mercredi 23 septembre 2015

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La projection numérique — 3/4

Avantages et désavantages pour le public

, François Helt

Dans nos deux articles précédents nous avons relevé deux principaux avantages de la projection numérique.

Il s’agit de la projection stéréoscopique même si celle-ci reste imparfaite et plus essentiellement de la qualité supérieure et de la disparition de l’usure des copies projetées. Les cadences plus élevées qui devraient permettre de changer l’expérience de perception de certaines scènes font aussi partie des avantages possibles mais encore peu répandus. Certains réalisateurs soutiennent ardemment ces cadences élevées mais leur adoption est assez lente. Les coûts de production ainsi que ceux d’adaptation des équipements dans les salles sont un premier frein bien sûr. Il faudrait aussi que les scenarii et les mises en scènes justifient l’utilisation de ces cadences. On peut cependant penser que le langage cinématographique saura aussi utiliser ces nouvelles possibilités comme il l’a déjà fait avec les précédentes évolutions techniques.

Dans cet article, je vais présenter d’autres conséquences du passage à la projection numérique qui sont moins favorables par rapport à la projection traditionnelle ou qui sont problématiques dans l’état actuel de la technique.

Le contraste

L’une des conséquences du numérique est le changement de la méthode de gestion de la lumière lors de la projection. L’illumination du projecteur est organisée différemment et le mécanisme de modulation de la lumière est lui aussi spécifique. Ces deux phénomènes ont une conséquence sur le contraste et sur la perception de la couleur.

Les deux systèmes de modulation de la lumière utilisés dans les projecteurs numériques sont les premiers responsables de la perte de contraste.

Les deux techniques de projection

- Le Digital Light Processor

Le premier système est basé sur des micro-miroirs. Historiquement, c’est celui qui a donné le premier suffisamment de contraste pour que l’on envisage la conversion du cinéma à la projection électronique. Le principe en est simple : pour chaque point élémentaire ou pixel de l’image un miroir de dimension microscopique renvoie la lumière incidente. Au repos la lumière est dirigée vers un absorbeur. Lorsque le miroir est activé il bascule dans une position telle que la lumière incidente est renvoyée vers l’écran à travers l’objectif de projection. L’intensité perçue en ce point dépend de la période de temps pendant laquelle le miroir est activé. Les nuances d’intensité lumineuse sont obtenues par des périodes plus ou moins longues d’activation. Ces actions sont coordonnées pour tous les pixels de l’image. Il y a donc deux millions de miroirs en projection 2K et huit millions en 4K. De plus ces actions sont répétées plusieurs fois par image ; la cadence la plus courante est de répéter trois fois l’opération ce qui donne une fréquence de répétition de 72 fois par seconde pour une cadence de 24 images par seconde.

On se doute que la fabrication de ces circuits est tout sauf simple. La figure ci-dessous montre un de ces circuits. Ils sont fabriqués par Texas Instruments qui en possède la licence et sont appelés « Digital Light Processor ». Le rectangle blanc a à peu près la taille d’une image 35mm ce qui donne pour les systèmes 2K des zones d’une dizaine de microns pour insérer les micro-miroirs.


Photographie d’un Digital Light Processor™ ou DLP 2K de Texas Instruments

Le problème de contraste vient du fait que le substrat du DLP diffuse aussi la lumière incidente. Même en position de repos il y a toujours un peu de lumière qui est renvoyée vers l’objectif. On a donc un noir projeté qui n’est pas parfaitement noir. Cette imperfection se manifeste par l’insuffisance de densité et par une insuffisance d’uniformité de ce noir.

Du temps du photochimique le noir obtenu était plus convaincant car on obtenait des densités très importantes sur les copies. Il faut préciser que sur les projecteurs un volet mécanique mobile sert à couper le faisceau et permet d’obtenir un vrai noir. À l’époque du photochimique on pouvait tester le fonctionnement du projecteur avant la séance en projetant une mire sur ce volet sans déranger la salle. Mais on utilisait surtout ce volet pour cacher les mires de référence au début de la copie et n’ouvrir le volet qu’au début réel du film. Il servait aussi lors de projection à double projecteur pour synchroniser le passage d’une bobine à l’autre. L’opérateur projectionniste démarrait le deuxième projecteur en synchronisme et ouvrait le volet sur ce projecteur pendant qu’il le fermait sur le premier. En numérique il ne fait que rendre encore plus évident le problème de rendu du noir.

Tout le monde peut constater les problèmes de contraste. Le phénomène le plus remarquable est la différence entre le noir de la salle de cinéma lorsque le volet mécanique bloque la projection et le noir assez gris que l’on remarque lorsque celui-ci est relevé. On peut aussi constater l’absence de noirs profonds et être sensible à ce rendu imparfait du noir. Pour être complet on peut aussi dire que ce système est très sensible à l’accumulation de poussière. Les grains de poussière sont d’excellents diffuseurs de lumière. Si l’accumulation de poussière sur les modulateurs est suffisante on pourra lire son journal à la lueur d’un noir numérique.

