vendredi 9 octobre 2009

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I - D.H. Lawrence, Art et moralité

Présentation de quelques concepts de base de Gilbert Simondon

, Jean-Louis Poitevin

Il faut reconnaître à ce grand écrivain qu’est D.H. Lawrence d’avoir su percevoir un phénomène et d’en avoir compris les implications les plus profondes, celui que François Brunet, dans son livre La naissance de l’idée de photographie, appelle le moment Kodak. Mais D.H. Lawrence sait surtout mettre cet événement en perspective et l’inscrire dans une dimension historique longue.

Séminaire image technique image mentale, cinquième année 2009-2010

Commentaire du texte de D.H. Lawrence, Art et moralité, et présentation de quelques concepts de base de G. Simondon

Introduction

Il est nécessaire de remercier François Sagnes qui m’a parlé du livre épuisé depuis des décennies de D.H. Lawrence, Eros et les chiens, et m’a indiqué l’existence de ce texte qui faisait écho de manière particulièrement évidente à nos préoccupations.
Le choix de prendre pour cadre de réflexion pour cette année le livre de Gilbert Simondon, qui est en fait son cours de 1965-1966, intitulé Imagination et invention, se situe, lui aussi, dans la droite ligne de nos préoccupations. Après avoir analysé les éléments constitutifs de la pratique photographique à partir de la notion d’appareil, avec Vilèm Flusser, après avoir refait le parcours qui conduit de l’invention de la photographie à la vidéo en travaillant sur des textes majeurs comme ceux de Benjamin ou de Barthes, il devient inévitable de nous plonger au cœur de la fabrique même des images qu’est le cerveau.
En effet, vivre et penser, cela ne se conçoit pas sans l’existence, en nous et hors de nous, d’une réalité qui soit visible, ni sans cette faculté qui est la nôtre, celle de voir, c’est-à-dire de « faire entrer » en nous cette réalité processus qui nous la rend en partie compréhensible au sens où cela nous permet de nous orienter en elle.

Mais ce qui nous est apparu avec violence, c’est le fait que ce que l’on nomme image a non seulement une pluralité de significations, parfois contradictoires, mais aussi une pluralité de modes d’existence.
Le texte de D.H. Lawrence est intéressant en ce qu’il distingue au moins deux types d’image. En fait, ce sont moins des types d’images qu’il distingue que des relations entre individu et monde.
Ainsi, le premier type d’images produites par les hommes est porté par la pulsion de ressemblance, elle-même sous-tendue par le besoin de reconnaissance et la pulsion scopique.
Le second type d’image est porté par le besoin de traduction à travers un langage visuel d’états psychiques non liés à la vision ou au visible mais pouvant aussi se traduire par des signes visibles.
En d’autre termes, il existe des images que l’on peut nommer « rétiniennes » et d’autres que l’on peut nommer « mentales ».
Au-delà des types d’images, ce sont des conceptions générales de la morale et plus avant de l’existence, qui sont en jeu.

Pour D.H. Lawrence, plus que le résultat, l’image produite, photographie d’une part, dessin de Cézanne de l’autre, c’est ce qui conditionne la production de l’image qui importe. Et ce qui la conditionne est une certaine conception de l’existence, implicite, apprise, fruit d’une culture qui détermine le geste humain de produire de la ressemblance et écho à un double besoin très ancien : celui d’exprimer ou de partager ses émotions et ses connaissances par des moyens communicables, et celui de comprendre comment fonctionne la perception, et dans ce cas précis la perception visuelle.

Ainsi ce texte part d’une question qui peut presque nous sembler bizarre. Elle concerne l’existence d’un sentiment d’immoralité qui serait exhalé par un dessin ou une toile de Cézanne et viendrait sauter à la gorge du bourgeois moyen et le troubler. Par contre face à une photographie et au fond face à toute image de type mimétique, ce trouble ne se manifesterait pas. Ce phénomène pose en fait une triple question qui est au centre de nos préoccupations.

La première est celle du statut de la conscience. D.H. Lawrence affirme avec virulence que la conscience a une histoire et donc que s’il y a des grandes constantes dans la perception humaine, il y a aussi des mutations profondes qui sont dues à la fois à la puissance d’invention de l’homme et à l’effet de rétroaction du connu sur la perception elle-même.

La deuxième est celle du statut de l’image dont la double nature qui se manifeste dans le champ même de la perception, se retrouve dans le champ des images réelles. Pour D.H. Lawrence, il y a deux sortes d’images, les images rétiniennes et les images que l’on peut qualifier de mentales.
Les premières sont prises dans le jeu de la ressemblance ou, plutôt, prennent en charge une donne qui relève de la physiologie de la perception.
Les secondes activent quelque chose de plus profond, de plus indéterminé surtout. Elles font remonter à la surface pourrait-on dire le sentiment confus et largement occulté de l’instabilité générale du vivant. Elles participent aussi de la perception, mais elles traduisent ce qui est de l’ordre du percept plutôt que du déjà connu.

