mardi 18 décembre 2012

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Water ripples

Le miroir de la nuit

, Henning Lohner et Jean-Louis Poitevin

De tout le "raw material" rassemblé pendant plus de vingt ans de travail pour le cinéma et la télévision, Henning Lohner extrait un catalogue d’images individuelles, appelées tout simplement "Moving Pictures". Chaque image est reproduite en boucle dans un cadre digital. Elle est à accrocher au mur comme un tableau. Les "Moving Pictures" sont présentées pour la première fois en 2006, dans la galerie Springer & Winckler à Berlin. Depuis, les œuvres de Lohner ont été exposées dans le monde entier.

Nul ne sait de quoi la nuit est faite, pas la nuit du ciel, la nuit du crâne.
De nouvelles informations nous parviennent pourtant chaque jour en provenance de notre réseau neurologique. On dit que les réseaux de la mémoire sont les mêmes que ceux de l’imagination.

Mais nous restons seuls désespérément seuls avec nos histoires sans fin et qui ne trouvent pas de mots pour passer dans l’oreille des autres ni d’images pour envahir leur cerveau.

Nous y sommes, pourtant, ici, déjà.

Ces eaux sombres, plissées, sont une image possible de cette nuit intime, de cette obscurité sans nom, de cette énigme fatale.

Un monde figé ? Rien de moins. Cela vibre, lentement, vibre et ondule, et quelque chose se passe qui est comme une respiration devenant sensible.
Nous comprenons que ce que nous voyons n’est pas de l’eau, pas un lac, mais nous. Nous sommes en train de regarder en nous. Cette surface, ces mouvements fragiles, ces éclats de lumière, c’est nous. Nous savons que nous venons de pénétrer dans l’image, l’image du dedans du crâne, du dedans de la vie, de la vraie vie, celle qui a lieu entre plis et vagues, entre dispersion de points lumineux qui signalent des intensités remarquables et des concentrations d’informations, quelque part, là tout près, là si loin, dans la nuit de notre crâne.

Nous voyons, mais nous ne comprenons pas. Alors nous nous redisons que ce qui a lieu sur l’image, c’est simplement un jeu de lumière sur une surface d’eau.

Puis lentement nous respirons avec l’image, en elle, nous entrons en elle, c’est-à-dire en nous. Fonction majeure de l’image active que de nous faire vivre les événements dans l’image comme étant ce qu’ils sont, des événements qui ont lieu en nous et qui en même temps nous constituent.
Mais comment le dire ? Impossible parfois. Mais le montrer, oui.
Ainsi face à ces eaux magiques que peuplent des éclats de lumières qui sont les notes fondamentales de notre vie psychique, nous voyons que nous rêvons, nous voyons que nous sommes capables d’imaginer des scènes plus folles que le réel. Et déjà nous avons commencé de chercher la beauté des formules par lesquelles, un jour, il nous sera possible de dire.

Et nos yeux remontent vers la source des images et des mots, là où des peuples de micro-événements font retentir leur musique inaudible dont nous devinons les accents à ces éclats qui oscillent dans l’image, à ces reflets qui dessinent l’univers encore à venir de nos espoirs à peine nés.