mercredi 25 mars 2015

Accueil > Les rubriques > Appareil > Physique des surfaces

Physique des surfaces

, Arnaud Vasseux

Arnaud Vasseux développe une œuvre où il donne une sorte de primat à l’expérience. À partir d’une observation minutieuse qui rappelle celle de l’entomologiste, matériaux et techniques sont choisis et utilisés dans des dispositifs définis précisément.

Marqueur (Pétrification), 2014 bois, calcaire 87 x 7 x 7 cm © Arnaud Vasseux Courtesy White Project, Paris

Les Marqueurs

Aux Fontaines Pétrifiantes de St Nectaire en Auvergne, l’exploitation du phénomène de calcification s’est développée depuis plus d’un siècle à partir d’un principe rudimentaire de chute d’eau. De grands escaliers en bois favorisent le dégazage en CO2 qui entraîne le dépôt de microcristaux de calcite dans des moules déposés sur chaque marche. Pour évoquer la trace de ce processus technique ancien et singulier destiné à la réalisation d’objets artsitiques et décoratifs, des éléments de cet escalier (des tasseaux en bois servant à orienter les objets à pétrifier) sont collectionnés et présentés dans l’exposition en tant qu’indices. La matière transite entre deux états, du liquide (l’eau) au solide (le calcaire) dans un processus technique qui tire partie d’un phénomène naturel. L’eau qui jaillit de la roche souterraine est à la fois retenue tout en s’écoulant, rappelant ainsi le fonctionnement de la mémoire : dépôt, sédimentation, oubli et souvenir par accumulation et empreinte. Il se produit une image du temps, une image de durée longue, renvoyant à la formation des concrétions souterraines. Il s’agit moins du temps de l’actualité que de celui qui s’éprouve dans le corps, dans son évolution ; sensation du temps qui passe, des événements qui se succèdent, se recouvrent et s’agglomèrent entre eux.

Sans titre (Encre flottante), 2014 Goudron, Ink Jet paper 107 x 70 cm © Arnaud Vasseux Courtesy White Project, Paris

Les Encres flottantes

Les premières formes de marbrures sur papier japonais furent nommées suminagashi, ou encres flottantes. Cette technique graphique qui accepte le hasard fut inventée au XIIe siècle puis elle s’est répandue plus tard en Europe en se perfectionnant par l’ajout de substances mélangées à l’eau et aux encres. Appelée aujourd’hui papier marbré ou papier à cuve, elle sert principalement dans le domaine de la reliure comme page de garde. Arnaud Vasseux reprend cette technique japonaise ancienne dont les gestes et les éléments sont les moins nombreux et les plus simples. Un bac rempli d’eau sert de terrain d’expérimentation. Le rapport traditionnel est inversé : au lieu de verser l’encre sur le papier, on dépose le papier à la surface de l’encre. C’est la feuille qui vient capter, par simple contact, la pellicule d’encre qui flotte à la surface de l’eau. Le résultat échappe à l’acte d’inscription propre au dessin. Chaque support (le papier ou, comme c’est le cas ici, un panneau de mélaminé) fixe l’expansion d’une goutte d’encre (ou de goudron) déposée au centre de la surface de l’eau. Un film minimum se forme, d’une épaisseur correspondant à la hauteur d’une molécule. On observe que la pellicule de goudron se déchire et se replie par endroit sur elle-même, confirmant sa fragilité et ses interactions avec l’air et le support qui la recueille. Comme dans la photographie, le support vient enregistrer et saisir, tel un instantané, un état d’un événement ou d’un phénomène en mouvement.