La troisième est celle de l’invention. L’homme invente, mais l’invention est toujours le résultat d’une confrontation avec le non connu. Elle se manifeste par une extraction de quelque chose qui existe et est senti mais qu’il faut aller chercher dans le flux chaotique de l’existence pour lui donner forme.
Pour cela D.H. Lawrence déroule une théorie du cadre absolument essentielle qui mériterait à elle seule un développement très long, car les enjeux sont immenses autour de cette question, en philosophie. Cette théorie permettrait une sorte de remise à plat de l’invention de l’ontologie, et cela à partir des Cavales Parménidiennes, mais c’est une autre histoire. Sans remonter aujourd’hui aussi loin, relevons que ce qui est moral c’est ce qui est perçu à travers un cadre plus ou moins implicite, mais actif et déterminant, le cadre du perceptible qui est au fond une sorte de principe d’autorisation fonctionnant sur les effets de reconnaissance produits par le jeu complexe qui existe entre systèmes d’inférence et systèmes culturels.

La perception moyenne, celle du bourgeois moyen, celle de chacun d’entre-nous en fait, est pour D.H. Lawrence une mécanique qui traite le perçu en fonction d’un schéma qui s’est imposé comme à peu près unique et qui est en tout cas absolument dominant. C’est celui de l’image kodak.

L’enjeu de ce texte et celui de tout le séminaire de cette année, c’est de tenter de dégager les strates qui composent ou participent à notre fonctionnement mental et d’analyser les mécanismes qui les gouvernent.

Des Grecs à l’événement Kodak ou qu’est-ce que l’image ?

La conscience a une histoire

Il faut reconnaître à ce grand écrivain qu’est D.H. Lawrence d’avoir su percevoir un phénomène et d’en avoir compris les implications les plus profondes, celui que François Brunet, dans son livre La naissance de l’idée de photographie, appelle le moment Kodak. Mais D.H. Lawrence sait surtout mettre cet événement en perspective et l’inscrire dans une dimension historique longue.

Pour D.H. Lawrence, le problème de départ est simple. Il existe un enjeu profond autour de l’immoralité ou plutôt de ce qui passe pour être immoral.
Il en sait quelque chose lui qui n’ignore pas que ses œuvres sont considérées comme immorales et qui subira une double interdiction de son roman, L’amant de Lady Chatterley, publié en 1928 à Florence et interdit en Angleterre jusqu’en 1960 pour immoralité et de ses peintures qu’il présente à Londres en 1929.

Ce qui passe pour être immoral relève pour lui non pas d’un simple contenu qui serait universel mais d’un processus historique à plusieurs entrées qui relève à la fois des instincts, du système d’inférence, de la culture dans laquelle l’événement prend place et de l’articulation entre les affects et l’expression que cette culture met en place et autorise.

Notre culture a mis en place une telle articulation autour de la notion d’image et des objets concrets que l’on nomme images. Elle a découvert dans les décennies qui précèdent l’écriture de ce texte, qui date rappelons-le de 1925, un système permettant à une invention encore récente, la photographie, de se démocratiser. Mais plus que cette apparente démocratisation, c’est à l’effet de l’existence même de ce genre d’image sur notre perception que s’intéresse D.H. Lawrence.
C’est pourquoi il nous faut prendre le texte dans sa dimension généalogique. Il nous faut nous reporter aux pages 50-51 de l’ancienne édition 10/18.

D.H. Lawrence voit une correspondance majeure entre une invention récente, le Kodak, et un phénomène ancien, entre « l’habitude de faire de tout une image », (p. 50) et le fait que l’homme a appris « à se voir lui-même. De sorte qu’à présent, il est ce qu’il voit. Il se fait à sa propre image. » (p. 51)
Ce point est essentiel. Il détermine toute la logique de la pensée de D.H. Lawrence et nous rapproche d’entrée de jeu de la conception générale que se fait Gilbert Simondon de l’image.

D.H. Lawrence relie l’image photographique à l’existence de la conscience, mais il indique que la conscience n’est pas le propre de l’homme. Elle a été inventée et construite culturellement par les Grecs en particulier comme dispositif fonctionnant à partir d’une projection du regard sur les choses et associant certaines choses entre elles en fonction de critères qui n’étaient pas seulement visuels. Ce regard ne voyait pas des images. Il voyait la réalité, mais il la voyait en tant qu’il la rapportait aux autres forces actives dans son psychisme et il en découpait ce qui était nécessaire à sa vie et pouvait lui rendre le monde plus compréhensible.

Il y eut un premier effet de feed-back qui seul a permis au moi de se constituer en tant qu’il pouvait s’appréhender comme un double de cet « autre » qui avait été projeté comme existant au dehors. L’homme s’est inventé ou perçu comme double, celui qui percevait et celui qui interprétait ce qu’il percevait. La perception était en quelque sorte extraite littéralement du flux continu du continuum perceptif et l’œil put être saisi comme cette instance qui voit.

