mercredi 25 novembre 2015

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Que nous veut Prométhée ?

, Csaba Antal et Jean-Louis Poitevin

Note sur une installation interactive de Csaba Antal présentée à Prague pendant la quadriennale 2015.

Prométhée

L’image que l’on a de Prométhée est à la fois près et loin de celle que le mythe nous rapporte. Nous le voyons spontanément comme celui qui a apporté le feu aux hommes et donc leur a permis d’être autonome face à l’arbitraire des dieux.
L’affaire est plus complexe, le mythe est un mythe de création qui se transforme en une réflexion sur la condition humaine et les jeux de forces contradictoires dont nous sommes tous à la fois les sujets, les acteurs et les dépositaires, qui nous écartèlent entre agir et subir.

L’action sans son lot en retour de contraintes. C’est bien de cela dont parle le mythe de Prométhée, d’une tentative éternellement inachevée de libération d’un joug. Elle le concerne, lui, Prométhée, qui finira par être délivré de ses chaînes et de l’aigle qui lui dévore le foie, pardonné ou presque par Zeus contre lequel il s’était à sa manière révolté en enfreignant ses ordres ou plutôt en lui jouant un tour.

Et si ce tour, c’est d’apporter le feu aux hommes, il ne le fait que parce qu’il en a d’abord été le créateur de ces hommes ! Prométhée est un démiurge qui crée les hommes à la demande de Zeus et leur insuffle la vie à partir d’une effigie de boue ou de terre. Par la suite il cherche à les protéger contre la colère de Zeus qui, après avoir souhaité leur existence, s’est mis à les haïr et à souhaiter leur disparition. En effet, il ne voyait en eux, les hommes, finalement, qu’une race de simples bons à rien malfaisants, orgueilleux et vains.

Mais les hommes devaient être sauvés de la destruction que leur promettait le dieu. Alors pourquoi encore et toujours tenter de se convaincre que quelque chose comme « sauver » ou « se sauver » ou « être sauvé » a un sens, quand il s’agit au mieux de durer encore un peu, mais de tenter de le faire au mépris de ce que pourtant la vie millénaire aurait dû leur apprendre, à ces hommes ?

Une chose que les hommes n’ont manifestement pas appris à penser, à accepter, à vivre, c’est qu’il n’y a rien à sauver, pas plus avant qu’après. Il n’y a qu’à tenter de durer au nom de la vie, certes, mais souvent aussi, au mépris de la vie.

Scénographie

Csaba Antal, scénographe et metteur en scène, premier en Europe à inventer des décors 3D pour le théâtre et l’opéra comme on peut le voir dans les numéro 33 et 34 de TK-21 LaRevue, a conçu et réalisé une performance prométhéenne pour la biennale de Prague durant l’été 2015, intitulée DONOR FOR PROMETHEUS.

En effet, dans l’église Sainte-Anne de Prague, Csaba Antal a réalisé une installation de grande ampleur permettant pendant 16 jours de couler dans un métal brûlant les seize mots de la phrase latine suivante : EST HOMO, SICUT HUMUS, SUPRA SE TOLLITUR IPSUM ; MENTE SUPERBIT HOMO, MONTE SUPERBIT HUMUS.

Et chaque jour cette opération dangereuse et complexe est accompagnée d’un rituel présentant à la fois les souffrances de Prométhée et la possibilité de sa délivrance. Car, ici, on se trouve dans le temps de l’attente de la délivrance qui, selon les légendes, devait avoir lieu entre quelques siècles et quelques millénaires après la condamnation.

Csaba Antal suppose que nous approchons de ce moment où Prométhée va être délivré : il nous faut en quelque sorte participer à ce mouvement qui le verra libre de ses chaînes et des souffrances que lui occasionne son foie qu’un aigle lui dévore le jour et celles qu’il ressent la nuit quand son foie se régénère. Au centre d’un grand disque posé au sol, la silhouette d’un homme. Autour, les quatre colonnes et les spectateurs, mais aussi les officiants de ce rituel de réparation. Et puis une fois par jour, un aigle vient qui dévore un morceau de viande déposé à cet effet en lieu et place du foie dans la silhouette de métal allongée au sol entre des chaînes.