- Les LCD transmissifs

Un deuxième système de modulation de la lumière a aussi obtenu son passeport pour la projection numérique cinématographique. Il utilise des écrans LCD transmissifs « Liquid Crystal Display » ou écrans à cristaux liquides. Je ne vais pas détailler la technologie ici. C’est la même technologie que celle utilisée par la grande majorité des écrans plats et par quasiment tous les écrans d’ordinateurs actuels. Il suffit de savoir que le contraste que l’on peut obtenir avec cette technologie est lui aussi limité. Il est difficile d’obtenir une opacité complète des cristaux pour rendre les noirs. Il est tout aussi difficile d’avoir une transparence complète pour passer toute la lumière sur les zones blanches. Augmenter la luminosité de l’éclairage donne des blancs plus éclatants mais fait monter les noirs vers le gris. La gamme de densités que l’on peut obtenir actuellement est inférieure à celle que l’on obtenait avec les copies photochimiques. On a donc un contraste insuffisant.

Dans tous les cas, pour les deux systèmes de projection numérique, la valeur de la densité maximum obtenue est variable. Elle dépend de la puissance du projecteur, de la dimension et des caractéristiques de réflectivité de l’écran. On peut donner une idée de la perte de contraste en indiquant qu’en numérique on obtient des valeurs de contraste entre le blanc et le noir qui vont d’un facteur 500 à un facteur de 1000 dans le meilleur des cas. Le photochimique était arrivé à des contrastes de 2000.

La diffusion

Ce phénomène est inhérent à la projection. Il dégrade également le contraste intra image. On peut aisément la remarquer lorsque la scène projetée est constituée de zones très lumineuses sur un fond très sombre. Ce phénomène assez présent en numérique était négligeable en projection traditionnelle puisque l’on a un seul flux lumineux qui passe au travers de la pellicule puis de l’optique pour être projetée.
La diffusion optique est le phénomène de réflexion de la lumière dans toutes les directions et en particulier dans les directions non souhaitées. On a vu qu’elle pouvait être provoquée par des grains de poussière placés dans le faisceau lumineux. Dans les systèmes optiques les surfaces réfléchissantes sont les principales sources de diffusion. Chaque surface de lentille ou de miroir provoque de la diffusion. Des surfaces latérales réfléchissantes peuvent aussi être source de diffusion lorsque l’illumination ne peut pas être étroitement focalisée.

Les objectifs de projecteur contiennent de nombreuses lentilles et les surfaces de celles-ci peuvent créer ce phénomène même si ces optiques sont conçues pour limiter cette diffusion. Cependant, on a pu constater une très nette dégradation en projection numérique. Cette différence est essentiellement due au fait que l’on module séparément les trois composantes rouge verte et bleue. Ce traitement en trois faisceaux multiplie les traitements et les chemins de lumière. En effet, ll faut d’abord séparer le blanc fourni par le système d’illumination afin d’envoyer chaque primaire vers son modulateur puis, ensuite recombiner les trois images primaires modulées pour les projeter à travers l’objectif vers l’écran. Le système de prisme est assez complexe surtout avec les dispositifs micro-miroirs. La multiplication du nombre de surfaces de ces prismes engendrent une multiplication des surfaces de diffusion.

Schéma de la projection avec DLP™ montrant les prismes de décomposition et recombinaison

Du bulbe Xénon au laser

Les imperfections que nous avons passées en revue ne sont pas ignorées des constructeurs. Ils travaillent à diminuer l’importance de ces phénomènes. Il se trouve qu’une évolution technique de taille peut les aider dans cette tâche. Je veux parler de la projection laser. Il s’agit de remplacer la source lumineuse actuelle, généralement, une lampe au Xénon.

Les avantages communément avancés pour justifier le passage à la projection laser sont les suivants : un meilleur rendement lumineux, la possibilité d’étendre la gamme de couleur, une meilleure stabilité dans le temps et un coût d’exploitation réduit. La possibilité de disposer d’une dynamique étendue est également un des principaux avantages annoncé. Les constructeurs et les professionnels du cinéma sont certains que cette dynamique étendue, appelée HDR en anglais « High Dynamic Range », est primordiale car les autres « avancées », le 4K ou la couleur étendue, ne sont pas beaucoup remarquées par le public. Or ce progrès ne peut pas se faire sans une amélioration du contraste.

Laissons de côté les avantages supposés pour les professionnels. Il est certain néanmoins que l’on pourra à terme obtenir une plus grande luminosité qui sera très utile dans le cas de la projection stéréoscopique. On a vu en effet précédemment que les systèmes existants ne permettent pas dans ces projections le même niveau lumineux que pour les projections normales dites 2D. Des projections ayant dépassé le stade expérimental ont démontré la faisabilité d’une projection 3D lumineuse. La seule question qui se pose est celle de la disponibilité pour le grand public dans un nombre suffisant de salles.

