LaRevue - Arts, cultures et sociétés


LaRevue,
n°74


Éditorial

On connaît la chanson.
Marchons, marchons... ! Et aussitôt la suite de la chanson nous vient au bord des lèvres. Hoquet ou régurgitation ? Vomissement ou faim ? Reste le fait que cette marche ne conduit pas à l’étage supérieur, mais à l’étape suivante d’un voyage immobile puisqu’ici avancer signifie pouvoir continuer de tourner en rond.
Ce sur-place à vitesse rapide n’est pas sans effets. Telle une centrifugeuse, cette marche en rond autour du pilier du courage et du savoir tend à expulser du vaisseau tournoyant qu’elle constitue, tous ceux qui sont trop légers ou trop lourds. Les uns sont broyés et avalés par le siphon au centre, les autres, jetés au dehors de la roue du manège.
Agrippés au bastingage du néant, ou à leurs jouets comme à des bouées, les survivants temporaires marchent et marchent encore, fermant les yeux et priant sans oser l’avouer.
Reste les responsables du manège dont on ne sait où il crèchent, dans l’espace de la foire ou bien quelque part ailleurs. Mais où ailleurs ? Sans doute pas trop loin. Il faut bien pouvoir jouir un peu de ses prérogatives et des effets que l’on génère.

Vive la rentrée ! Peut-être ! Pour ce Numéro 74, TK-21 LaRevue poursuit sa quête d’images inédites, son décryptage de tendances lourdes ou légères qui peuplent le ciel de nos esprits embrumés, ses voyages dans des pays où l’on aimerait peut-être se rendre et ses collaborations avec des gens nouveaux comme avec d’autres qui reviennent très souvent et qui sont en quelque sorte devenus des amis.


Jean-Louis Poitevin
poursuit ses Logiconochronies en évoquant ici un livre de Kim Dong-In paru récemment aux Éditions des cahiers, auteur coréen qui vécut pendant la première moitié du XXe siècle. En s’appuyant sur les nouvelles qui composent ce recueil il ouvre un champ de réflexions et de méditations sur les liens entre imaginaire et réalité, entre rêverie et puissance d’effraction du fantasme dans la constitution du vrai.


TK-21 LaRevue
a réalisé en juin un entretien avec Vincent Debiais qui a publié La croisée des signes, L’écriture et les images médiévales (800-1200) aux Éditions du Cerf cette année, un essai remarquable sur les images aux Moyen Âge. Dans la première des trois parties de cet entretien, il analyse à partir des images, la mécanique mentale, psychique, spirituelle et matérielle d’une époque. Les liens ou les rapprochements avec notre époque sont si manifestes qu’ils confèrent à ces réflexions une force rare.


Le premier grand voyage que propose ce numéro 74 se fait vers l’Iran. Pour ceux qui ne sont pas allés en Arles, il sera donc possible de découvrir le travail de photographes iraniens contemporains. L’exposition et le livre, Iran année 38, dressent un panorama tout à fait passionnant sur la création photographique en Iran depuis la révolution de 1979. C’est aussi le début d’un travail de longue haleine qu’entend mener TK-21 LaRevue, en collaboration avec la Silk Road Gallery de Téhéran. En effet chaque mois, nous allons présenter et analyser le travail d’un ou plusieurs photographes iraniens, début d’un long voyage donc.


TK-21 LaRevue
propose aussi en écho à La Biennale des photographes du monde arabe contemporain à Paris des textes et des images de Bruno Boudjelal sur la jeune photographie algérienne, images exposées à la Cité internationale des arts. Cette découverte permet de prendre la mesure de la vitalité et de l’inventivité qui est à l’œuvre de l’autre côté de la Méditerranée.


Avec, Confine exposition d’une série de photographies uniques de Vittoria Gerardi à la galerie Thierry Bigaignon, c’est à la découverte d’un très jeune artiste que TK-21 LaRevue nous convie. En effet, suite à un voyage dans la vallée de la mort, la jeune artiste italienne a fait l’expérience radicale de l’horizon qui se tient là, devant nous, éternellement inaccessible, décourageant toute tentative de le rejoindre, et qui nous fait comprendre que vivre, ici, c’est déjà mourir. Ses images faites à partir de découpages et de recouvrements comme le montre la vidéo, ont la qualité des premières fois exceptionnelles.


TK-21 LaRevue
est heureuse d’accueillir le texte de Philippe Godin sur trois artistes Philippe Azéma, Davood Koochaki, Kuffjka Cozma dont les œuvres s’apparentent à l’art brut. Nouveau venu dans la revue, Philippe Godin parvient dans un texte inspiré à évoquer ce monde au-delà de l’attente qui est celui de ces artistes. Il se concentre en particulier sur Davood Kookaki qui a exposé ses œuvres pour la première en 2008 à Téhéran, et en ce moment à Paris à la Galerie Claire Corcia, à propos duquel il remarque que « ses créatures ne nous avertissent d’aucun présage. Elles s’imposent de leur seule présence énigmatique, et restent des signes mystérieux. Des Sphinx. »


TK-21 LaRevue
se réjouit d’accueillir le texte que Léa Chavel-Lévy a publié dans Mouvements sur deux artistes rares et méconnus qui ont exposé leurs œuvres pendant trois mois près de Fontainebleau, Adrien Lécuru et Martin Mc Nulty. « Entre les lignes des œuvres d’Adrien Lécuru se dessine un monde sans rênes, qui ne maîtrise plus sa monture. D’où le terme d’húbris donné à l’exposition. Face à cet univers, les sculptures de Martin Mac Nulty déposées et comme échouées au pied d’une terre incertaine, observent. » Il est possible, ici, de faire ce voyage dans cette grange qui fut, en cet été 2017, un lieu de manifestation du numineux.