Ici, donc, on écrit sur la scène même, au sens où l’on coule des mots dans des formes creuses avec du métal en fusion et l’on se retrouve plongé dans une action qui incarne le sens même du mot scénographie. Mais il y a aussi les colonnes qui accueillent jour après jour les mots de cette phrase sibylline - datant, dit-on, de l’époque de Cicéron - qui tend à indiquer ce qui porte l’homme, ce qui à la fois le tient et le fait être, cette force singulière et irrésistible qui fait jaillir les mots de son crâne comme les montagnes sortent de la terre.

Dons

Cette installation est elle-même comme enchâssée dans un projet interactif de grande ampleur puisque, présent également sur les lieux durant les actions, un médecin est là qui explique aux spectateurs l’importance des dons d’organes. Participer à cette œuvre c’est aussi accepter de donner un peu de son foie en vue de greffes pour d’autres.

Ainsi, de jour en jour, plus de trois cents donneurs vont s’inscrire sur une liste et leurs noms seront intégrés dans les memoralia de l’œuvre, sur la grande toile qui enserre le réel de son tissu de signes. Ils ont été de tous les pays ces donneurs, et ils ont continué d’être en contact après le moment fusionnel de leur présence en l’œuvre.
Destinée aussi à voyager à travers l’Europe, cette installation interactive attend que Paris lui ouvre ses portes et son ventre afin que de coups de bec en promesses de don, tous nous puissions participer à la levée de la condamnation à laquelle est soumis le créateur des hommes et avec lui ses créatures.

Casa Antal cherche à présenter cette installation à Paris en 2016.
Csaba Antal, scenographer
Born in Budapest, Hungary, Csaba Antal graduated as an architect at the Budapest University of Technology, studied set design in Prague with Joseph Svoboda and continued his studies in Paris at the Sorbonne University. He is founding member of Union of Theatres of Europe, initiated by Giorgio Strehler. Between 1980-87 he worked as a stage designer at the Szigligeti Theatre in Szolnok, was resident designer at the Katona József Theatre in Budapest, also employed by different theatres in Hungary. Outside of Hungary, he worked for theatres such as the Comédie Française, the Théâtre de l’Odeon of Paris, the Théâtre National de Strasbourg, the Piccolo Teatro di Milano, Teatro Argentina Roma, the Fondatio Teatre Lliure in Barcelona, Opernhaus Zürich, and in the Bonn Opera, Wiesbaden Theatre, the Volksbühne and the Staatsoper in Berlin or the Prinzregententheater München.
His opera designs include La Bohème, Didone abandonata, Peter Grimes and Mariotte’s Salomé in Münnich, The Love for Three Oranges in Hannover, Mefistofeles in Budapest, The Bartered Bride in Berlin, The Magic Flute in Bolzano, La lettre des sables in Bordeaux. His more recent works for the drama stage include Oedipus, the King and Oedipus in Colonus at the National Theatre in Budapest, Thérèse philosophe in Paris, Medea by Euripites in Greece, The Marriage of Figaro and Arturo Ui at the Teatro Argentina Roma, Harper Regan by Simon Stephens at the Théâtre du Rond-Point in Paris, Kafka’s Metamorphosis in Modena, and Mother Courage at the Katona József Theatre in Budapest.
His work has been exhibited at the Prague Quadriennal, at the Triennal of Novi Sad in Serbia, at the Festival d’Avignon and at the Műcsarnok in Budapest. Csaba Antal is also well recognized as a teacher. Presently, he is teaching at the Conservatoire de Paris, at The University of Theatre and Film in Budapest, the Giessen Institut für Angewandte Theaterwissenschaft, at the Théâtre National de Strassbourg, at Mozarteum Salzburg, at Piccolo Teatro di Milano, at the Harvard University, at the University of Venedig Fda, at ENSATT Lyon and at the Theaterakademie München.