cahiers de Corée en mars 2009, réalisée par Benjamin Joinau. « Six météores », images d’Ekkehart Rautenstrauch mises en poèmes par Kza Han, est inédit.

© Images en 3D : Ekkehart Rautenstrauch
© Poèmes : Kza Han

Ekkehart Rautenstrauch est né en 1941, à Zwickau. Il fait ses études à la Kunsthochschule de Stuttgart. Il s’installe en France en 1968. Professeur à l’école des Beaux-Arts de Nantes entre 1972 et 1982, il enseigna jusqu’en 2006 à l’école d’Architecture de Nantes. En 1974, il explora LE TEMPS D’UNE JOURNÉE les possibilités du Landart. En 1976, il réalisa au Musée des Beaux-Arts de Nantes FOTOBAND, bande visuelle de 77 m de long, traduite en musique acoustique par Jean Schwarz… En janvier 2005, il fait voir « BALLADE à MELENCOLIA » à Rennes. Durant l’été 2007 fut présentée au 3D Center of Art and Photography de Portland la série cyclique d’images KUNSTFABRIK. En avril 2010, à la galerie nantaise Le Rayon Vert, Pixel/Pinsel, avec Jean-Luc Giraud, exalte la geste picturale des 3D, avec In lieblicher Bläue / En bleu suave et Chiron de Friedrich Hölderlin, et Six comètes, poèmes de Kza Han qu’il représente par anaglyphes. La dernière exposition qu’il mit en œuvre dans son pays natal, à la galerie Albstadt d’Ebingen, de novembre 2011 à février 2012, célébra « ZeichenRaumKlang », « Signe Espace Son », avec une salle consacrée aux Variations Goldberg de J.S. Bach, 32 peintures du thème avec ses variations. Ekkehart Rautenstrauch est décédé en janvier 2012. Une exposition vient de lui être consacrée à Nantes (Maison de l’Avocat, du 15 au 26 octobre 2019), ainsi qu’un somptueux ouvrage-bilan posthume bilingue, Ekkehart Rautenstrauch. Leben und Werk / Ekkehart Rautenstrauch, sa vie, son œuvre, éd. par Ubertus et Thomas Rautenstrauch, 2017.

Kza Han est née en 1942 à Zung Up, en Corée. Elle entreprend des études supérieures au Département de Français à l’Université Hankuk des Etudes Etrangères (1960-64). Boursière du gouvernement français, elle arrive en France en 1964. Elle y prépare le professorat de français, dans une aile de cette Sorbonne dont le fronton porte « Liberté, égalité, fraternité ». A la suite de Maïakowski, Lautréamont, Artaud, elle côtoie l’IS, annonciatrice de la dérive, du dépassement de l’art (1965-67). Maîtrise de Lettres Modernes sur Samuel Beckett à l’Université de Nantes. Apprentissage de l’allemand en compagnie de F. Hölderlin, J. Roth, F. Nietzsche, A. Kluge…Rencontre Ekkehart Rautenstrauch en 1980, collabore intensivement avec lui de 2009 à 2011. Elle a publié Sprich und zerbrich / Parle et brise-toi / Malhèra g’ligo buschora, livre trilingue manuscrit (Nantes 1980), Traces erratiques / Irrfährten / Banghwanghan’n Butzakuk, poèmes trilingues ( Nantes 2007) … Elle anime de 1998 à 2001 la « Rubrique européenne » de la revue Moun Ye Han Kuk à Séoul (pour A. Artaud, Lautréamont, Ph. Beck…H. Müller, T. Bernhard, W. Benjamin… S’entretient sur France Culture avec O. Germain-Thomas (« Agora », « For intérieur »…) Participe en 2011 au Printemps des Poètes de Bordeaux, avec lecture et projection des « Six comètes » d’Ekkehart Rautenstrauch. Avait publié en 2002 Le Fardeau de la joie, de et sur Hölderlin, traductions et commentaires, avec Herbert Holl. Publie régulièrement dans TK-21 LaRevue, notamment sur Alexander Kluge. Poèmes de Kza Han retenus par le site internet « En poésie, la parole est libre ».