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Départs de feux — I/IV
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Derrière les sages, les saints, les poètes, et la matière de l’âme se tient l’inconcevable néant : qu’il lui soit donné en pure perte un chant qui s’égare au-delà de lui-même.
In memoriam Lokenath Bhattacharya
Et pour Adonis
Ceux que la poésie tenaille comme l’ortie et les taupes dans le gazon et les pelouses aimeront peut-être ces Départs de feu ! C’est tout ce qui m’a été donné… Et j’en suis heureux comme le moineau à qui on jette des miettes ! Un départ de feu n’est rien, mais qui sait qui l’allume, où il mène, jusqu’à quel incendie, jusqu’à quelles cendres et quelles friches ; encore faut-il qu’il trouve de quoi se nourrir !
« Et moi avec dans les mains seulement un pipeau [1] »
*Émotion vague douloureuseDevant l’oiseau qui fuitAvant d’avoir pu reconnaîtreSon chant dans un poème qu’On n’écrira jamaisEt qui n’étaitQu’un souffle qui se disperse
C’est un bluesBleu orange comme un très lentCoucher de soleilQuand il frôle la joue de la luneC’est un blues mélancoliquementBeau et fragileDe roses trémières qui tremblentQuand il pleut obstinémentSur les jardins secrets d’une âme*Depuis le voyage vers le mondeOù ils étaient à la modeOn coupait leurs pattes aux oiseauxParadisEt je marche dans la villeCroyant qu’à moi aussiIl manque une chose qu’on a prise
Poèmes et mouettes ne servent àRienSauf à poursuivre des sillages dePoissonsA emplir l’espace vide et plongerComme on tire une flècheVers des cibles obscures :JamaisUn poème n’a empêché la guerre*Écrire est un acte de foiMantras d’imagesDans l’espace insonoreIl faut demander au ventEt à la pluieComment c’était là-bas
Quand nous advint l’âmeLa lionne dit à la gazelleC’en est fini de la paix !QuittonsCes lieux paradisiaquesL’homme et la mort sontLiés par un partage cruel*On tire à balles réellesSur des bullesD’humainsArchives deL’enfer on tire sur toutCe qui bougeSur la beautéProtozoaire des débutsSur quelques fillesAu regard prophétiqueD’œil zodiacalPhotos pour magazinesDe l’âme
Sur l’arrière-cour du sommeilRugit contre la meuleRonde du mondeLe criDu rémouleur insomniaque deLa mémoireIl neige à pattes de velours surLes nuits blanchesEt l’âme alors a mal comme onA mal au cœurOn se sent toujoursUn peu bête seul devant la merMême si autourLes coquillages font un remue-Ménage de vaisselle*Demi-sommeil de chats devantL’âtre des planètesL’ange de la paroleDéferlant sur l’océan bègue desVaguesLes mondes et moi on apprend àSe connaîtreQuelques fois les yeuxSuffisent qui lancent des bouées
La crinière rousse des oragesFlotte sur l’encolureDu crépusculeUn rocher se serait entrouvertPour recevoir son corpsLes bistrots ne serontPas de trop avant de fermer àL’heure de rentrerDormir seul dans les tamtams*Paix mon cœur ! Ton chenilEst vide la meute a suivi lesCurées et court dans la forêtObscure des corps odorantsPaix mon poème c’est calmeQu’elle reviendra se coucherAu bercail et lécher son poilTu pourras alors gratter à laPorte où ta promise imagineLe désordre inouï de t’aimer
Paix mon cœur ! Cette obscurité
N’est plus qu’un clapotis d’astre
Contre le quai désert de l’univers
Le jour entre dans la passe étroite
Avec la lenteur solennelle virant
Vers le port où s’apaise la surface
Paix ô mes faiblesses amoureuses
Dans la ferveur fragile de l’aurore
Car les haubans sifflent dans l’air
*
Tu arraches des poils de barbe
Au menton des étoiles
Filantes
Après il te faut
Tendre la joue gauche au chant
Tu écris
Toujours à la craie sur l’ardoise
D’école
Où l’éponge n’efface jamais tout
Parmi les feux rouges des ruesOù le désir clignoteLa voisineA mis sa robe légère pour l’étéSes cheveux flottent librementJusqu’aux hanchesJe ne sais plus quoi dire : la luneA l’air d’une tonsure*Le dernier homme tueraL’avant dernierPuis l’oubliEn fera une affaire nulleEt sur la table de cuisineJ’en serai encoreÀ recompter les fourmisQui passentEt les moutons de laineSous le matelasCrevé de la Voie lactée
Pendant qu’il se battaitAvec l’angeJacobNe s’aperçut pas qu’onAvait tiré l’échelleElle n’était que pour luiL’ange a des ailes*Qui diraL’âge d’un oiseau quandIl chanteEt quoiPour l’âme qui se refuse àFaire silenceEt qui s’obstineAvec ce qui souffre et peutSi peu
La lune a fait le ménageL’homme retrouve les nuagesEt la beauté du jourL’herbe écraséePar le troupeau redresse la têteEt l’arbre repriseLes chaussettes trouées de l’airOn discute du menu à la carteDe la mort alorsQu’on le sait c’est une cantine*Au petit matinQuand on secoue à la fenêtreLe tapis d’ombreSeuls volent des poils de chatLe vent n’aime pasRester entre les murs de l’âme
Marchant sur l’unique planèteOù poussent des fleursOù chante la pierreDans le cloître cistercien de laMontagnePlus démuniQu’une carte postaleOù l’on ne sait pas quoi écrireJe fouille la poche du smokingDe la nuitLe cosmos est un brouetUne soupe brûlante puis froidePuis l’assiette reste vide*Les grains de riz célestesSont vastesEt c’est trop tardPour le bol où l’on habiteL’oxygène du scaphandreDevient rareLe poème est aussiDifficile que de retournerÀ la station spatialeJe dormirai doncDans le paisible vieillissementDes galaxies
Mon âme et la mer mêmeChose ! On avanceOn reculeOn ne sait plus où aller niRester tout à faitTranquilleLe flot convoie ses alguesSes médusesVieille ménopauseEt marc océanique lunaireSauts d’athlèteDu soleil sur le plongeoir*Si tu trouves un signeDe la présenceD’un dieuCe serait le creux tièdeDans la neigeD’un chien de traineauAyant passé la nuitLa truffe entre les pattesPrès de la tenteOù tu dormais jusqu’àL’aube où l’atteler
Piquenique dans les dunesLa bouteille d’eau gazeuseSous la pluieDes sardines à l’huile prèsDe la merDes couvertsPlastiques comme en avionUne mouetteGrise qui me fixe des yeuxEt mon chagrinLoin de toi comme du sableEntre les dents*Huit heures du matinDans la rueL’incroyable cadeauD’un visageDe fille dans la fouleTout le soleil sur elleL’éternité te foudroieEt le métro avale tout
Sur des chaises prèsDu tronc centenaireIls jouent aux cartesDans le jardin publicJusqu’à tard l’ombreObserve penchée surLe dos des tricheursDéjà dans les fouillesDe l’enceinte grecqueOn avait mis au jourDes corps pour qui laPartie en cours jamaisNe semblait terminée
Notes
[1] Apocalypse
Illustrations : Ciels — Eugène Boudin