Il y eut un second feed-back qui permit d’associer le sujet percevant et l’autre projeté et perçu à l’extérieur qui était aussi bien dieu que le soleil et qui ouvrit la porte à une assimilation singulière et erronée entre sujet percevant et vision globale ou divine.
La vision est devenu l’élément central d’une théologie implicite puis explicite active encore aujourd’hui.

C’est à déconstruire cette association sujet percevant, conscience, œil de dieu qui voit tout, que s’attache D.H. Lawrence.
Au centre donc, l’œil et l’idée qu’il existe quelque chose dans l’œil comme une image « pure » ou un objet qui serait « pure image ». Cette forme absolue de l’image serait à la fois ce qui est, la réalité matérielle donc, ce que voit l’œil et ce que perçoit le sujet.
Un phénomène de réduction, de concentration, de limitation, est à l’œuvre qui va éloigner l’image de ses sources que sont les affects et de sa fonction qui consiste à être d’un des moyens servant à mesurer les relations que l’homme entretient avec le monde qui l’entoure.

Pour D.H. Lawrence, l’image est un phénomène mental, psychique, perceptuel, culturel et historique. N’étant pas un absolu, elle n’épuise en rien la complexité des phénomènes liés à la perception. Elle est, comme toute invention humaine, à la fois moyen et obstacle.

Les deux images

Je n’ai pas encore évoqué l’autre personnage convoqué par D.H. Lawrence dans ce texte, Cézanne. Ce dernier est présenté par D.H. Lawrence comme le porteur d’une immoralité à la fois réelle et phantasmatique. Cézanne est ici le nom propre qui permet à D.H. Lawrence de montrer qu’il existe au moins deux types d’images, les images mentales et les images rétiniennes.

On le comprend la question de l’immoralité de Cézanne est en fait ce qui permet à D.H. Lawrence de proposer une distinction entre deux positions d’existence.
L’une prend appui sur une définition de la conscience comme relation entre un je analogue et un moi métaphorique, pour reprendre ici les termes de Julian Jaynes.
L’autre prend appui sur une approche complexe du sujet vivant conçu comme une sorte de médium entre un réel chaotique, instable, échappant à toute réification et une activité mentale et psychique prenant en charge cette complexité.

La structure je/moi se retrouve présentée pour ce qu’elle est, à la fois une structure prise dans une histoire et une structure qui se présente à elle-même comme universelle, éternelle et anhistorique. Cette structure psychique peut être présentée comme une croyance. Et comme toute croyance, elle est quelque chose qui est largement partagé.

L’image rétinienne trouve dans la photographie une sorte de synthèse, celle d’une histoire certes longue mais beaucoup moins longue que l’histoire qui permet à l’image affective et mentale de continuer à exister en nous.

Le conflit entre ces deux images est un conflit entre les strates de mémoire qui nous composent qui se double d’un conflit entre deux pulsions, l’une qui est basée sur la peur et l’autre sur la confiance en la capacité humaine à l’invention. L’une est une image qui relève de la reproduction. L’autre est liée à l’imagination créatrice.

Le moment Kodak

Dans son analyse du moment Kodak, François Brunet montre trois choses essentielles pour notre propos. Je vous incite à lire ce livre qui est une véritable mine. Je ne vous raconterai pas en détail l’histoire de George Eastman (1854-1932), sinon que l’invention du nom Kodak qui eu lieu deux ans après l’autre nom mythique de l’Amérique naissante, Coca-Cola, « révèle une commune volonté de marginaliser l’ordre descriptif au profit d’une rythmique orale, mnémotechnique et mythopoïétique, affichant par le jeu des sonorités et leur répétition une fonction nouvelle, rituelle, le nom de Kodak tendant à substituer à l’idéologie rationaliste et démocratique de la photographie un mythe commercial et primitiviste qui cadrait avec l’ambition industrielle d’Eastman. » (La naissance de l’idée de photographie p. 235)
Création anti-étymologique, fait d’accoler un nom à un concept nouveau et élimination du mot « camera » (appareil photo), tout cela implique que le mot va exprimer une chose dans son ensemble qui synthétise en fait tous les produits d’une marque en plus des objets à proprement parler.
L’invention du Kodak a lieu cinquante ans après la publication du daguerréotype.

Nous avons déjà évoqué la fonction du mythe de l’image a-technique. Le Kodak faisait de la photographie une magie aux ordres d’un simple désir. « You press the button and we do the rest » est un slogan connu de tous.
Mais ce qu’induit le Kodak, c’est « la transformation de la photographie (aristocratique ou grande bourgeoise dans sa pratique et savante malgré les allégations d’Arago) en pratique de masse et sa refondation en instrument de la mémoire et de la fantaisie ordinaires, quotidiennes. »

Ces mots de François Brunet sont importants.

