dimanche 20 décembre 2015

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Symbole ressuscité par la peau des vivants

Trois images d’Hannibal Volkoff

, Hannibal Volkoff et Jean-Louis Poitevin

Ces trois images ont été produites par Hannibal Volkoff pour l’exposition « Ça ira mieux demain », présentée à la galerie Anouk le Bourdiec.

Paupière

La paupière fermée, au moment de l’échange des salives entre deux jeunes garçons, ouvre sur un passé aboli. Car on y voit faucille enlacée à marteau, l’éclat d’une mémoire occultée. Symbole supposé nous faire vomir car il n’évoque, mais que pour les affidés de la « bien pensance » une idée du mal, il nous fait sourire, posé là où il est, ce jour sur une des trois images, dans lesquelles il est, ce symbole, à chaque fois présent.
Symbole d’un accouplement légitime, la faucille et le marteau évoquent non seulement des combats abandonnés, mais un au-delà de l’oubli ou de l’indifférence. Il y a plus. Ce symbole fait résonner derrière nos paupières la privation d’un mot sali par trop de haine contemporaine dont le sens dit pourtant plus que jamais le devenir possible du monde et la forme du devenir des humains. Ce mot pourrait bien être communisme.

Avant la signification

Les mots contrairement à ce que l’on croit ne servent pas d’abord et avant tout à signifier, mais bien plutôt, nés que nous sommes en eux et vivants avec eux comme avec notre chair, à mesurer des différences de potentiel inhérentes à chacune de ces situations dont nos corps et nous sommes les acteurs et la surface d’enregistrement.
Les mots ne sont pas neutres mais ils ne sont pas non plus chargés de cette valeur explosive ou morte qu’on leur accorde par principe.
C’est au moment où ils transitent dans l’autre strate, celle de la signification reconnaissable, celle de l’allégorie palpable, qu’ils se mettent à changer de statut et à devenir aussi bien des étouffoirs que des bombes, des plâtrées indigestes de vomi à ingurgiter sous peine de punition que des rivières de diamants étincelant jusqu’au confins de la nuit et transperçant la transparence bâtarde des corps.
Sur l’image du baiser, n’oubliez pas de voir l’explosion cosmique des griffures asignifiantes convoquant l’univers au moment où, œil clôt, les garçons aux langues liées, s’envolent vers l’universel singulier de l’instant désiré.

Pose

Elle pose. Nue, mais pas toute comme disent si bien les psy, puisqu’elle a des chaussures et un gode ceinture qu’elle tient d’une main en fumant et rejetant par la bouche un peu de fumée, sperme volatile s’élevant vers le ciel d’une indifférence jouée.
À côté d’elle, prenant à la lettre le programme de l’exposition, un « Ça ira mieux demain » s’affiche sur le mur à sa droite ainsi que d’une taille respectable, une faucille et un marteau. Est-ce d’être vêtue, comme femme, de l’attribut de l’autre, l’homme qui constitue la réponse à la question devenue pour les besoins de la cause affirmation dotée de peu de créance ? Hannibal Volkoff ne saurait se résoudre à cela. Il titille d’un geste non obscène mais direct, la main de l’une sur le sexe de l’autre qui est en même temps le sien pour cet instant, notre besoin de consolation, qui par ce jet de fumée léger est comme réduit à sa plus radicale négation. De consolation aucune. Demain, ni mieux ni pire, non mais qu’est-ce que vous croyez. Je ne travaille pas et je fume semble-t-elle dire et je vous encule. Enfin même pas ! Ou je vous masturbe. Ou je joue au jeu du faire semblant dans la cour de récréation du temps perdu.

Pareillement

Et puis il y a la troisième image, à voir dans la réserve de l’expo. C’est la même femme, le même gode, mais elle pose, statue fière affirmant son existence par la puissance de son regard. L’indifférence est loin, il y a juste ici l’affirmation silencieuse d’un je suis j’existe non cartésien.
En fait cette image joue avec et contre l’autre. Le décor est le même, mais celle-ci joue à retourner le lien qui, dans l’autre unit les balbutiements du souffle et les gargouillements de la signification.
Le sens se recroqueville sur lui même et se met à combattre contre lui même, faisant ainsi apparaître dans cet écart minime entre des postures à la banalité programmée un passé qu’on nous impose de haïr. Et elle, elle dit simplement non à la haine. Elle se dresse, statue et chair impliquée dans la vie de la polis, contre la manipulation de masse des cerveaux. Ici pas de message subliminal, une affirmation de type double bind mais qui au lieu de nous enfermer dans l’impossibilité de choisir nous conduit à l’affirmation de soi, un soi sans autre prétention, mais avec celle-là chevillée au corps, d’exister.
Parce que, nous savons que d’autres phrases, elles sont répétées à l’envi entre deux déclamations, comme des plages de pub sur l’écran des pensées : pas tuer ! pas se révolter ! aller voter ! ne pas désirer renverser les tyrans par les armes !
Le passé on l’a anéanti avec des mots slogans. Ici un slogan mot et symbole tout ensemble, accompagné de chair et d’artefact sort de son contexte pour resurgir comme question affirmative. Ainsi entre ces deux fois du même corps mais dans des postures aux accents sensiblement distincts se joue comme entre ces yeux clos sur le plaisir ouvrant sur une paupière marquée de mémoire involontaire, la présentation active dans un monde apparemment sans autre engagement que celui lié à la désespérance des plaisirs illicites, la part invisible d’un aveu : un silence vaut mieux que deux tu l’auras.

Pour le reste, je peux vous le faire en fumant !