TK-21 LaRevue
poursuit sa présentation de l’œuvre de Mengzhi Zengh. Artiste multiforme travaillant le dessin, les structures dans l’espace, il s’impose surtout par ses maquettes abandonnées. Il expose à partir du 5 octobre à Francfort. Jean-Louis Poitevin poursuit son analyse de ce travail hors norme. « Lorsque l’on est confronté à ces maquettes abandonnées, il est inévitable de penser qu’il s’agit de quelque chose qui aurait à voir avec l’architecture puisque ces maquettes abandonnées évoquent inévitablement des « maisons ». Et, en même temps, il est inévitable de constater d’une part qu’elles ne sont pas habitables et d’autre part qu’elles « parlent » d’autre chose que d’architecture. C’est qu’à l’évidence, se tenant là en dehors de toute attribution d’un statut d’objet, fruit d’une vision et d’un geste inventant l’espace, elle s’imposent comme des sculptures. »



TK-21 LaRevue
poursuit aussi ses investigations dans le domaine de la vidéo.
Pour la première fois nous publions en avant première un clip vidéo d’un groupe musical. Ce choix tient au fait que la vidéo a été filmée par le photographe américain Jehsong Baak. Elle est construite d’images prises en direct ou filmées en projection et réflexion – toutes inondées de lumière – si caractéristiques du travail de Baak et si appropriées avec le nom et la musique de LUX, groupe né de la rencontre inattendue à Paris entre Angela Randall, chanteuse et auteure new-yorkaise et Sylvain Laforge, guitariste de blues/rock.


Nous poursuivons notre collaboration avec Stéphane Mortier et sa série infinie de vidéos, intitulée Quotidien d’Atelier. À travers cette série documentaire qui révèle et questionne l’art, Jean-Louis Poitevin poursuit ses réflexions sur ce qui est donné à voir, ici des gestes qui sont pour l’artiste comme sa signature manifeste et secrète. Ont été convoqués, pour cette session, les artistes Ivan Messac, G.Schlosser et Yoshimi Futamura.

Avec Mariage nous nous reconnectons une fois encore avec les si singulières vidéos de Chan Kay Yuen. De quoi s’agit-il ? De la possibilité d’un engendrement infini des images à partir de leur propre division et de la multiplication de cette division. Ici, la réflexion sur les images, sur les corps et sur l’engendrement parallèle des deux conduit à une œuvre détonante. Avec son texte intitulé Scissiparité, Jean-Louis Poitevin accompagne ce travail d’une réflexion rapide qui n’ignore pas l’ombre inattendue que projette Georges Bataille sur la mécanique du désir.


Christophe Galatry
présente un travail qui est une restitution à l’invitation de la Galerie DEUX à Marseille. L’enjeu est une introspection par plusieurs artistes de ces entrelacs de zones de nature, industries et habitats sur les territoires de l’étang de Berre au golfe de Fos, dispositif industrialo-portuaire inscrit dans la métropole marseillaise.


Jae Wook Lee
poursuit son travail de déchiffrement des tendances lourdes qui traversent des pans entiers de l’art contemporain tels qu’ils se manifestent loin de Paris. Ici, comme toujours, il pose une analyse brillante d’une exposition tout en mettant en relation le travail artistique et les questions que cela pose sur le fonctionnement mental qui est le nôtre. « Yongju Kwon’s first solo exhibition in the United States shows how an indeterminate subjectivity activates artistic thoughts and critical dialogues.In the main room, Kwon presents a single-channel video and a sculptural installation titled Tying (2014-2016). This 28-minute video conveys emotional and psychological aspects of human desire and struggles in the industrial capitalism of Asia in the 20th and 21st centuries. »


Poursuivant, elle aussi, son approche d’œuvres et de textes peu pu pas connus, Laëtitia Bischoff pose aujourd’hui à partir des images de Sophie Patry, cette question : Existe-t-il du flou dans le réel ou est-ce seulement nos yeux, nos appareils qui forgent son pays ? Elle y répond par un texte juste et un poème non moins inspiré et juste.


TK-21 LaRevue
poursuit aussi ses investigations dans le domaine de la création littéraire.
Nous proposons ici, de découvrir grâce au travail de la compagnie AWA, l’œuvre méconnue DreamHaïti du poète barbadien Kamau Brathwaite. « Et si nous quittions la sidération de notre regard sur les corps échoués aux rivages européens pour retrouver le mouvement d’une histoire qui nous est commune ? » se demande la metteuse en scène Frédérique Liebaut. Nous évoquons ce texte par des extraits et une vidéo réalisée par Dani Abolouh.


Fidèle à TK-21 LaRevue, le grand poète Werner Lambersy revient avec un inédit, intitulé Départs de feux. Dédié au grand poète disparu Lokenath Bhattacharya, ce texte nous plonge dans des strates psychiques que nous avons souvent peur d’explorer, car « Derrière les sages, les saints, les poètes, et la matière de l’âme se tient l’inconcevable néant : qu’il lui soit donné en pure perte un chant qui s’égare au-delà de lui-même. »


Photo de couverture : Amir Mousavi (Tree, The bird, and Hemmat highway-2010)

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