1. Ils permettent de comprendre le phénomène essentiel peut-être que nous signale le texte de D.H. Lawrence, le remplacement, presque point par point par un jeu de simple glissement si l’on peut dire, de certaines fonctions par des fonctions équivalentes mais liées à une autre strate temporelle ou à une autre strate psychique. En fait, il y a substitution par création d’un instrument adapté à des phénomènes nouveaux plus ou moins engendrés par l’invention même des machines, puis des appareils.
Ainsi, à la mémoire ou aux mémoires qui constituent les strates du vécu humain s’ajoute une nouvelle mémoire rapide immédiate, liée à l’acte individuel et ayant un support matériel accessible dans l’instant et supposé pérenne, au moins pour la durée de la vie des acteurs.

Quant à la fantaisie, comment ne pas entendre qu’elle remplace simplement l’imagination ou plutôt que cette production nouvelle et massive d’images la matérialise. Certes, on peut dire que ces images n’ont rien à voir avec l’imagination comme faculté, mais d’une certaine manière, elle la concrétise aux yeux de certains, disons de ceux qui ne vont pas nécessairement s’intéresser à l’imagination kantienne ou autre.

Ces substitutions se doublent d’autres, comme le remarque toujours Brunet. « La formule Kodak devint ainsi la formule de la socialité, de la politique, voire de la morale américaine. Au-delà de la photographie pour tous, ce slogan résumait le nouveau contrat social façonné par le capitalisme industriel dans lequel l’entreprise relayait les institutions traditionnelles et particulièrement l’instance politique dans la gestion de la vie sociale et du progrès. » (François Brunet, op. cit., p. 242)

2. Le moment Kodak est aussi celui d’une nouvelle vision qui a paradoxalement été mise en œuvre par le plus pictorialiste des photographes nouveaux, Alfred Stieglitz.
« Le pictorialisme se caractérise par un codage des compositions un usage du flou de la retouche, du travail sur les tonalités et les textures de l’épreuve.
La nouvelle vision, elle se caractérise par une recherche formelle techniquement plus sobre, presque ascétique et dominée par le souci de l’équilibre plastique des composants de l’image, recherche formelle qui prendra le nom de photographie pure. » (François Brunet, op. cit., p. 244)

Le changement complet de la composition sociale des photographes va être rendu possible par cette simplification du geste et de la fabrication de l’image finale. Mais cela va aussi donner lieu à une nouvelle esthétique.

En fait Stieglitz et certains de ceux qui vont pratiquer la « press button photography » vont mêler, unir ou relier, les deux courants de la photographie. Ils vont garder du pictorialisme un souci de contrôle du développement et du tirage et le lier avec les exigences de la photographie pure qui est une pratique tout à fait opposée à la recherche longue, une pratique capturant l’instant.

Mais de quoi est fait cet instant ? Pas de ce qui est dans la réalité, non mais de la subjectivité du photographe enfin libre de ses mouvements, subjectivité qui s’exprime grâce au geste simple associé ou comparé à celui de la main tenant un crayon. Avec un Kodak, tout étant possible, on peut dire que l’imagination est au pouvoir.

Kodak réconcilie « les pôles antinomiques de l’imagination et de l’industrie. » (François Brunet, op. cit., p. 251) Le photographe peut commencer à croire qu’il subjugue l’appareil qu’il est plus intelligent que lui bref qu’il l’utilise à ses fins et s’exprime comme individu, à travers lui. Nous avons vu avec Vilém Flusser quelle limite apporter à cette appréciation, mais il n’en reste pas moins que cette croyance a été et est encore partagée par tous ou presque, en tout cas par ceux qui font des images.
« Dans un contexte moderne américain marqué plus généralement par le fonctionnalisme, ce souci de dialectiser l’opposition art/technique fut explicite et constante chez Alfred Stieglitz ; loin de l’opposer à Eastman, il fit en réalité de la photographie « pure » la version picturale du moment Kodak. » (François Brunet, op. cit., p. 253)

3. Le point majeur qui rejoint l’analyse de D.H. Lawrence, c’est le processus de subjectivisation de la photographie rendu possible par l’invention du Kodak et qui est devenu une norme morale d’avoir été auparavant une norme technique, pratique et esthétique.

C’est une mythologie que nous connaissons tous qui a été rendue possible par cette invention. En effet, avant le Kodak, le photographe était le serviteur de son appareil lourd, compliqué à manier ou du moins il en était le valet.
L’appareil maniable léger ouvre la porte à ce que l’on peut désormais « appeler un acte photographique, acte mental ou perceptif, relayé par la main et destiné à « satisfaire l’œil », acte ou la technique ne joue plus aucun rôle visible…/… La technique est dissociée de la prise de vue et celle-ci seule détermine la valeur plastique. L’ascèse du guet débouche sur un hédonisme et un héroïsme du regard. Nuridsany écrit qu’à partir de Kodak « l’essentiel est dans la décision, la pression du doigt qui fait passer la vision de l’indicible au formulé, de l’intime au public…/… Cette décision au cœur de l’acte photographique est fondée dans l’expression du photographe. A la limite, la photographie ne donne plus rien à voir que le JE, regardez moi dit l’image et le geste de photographier n’étant plus technique devient une opération mentale, le siège n’est plus dans la chambre noire mais dans le regard ou le cerveau. Stieglitz parlera de prévisualisation de l’image. » (François Brunet, op. cit., p. 256)

