mardi 30 juillet 2013

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Ligne, sensation, pensée

Note sur des photographies de Kang Youn-kil

, Jean-Louis Poitevin et Kang Youn-kil

Arrimée aux apparences des choses comme à une bouée de sauvetage, la photographie hésite souvent à se confronter à ces réalités qui relèvent à la fois de la sensation pure et de la pensée. Kang Youn-kil fait partie de ceux qui osent faire face à ces défis.

En chemin vers le noir

Une sensation « pure » n’est pas déliée de la présence de quelque chose qui l’éveille, elle se distingue des autres sensations en ce qu’elle n’est perçue que dans une sorte d’après-coup, par l’effet en retour qu’a pu produire sur nous le passage d’un événement à la fois immense, absolu et infime. Une telle sensation peut être éveillée par le passage d’un papillon dans le champ de vision d’un homme.
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Une image qui relève de la pensée, elle, est une image qui plonge celui qui la regarde dans le trou noir d’une question dont on sait qu’elle n’admet pas de réponse mais qu’elle appelle un acte vital.
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Les images produites par Kang Youn-kil sont à la fois de l’ordre de la sensation pure, d’un questionnement de pensée et en tant que travail artistique, elles sont l’acte vital qui permet de les prendre en charge.
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Sur de grands à-plats noirs, imprimés sur du papier traditionnel coréen, Kang Youn-kil fait émerger, souvent à la limite du champ visuel, une tige de bambou. À l’autre terme de l’espace que va parcourir l’œil, parfois sur une seconde photographie, accolée à la première, un autre bambou apparaît. Entre les deux : le noir. Un noir pur, un noir de nuit, un noir de cosmos, un noir de néant, parce que pour nous le néant ne peut qu’être noir.
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Mais c’est précisément parce qu’il est à la fois pris entre deux bambous, signe et symbole de la vitalité de la vie, et ce qui agit pour les repousser en dehors du cadre, que ce noir est le véritable sujet et le principal acteur de ces photographies.

Le papillon, l’homme et le bambou

Aspirés par le noir et sauvés par les bambous, nous devenons le papillon qui semble s’être perdu dans ce néant et qui, en fait, le révèle par son énigmatique présence. Nous sommes cet être éphémère qui traverse la nuit pour émerger quelques instants dans cette lumière que seule la photographie sait faire vibrer.
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Mais l’homme n’est pas seulement le papillon, il est aussi le bambou et plus que le bambou, il est l’écart qui se manifeste entre deux états du sensible, états que l’image seule est capable de capturer. C’est cette vibration que Kang Youn-kil sait particulièrement rendre visible dans ses images.
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Entre deux bambous, entre deux vibration lumineuses, la nuit règne, celle de l’ordre en tant qu’il est le double du chaos, celle du néant en tant qu’il est égal à l’être, celle du vide en tant qu’il est aussi consistant que le plein, celle qui fait l’être s’égaler au néant et le néant à l’être dans une réciprocité toujours décalée, comme l’on pensé des philosophes comme Schopenhauer ou Heidegger, mais aussi Tchouang-tseu ou les grands poète zen.
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Cette ambivalence de l’être et du néant trouve dans certaines images de Kang Youn-kil un aboutissement radical. Sur d’autres images, des lignes rouges semblent écarteler la nuit. Ce sont des tiges de bambous, mais cette fois les lignes sont la manifestation la plus brûlante du fait que l’existence est autant un oui qu’un non jeté à la face du néant.
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Et puis soudain l’on comprend que les photographies de Kang Youn-kil sont en fait de véritables images de sensation et de pensée en ce qu’elles élèvent la photographie à la hauteur du dessin, c’est-à-dire du geste qui est à la fois sensation et pensée, d’un dessin où la ligne est bien le tracé fait par une main, mais une main qui ne serait pas celle d’un homme.
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