Sans titre (Plâtre photographique) 2013 Plâtre, pigment (jaune), 76 x 21 x 22,5 cm & plâtre, pigment (noir), 
57 x 33 x 22,5 cmProduction : Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA), Marseille © Arnaud Vasseux Courtesy White Project, Paris

Les Plâtres photographiques

Sur la table sont présentées des sculptures réalisées au CIRVA. Le verre est apparemment totalement absent de ces objets mais pourtant participe entièrement du processus d’émergence de ces formes. Le verre apparaît notamment par l’indice des fissures imprimées dans le plâtre comme si le matériau était photosensible. La poussée du plâtre est une force incompressible quasi imperceptible. Cette poussée ou cette dilatation intervient lorsque le matériau prend, c’est-à-dire lorsque les molécules s’enchaînent les unes aux autres produisant aussi une chaleur caractéristique et d’autant plus sensible que la masse coulée est importante. Le verre se brise de l’intérieur par la force de cette poussée invisible. Les fissures qui apparaissent au fur et à mesure de la prise rendent visible cette force. Les traces de ces fissures apparaissent dans le plâtre au fil du temps, pendant plusieurs mois, par remontée des pigments vers la surface. Chaque volume en plâtre garde ainsi le souvenir de son enveloppe brisée et de la forme intérieure de la boule en verre (la forme du vide). Cet enregistrement est comparable à la photographie et à l’histoire de son apparition. On retrouve l’instantané qui fixe un moment confirmant que quelque chose est arrivé, qu’un événement s’est produit.

Creux, 2012 - 2015 verre 10 éléments 7 x 5 x 2 cm chacun environ Production : Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques (CIRVA), Marseille © Arnaud Vasseux Courtesy White Project, Paris

Les Creux

Les Creux sont un ensemble de dix empreintes du creux de la main gauche de chaque employé du CIRVA et de ma propre main gauche. Le terme Creux renvoie autant au nom technique et approprié qui désigne un moule qu’au creux précisément de la main. Les Creux sont donc des objets moulés qui produisent une image, une empreinte précise, détaillée des lignes de la main d’une personne. À ce caractère singulier s’ajoute la couleur particulière du verre dont les nuances dépendent de multiples facteurs : composition de la couleur, température du four et durée de la cuisson. Chaque flaque de verre pétrifiée manifeste aussi la réalité de sa matière, ses différents états, de l’état liquide à sa viscosité, ainsi que son instabilité sur de très longues durées, alors que le sens commun envisage plutôt son immuabilité. La forme de ces creux en verre (le bombé de la surface) désigne donc cette viscosité, état intermédiaire entre liquide et solide. Les Creux rassemblent ainsi des temporalités distinctes : le temps au présent nous échappe (comme l’eau ou le sable recueillis dans notre main) ; il s’agit d’un moment où l’on saisit une chose ; d’autre part le verre retient, fixe l’empreinte d’une main d’un individu dans une durée qui excède sa propre vie. Loin de s’approcher d’une pratique divinatoire (la chiromancie), il s’agit plutôt de mettre en relation l’identité avec le geste de saisir, de recueillir une petite quantité de matière. Telle une lentille, chaque Creux produit une vue rapprochée des lignes de la main par l’effet de loupe et porte à la conscience notre faculté d’attention, en focalisant la perception sur les détails, et notamment dans notre environnement direct.

* * *

Arnaud Vasseux développe une œuvre où il donne une sorte de primat à l’expérience. À partir d’une observation minutieuse qui rappelle celle de l’entomologiste, matériaux et techniques sont choisis et utilisés dans des dispositifs définis précisément. Quelque chose se fait et se construit dans la durée et à l’échelle 1, au-delà des intentions qui, pourtant, président aux actes. Au Cirva, il poursuit depuis 2011 ses expérimentations sur le matériau, abordant le verre comme il le fait pour d’autres matériaux qui passent par différents états (le plâtre, la cire ou les résines). Il observe les propriétés intrinsèques du matériau sans anticiper ses réactions et ses transformations. La viscosité du verre et les multiples incompatibilités l’intéressent particulièrement comme source d’accidents et affirmation d’un état d’instabilité. Ainsi, les risques d’échec sont volontiers intégrés dans sa démarche comme une forme de découverte ou de construction qui autorise de refaire ou de recommencer. Dans cette perspective, il considère que la forme est essentiellement mouvement.

Exposition du 14 mars au 30 avril 2015
du mardi au vendredi de 14H00 à 19H00
le samedi de 11H00 à 19H00 et sur RDV
Galerie White Project
24, rue Saint Claude, 75003 Paris
info@whiteproject.fr — www.whiteproject.fr