Ainsi voit-on cette prothèse de l’homme pour reprendre une expression de Freud, faire disparaître le moment crucial de la création au profit « d’un couplage entre un regard intériorisé et un geste minimal qui vaut simple enregistrement. » (François Brunet, op. cit., p. 258)

On le voit D.H. Lawrence ne disait pas autre chose dès 1925. Il repérait avec précision ce glissement qui met la subjectivité ou plutôt une forme de subjectivation au cœur d’un phantasme et qui fait de ce phantasme pouvant se réaliser la norme à la fois pratique, tout avoir d’un seul geste, esthétique, trouver le bon point de vue comme expression de soi, morale, puisque chacun peut le faire chacun doit le faire ou du moins partager cette nouvelle vision.
Mais ce que dit en plus D.H. Lawrence, c’est que cette subjectivation, en se couplant avec une mémoire supposée longue, fait glisser cette illusion d’éternité contenue dans la présentation du cliché réalisé au cœur de la subjectivité. Le Moi ou le Je peuvent accéder à une forme de divinisation puisqu’ils sont porteurs et acteurs d’un enregistrement supposé parfait absolu et éternel, bref ayant tous les attributs du divin ou plus exactement ayant toute la puissance de Dieu, celle de voir tout partout et d’enregistrer ce qu’il voit.

D.H. Lawrence a parfaitement compris cette rétro-projection des fonctions divines sur les puissances propres de l’appareil Kodak et de l’appareil réduit au statut d’instrument, sur celui qui l’utilise.

Image rétinienne image mentale

En effet ce n’est pas seulement la rétro-projection des fonctions divines sur le sujet par le truchement de l’appareil qui importe pour D.H. Lawrence, mais bien le processus même de la rétroaction qui est, lui, une fonction du psychisme qui apparaît avec la conscience et devient, durant son règne, le principe même par lequel le pensable acquiert une valeur.

D.H. Lawrence interroge en effet la mise en place d’un jugement de valeur à travers la notion de moralité, mais c’est bien la valeur du jugement qui est en jeu, du jugement comme jugement de valeur. Il y a d’autres options, mais celle-là, l’association vision rétinienne/reconnaissance de la réalité/valeur de vérité, est une vieille habitude comme il le dit, et elle a abouti non seulement à l’invention de la photographie mais à sa légitimation comme métaphore la plus efficace permettant à cette rétroaction de se mettre en place.

Ce qui importe donc c’est, à la page 48, la prise en compte d’un différentiel entre homme et appareil, différentiel qui est l’objet même d’un déni constant de la part des hommes. Ce n’est pas qu’on oublie que l’on se sert d’appareils, on l’a vu avec Vilém Flusser, mais qu’on oublie ce que sont et font les appareils, la manière dont ils transforment notre perception du monde et donc nous transforment nous-mêmes.
« L’homme, quoi qu’il fasse, n’est pas un Kodak. Mais il s’efforce de tout son cœur de le devenir ou de tenter de voir COMME le Kodak. » Analogie et métaphore jouent ici leur rôle central de mise en relation entre deux mondes hétérogènes, à ceci près qu’il ne s’agit pas d’associer une sensation avec une expression, mais, en supposant que la donation de sens se fait du dehors par l’appareil, qu’il va être possible d’y répondre en se conformant à ses ordres ou à ses indications.

La possibilité d’un sens passe non plus par le travail subjectif interne de tenter d’accorder le non connu au connu, mais par l’extériorisation de ce travail de s’accorder à ses injonctions et de tenter ensuite, par un travail d’introjection, de faire correspondre au « perçu par l’appareil », un « perçu par le corps ou le cerveau ».
Puis l’homme finit par oublier la manière dont son cerveau fonctionnait avant que l’image Kodak ne devienne le modèle et le référent de toute perception et le principe même de la subjectivation. Et cela d’autant plus que cette extériorité de l’appareil et l’oubli de ses programmes fait de ce mouvement d’obéissance le sommet d’un acte libre.

D.H. Lawrence a recours, pour démontrer cette singularité violente de la soumission au diktat de l’appareil, à l’existence d’un autre niveau de perception qui n’a pas pour autant disparu même s’il a été recouvert par la vague d’images indicielles et réflexives. Le cerveau pour identifier, pour construire, pour inventer, ne passe pas par la seule fonction de reconnaissance, mais par l’analyse, la symbolisation, l’action.

En fait, ce dont parle D.H. Lawrence, c’est à l’évidence d’autres fonctions actives dans le psychisme et que nous avons fini par appeler, faute de mieux, le corps. En fait il s’agit pour l’essentiel d’un dispositif complexe qui associe l’ensemble des données sensorielles dans la construction d’une image de la réalité et accepte que cette image reste indécise, indécision qui laisse la place à une réelle liberté d’interprétation et d’action.

L’image rétinienne s’oppose à l’image mentale.
La première est limitée. Elle est un moment dans la vision, mais si elle est elle-même le résultat d’une décomposition de composition par les bâtonnets et les cônes, elle est surtout un moment qui se situe avant la formation d’un objet mental plus complexe qui sera lui le fruit de nombreuses associations nouvelles dans le cerveau.

L’image rétinienne est en fait tout sauf une image qui viendrait s’imposer d’elle-même. Elle est le résultat de processus complexes et qui ne sont pas sans signification ni sans fonction dans l’interprétation finale de l’image. Il y a extraction et fixation d’un moment particulier dans le mouvement général qui conduit à la possibilité de se forger des objets mentaux permettant de s’orienter dans l’existence.
Là où l’image mentale est prise en compte d’une complexité, l’image qui est en fait un objet mental en constante transformation, l’image change de statut et de définition. Comme nous le verrons avec Simondon, c’est à la prise en compte de cette complexité de l’image mentale que nous allons consacrer cette année. Et D.H. Lawrence savait tout cela d’une manière extraordinairement précise.

Mais en quoi tient cette différence entre image rétinienne et image mentale ?
Il faut pour cela tenir compte de ce que nous savons sur les appareils et sur la perception.
En fait, il faut d’abord dire qu’il n’y a pas un conflit entre images, mais entre des positions existentielles par rapport aux images.
Il se trouve que la focalisation sur l’image rétinienne, sa transformation en critère absolu de valeur, est liée à la survalorisation du lien moi/je dans le dispositif de la conscience. La prise en compte de données autres et plus complexes provenant de l’ensemble du complexe perceptif et non plus de la seule rétine, implique une autre conception du dispositif de la conscience.
Il s’agit alors d’une approche ouverte qui laisse fonctionner la pensée par rapport à un fond d’inconnaissance qui est le statut originaire de l’homme utilisant pour s’orienter dans le monde des signes et des symboles, et pas par rapport aux seules images rétiniennes ou photographiques.

Mais quel est le fond même à partir duquel s’organise la perception. Il faut ici, me semble-t-il, recourir aux deux définitions que Deleuze et Guattari donnent du percept et de l’affect dans Qu’est-ce que la philosophie.
« Les affects sont précisément les devenirs non humains de l’homme, comme les percepts (y compris la ville) sont les devenirs non humains de la nature. » (op. cit., p. 160)
« N’est-ce pas la définition du percept en personne : rendre sensibles les forces insensibles qui peuplent le monde et qui nous affectent, nous font devenir ? » (op. cit., p. 172)
Il me semble qu’il faut tenter non seulement de relever la substitution entre cliché et image ou entre image rétinienne et image mentale dans les fonctionnements culturels et psychiques mais de l’expliquer.
Comment ce phénomène est-il possible ?
Il me semble qu’il est possible par la proximité, la parenté même, qui existe entre l’appareil et la nature, entre l’appareil et le devenir. L’appareil fonctionne comme une force insensible. On a vu que l’appareil mettait l’homme en quelque sorte hors de lui-même, le séparait de son vécu tout en lui offrant précisément le moyen de se le réapproprier comme s’il lui revenait de l’extérieur, du grand dehors, celui des voix, des dieux, du chaos, du cosmos, de la nature.
L’appareil photographique est en quelque sorte le prototype de tous les appareils, surtout en ce qu’il finit par se faire oublier, libérant l’homme pour une confrontation non pas avec la nature ou le dehors, mais avec l’étrangeté absolue qu’est la possibilité de voir avec des yeux non humains, avec un œil pur conçu comme simple structure d’enregistrement, rétine qui serait comme déconnectée du reste du corps et du cerveau, comme de la nature et du chaos.

En ce sens l’appareil prend la place de la nature en ceci qu’il l’inclut en l’excluant, découpant ou prédécoupant en lui un cadre dans lequel ne sera retenu que ce qui vient s’y inclure, s’y figer, s’y faire prendre.

L’appareil est donc un intermédiaire avant d’être une médiation. Il n’assure pas tant une relation qu’il impose un ordre, qui est bien sûr aussi une relation d’un nouveau genre et c’est en tant qu’il est une relation qui ressemble à la relation antérieure, qu’il peut prendre sa place.

Si cette position intermédiaire a donc en amont un rôle de prévision de prévisualisation de découpe par un cadre prédéterminé, disons pour faire simple celui du viseur de l’appareil, il n’est pas sans effet en aval. Là, il a pour effet de modifier l’idée ou l’image que se fait celui qui regarde ce qu’il a produit, découvert, inventé en quelque sorte, même si ce n’est justement pas une invention, au moyen de l’appareil. C’est tout ce qu’il perçoit c’est la perception même qui est affectée par l’appareil et par l’image ou le type d’images que produit l’appareil. C’est ce processus de rétroaction qui importe à D.H. Lawrence, comme on peut le comprendre avec précision à la page 49.

En effet, se produit une double action, sur le percept et sur la mémoire.
On pourrait établir une sorte d’équation ou plutôt de double relation, ou de comparaison entre deux rapports, comparaison qui permettra de dégager la parenté fut-elle erronée ou fondée sur une illusion qui permet le glissement de sens entre la moralité bourgeoise et l’immoralité artistique.

La première prend en compte le cerveau-corps comme projet de s’orienter dans le monde, le monde comme entité non connue et le chaos comme « sol » originaire.
La seconde prend en compte la forme actuelle du fonctionnement mental et psychique, la conscience donc, l’existence du monde comme ce qui est connu et l’ordre du monde comme « sol » originaire.

Dans le premier cas ce qui est perçu, l’actuel, est mis en relation avec une ou des mémoires longues, des mécanismes anciens, et prend en charge l’actuel, ce qui est perçu, sans tenir compte de ce qui est venu entre-temps interférer avec le percept.

Dans le second cas, le percept est devenu la confrontation implicite avec le perçu tel qu’il est offert ou imposé par l’appareil. Non conscient de cette étrangeté qui passe au contraire pour la norme, le travail tout entier du cerveau consiste à nier cette étrangeté non nommée et qui pourtant déstabilise le percept et les affects, afin de pouvoir « se » retrouver dans un monde qui sera celui que l’appareil nous offre et qui correspondra à l’image qu’il a formé et dont nous croyons être les auteurs.

Il y a donc une mise à l’écart de l’étrangeté originaire, que le percept prend en charge et son remplacement par un « percept d’appareil » qui rend le monde étrangé mais le rend aussitôt familier puisque cette étrangeté est celle qui nous entoure partout dans le monde et que nous avons appris à ne pas prendre en compte ou en tout cas à occulter tant que cela est possible.

Les liens entre cette « vision d’appareil » et une tendance lourde dans la culture occidentale de choisir, contre le chaos, la tentation de croire à l’existence d’entités incorruptibles, les idées platoniciennes, le dieu chrétien, etc. font le reste du travail en ceci qu’ils le légitiment comme appareil, comme mode de production et comme mode de perception.

Mais le « percept d’appareil » est lié à une mémoire récente, à une mémoire courte, qui reste quand même une mémoire, une mémoire qui est précisément fantasmée comme n’étant ni courte, ni longue, mais anhistorique, absolue, universelle, éternelle et, partant, échappant aux effets dérangeant du percept qui, lui, fait toujours remonter le spectre du chaos.
Nous avons bien affaire ici à un confort petit bourgeois qui est encore et toujours au cœur des préoccupations de 99,99 pour cent des artistes, soit qu’ils veulent à tout prix être reconnus par ceux qui déterminent l’une ou l’autre des formes actuelles du goût dominant, soit qu’ils ont eux-mêmes peur du chaos ou pire encore qu’ils ont oublié que le percept, avant d’être médiatisé par l’appareil, l’était par le corps-cerveau même.

La leçon de Cézanne et l’enjeu d’un questionnement sur l’image

Le recours à Cézanne dans ce texte de D.H. Lawrence est d’une importance majeure. Il peut nous sembler presque désuet tant la donne a évolué depuis un siècle ou presque, au profit d’un envahissement de nos vies par l’image Kodak et ses dérivés. Et pourtant, il permet à D.H. Lawrence de nous parler de quelque chose qui reste important : la possibilité, pour nous, d’accéder à une sorte de percept « pur », l’existence en nous d’affects « purs ». L’enjeu est essentiel, car il s’agit de déterminer comment la pensée peut échapper à son piège le plus intime et le plus radical, le plus prégnant, celui du cliché, dans tous les sens du terme. Par cliché, il faut entendre la propension à faire des affects moyens à une époque donnée le critère de valeur de l’époque et à rétroprojeter cette valeur sur l’ensemble de l’histoire.

« En même temps que la vision de l’homme a évolué dans le sens du Kodak, l’idée que l’homme se fait de lui-même s’est, elle, développée dans le sens du cliché… » écrit D.H. Lawrence pages 49-50.
Or, cette idée que l’homme se fait de lui-même est une sorte de synthèse de ce qu’il a projeté sur le monde depuis des millénaires et une sorte de revanche qu’il prend sur les états antérieurs dans lesquels il s’est trouvé et dont il garde une sorte de mémoire primaire, celle des temps où il ne « savait » pas. Il choisit donc de reconnaître ce savoir puisqu’il a trouvé ou inventé des instruments de connaissance qui lui permettent de confirmer cela et il se met à y croire comme il a cru autrefois à ses dieux.
Mais le prix à payer comme dans tout cliché, c’est la limitation que cela implique, le fait de voir à travers un cadre et d’oublier que le cadre existe. Il est vrai que d’une certaine manière le cadre est la condition même de la pensée.
C’est le geste par lequel il est possible de découper dans le flux et le chaos, un espace-temps qui puisse devenir connaissable.

Mais si c’est une sorte de condition de possibilité de la pensée, c’est aussi un piège. Ce piège est d’autant plus efficace que ce qu’il capture est ce qui à la fois échappe au cadre et rend possible son existence même, la double étrangeté, ou la triple si l’on veut, celle de l’existence de l’univers, celle de l’existence de l’homme et celle de sa capacité à établir avec l’univers des relations prédictible et ratioïdes.
Mais ces relations ont, elles aussi, une histoire dans laquelle les affects jouent un rôle majeur. Ce sont eux qui ont permis aux hommes d’établir avec le monde qui les entoure les relations qui leur permettent de s’orienter.

Le recours à Cézanne est à comprendre comme la présence au cœur d’un monde envahi par les images Kodak et les complexes Moi/Je qui les réalisent et s’y mirent, de données qui échappent au cadre.

« Le dessin en art est la reconnaissance des rapports entre les différentes choses, les éléments différents du flux créateur. Vous ne pouvez inventer un dessin. Vous le reconnaissez avec la quatrième dimension. C’est-à-dire avec votre sang, vos os, autant qu’avec vos yeux », note D.H. Lawrence page 57.

On fait face ici à un problème de vocabulaire. Le travail sur Simondon nous permettra de donner au mot invention une signification riche et précise. Disons simplement qu’il s’agit là d’un partage profond qui traverse toute l’histoire de l’art, la pensée des hommes, comme les champs politiques comme économiques.

Deleuze et Guattari au terme d’une réflexion sur l’art en particulier remarquent : « L’art prend un morceau de chaos dans un cadre, pour former un chaos composé qui devient sensible, ou dont il tire une sensation chaoïde en tant que variété. » (op. cit., p. 194)
Mais ce cadrage se double toujours d’une sorte de lutte contre ce qui est déjà cadré ou déjà dans le cadre et qui est pris d’une autre manière pour d’autres raison avec d’autres dispositifs ou d’autres appareils. Ainsi, « la lutte avec le chaos n’est que l’instrument d’une lutte plus profonde contre l’opinion, car c’est de l’opinion que vient le malheur des hommes. » (op. cit., p. 194)

Courte présentation de Gilbert Simondon

Ce que ce texte de D.H. Lawrence nous permet d’entrevoir, c’est la complexité de l’image, des images et de leurs fonctions dans le système général de régulation de nos comportements.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point important, mais les images sont douées d’une particularité ou d’une singularité à savoir qu’elles sont à la fois des éléments dont dispose le psychisme, des éléments qui semblent pouvoir exister indépendamment de lui et qui ont en tout cas une certaine autonomie par rapport à lui et des éléments qui semblent pouvoir exister par eux-mêmes.

Cette ambiguïté des images est ancienne et essentielle. On pourrait même dire de manière un peu brutale que cette relative extériorité et surtout cette autonomie des images est ce qui motive ce long processus par lequel les hommes ont tenté de les apprivoiser et de les intérioriser.

Le fait que les images mentales pouvaient être perçues à la fois à l’intérieur, disons dans la tête ou envahissant tout le corps, et comme extérieures à l’individu, ce fait est sans doute la « cause » profonde motivant de ce processus d’introjection des images qu’évoque D.H. Lawrence, un processus de réappropriation de l’étrangeté en vue de la contrer et de l’affaiblir pour la rendre acceptable.

Gilbert Simondon évoque ce problème dès l’introduction de son cours, comme le montrent en particulier les pages 7 et 8 du livre Imagination et invention.
Ce texte nous met lui aussi face à toutes les questions que nous posait le texte de D.H. Lawrence. C’est à elles et à bien d’autres que nous allons tenter non tant de répondre que de faire qu’elles trouvent en nous une résonance.

En effet ce qui relie D.H. Lawrence et Gilbert Simondon, c’est précisément qu’ils ouvrent notre réflexion sur deux champs le plus souvent ignorés.

Le premier est le monde d’avant, c’est-à-dire à la fois d’avant la conscience, d’avant la connaissance rationnelle et aussi d’avant l’individu, le monde pré-individuel donc qui se manifeste alors que nous n’existons pas encore comme individu et pourtant déjà comme être vivant, par exemple comme embryon.
Nous savons que nous formons déjà des images alors que nous ne voyons pas. Nous savons aussi que les hommes d’avant Kodak voyaient, mais autrement, de même qu’il existait des images qui semblaient avoir une vie propre, vie qu’on leur a déniée aujourd’hui, tout en ayant inventé un monde d’images autonomes ou presque dans lequel nous baignons.

Le second est le monde de l’invention, c’est-à-dire de tout ce qui est engagé par la rétroaction de phénomènes sur notre perception et sur notre fonctionnement. Il s’agit moins d’en prendre conscience que de comprendre en quoi ils se rapprochent souvent des phénomènes qui affectent le monde pré-individuel par exemple, et en quoi cette rétroaction témoigne de l’autonomie à cet autre niveau, d’éléments comme les images et comment cette autonomie, par exemple celle des images, peut et doit être prise en charge par les mécanismes de la pensée afin de ne pas produire de nouveaux clichés mais de générer de l’invention.
Le programme du cours de Gilbert Simondon est explicité aux pages 13 et 14 et il sera d’une certaine manière le nôtre pour le séminaire de cette année 2009-2010.