Mais regardons plutôt comment le contraste peut être amélioré du fait du passage à l’illumination à base de lasers. Le principal phénomène physique à l’œuvre est l’ouverture du faisceau de lumière. L’illumination au Xénon est basée sur un bulbe placé au foyer d’un réflecteur de taille respectable, quelques dizaines de centimètres. Compte tenu de cette disposition physique, il est clair que le faisceau lumineux émis n’est pas très concentré. Il est focalisé bien sûr pour être concentré sur les modulateurs de lumière mais les angles très ouverts sont la source principale de nombreuses réflexions parasites. Les surfaces des prismes et des modulateurs sont éclairées selon un éventail d’angles très ouverts et renvoient de la lumière dans toutes les directions. L’illumination au laser est beaucoup plus concentrée. Un laser émet une lumière directionnelle sous un angle solide très fermé contrairement à une lampe. Ceci limite de façon importante la diffusion et le renvoi involontaire de lumière dans la direction de l’objectif.

Speckle

On constate souvent que dans le domaine des progrès technologiques qu’un avantage s’accompagne d’un inconvénient. C’est tout à fait vérifié dans le cas de la projection à l’aide de laser. On retrouve en effet avec les lasers un phénomène appelé « speckle » (granulation en français, quand ce terme est employé à propos du laser). Passons rapidement sur la cause physique de ce phénomène. Les lasers émettent de la lumière cohérente. La réflexion sur une surface granuleuse à petite échelle comme l’écran est la source de ce speckle. Ce phénomène se traduit par une vibration lumineuse, visible surtout sur les forts contrastes et qui a l’aspect d’un bruit aléatoire. Les ondes lumineuses ayant la même phase sont renvoyées toutes dans la même direction. Une lumière non cohérente, où toutes les phases sont mélangées, est renvoyée dans toutes les directions quel que soit l’endroit de l’écran. C’est ce qui fait qu’une vibration de l’intensité lumineuse est perceptible avec les lasers et pas avec les sources de lumière non cohérentes comme la lampe au Xénon. Les solutions pratiques à ce problème sont à l’étude. Mais c’est un phénomène problématique du fait même de cette évolution technologique.

Perception de la couleur

Pour conclure cette troisième intervention nous allons faire une courte incursion dans le domaine de la couleur. La perception de la couleur est un phénomène très complexe et qui ne peut être abordé ici dans le détail. Je vais cependant parler d’un phénomène intéressant qui est lui aussi rendu sensible lors de projection laser. Comme je l’ai noté plus haut l’illumination laser doit pouvoir fournir une gamme de couleur plus étendue que l’illumination au Xénon. C’est effectivement un des avantages futurs du laser. Mais même en se restreignant à l’espace colorimétrique actuel du cinéma numérique le laser a un inconvénient essentiel.

Il faut d’abord réaliser que nous avons chacun notre perception individuelle de la couleur. Celle-ci diffère même entre deux personnes n’ayant aucun dysfonctionnement de la vision. Les mesures colorimétriques n’ont qu’une valeur statistique. Elles sont d’ailleurs basées sur une moyenne établie avant 1931 à partir de 17 personnes caucasiennes de sexe masculin et d’un âge moyen de 30-40 ans ; les données statistiques de cette époque sont à la base de tous les calculs sur la couleur réalisés en cinéma numérique comme dans les autres domaines. Chacun voit donc différemment les nuances de couleur. C’est tout aussi vrai pour la perception d’une scène réelle que pour la perception d’une scène restituée par un système de projection. Les lois de la perception couleur font que la reproduction à travers un système de trois primaires peut restituer assez bien la perception d’une scène réelle ; assez bien, mais seulement approximativement. Faute de place notre excursion dans les phénomènes de la perception n’ira pas plus loin. À ces disparités viennent s’ajouter celles générées par la culture de chacun et par des phénomènes cognitifs complexes.

On constate donc déjà des variations dans la perception des couleurs entre chacun des spectateurs d’un film assemblés dans une même salle au même moment. Or la forme particulière des spectres d’émission des lasers accroît fortement cette disparité entre les spectateurs. Les divergences peuvent être fortes mais elles dépendent bien entendu des individus. De nouvelles données statistiques établies en 1955 permettent de calculer un écart moyen potentiel. La base de données porte le joli nom oxymorique d’Observateur Standard Dévié.

Ce qui est certain c’est que même dans la préparation d’un film, les professionnels voient des différences entre projection laser et projection au Xénon. C’est variable selon les individus et les avis divergent au sein d’une équipe créative. De plus, il est difficile de régler de façon identique deux projecteurs laser avec les outils de calibration existants. Compte tenu de ces difficultés et compte tenu des problèmes de contraste du numérique, les réalisateurs préfèrent faire un contrôle final de leur film en photochimique. Ceci n’arrive bien sûr qu’à Hollywood lorsque les moyens financiers le permettent.

La technologie du futur fait donc apparaître des problèmes qui étaient moins sensibles avec les technologies de projection précédentes. La recherche de solutions à ces problèmes va demander beaucoup de ressources et d’ingéniosité mais c’est aussi un défi intéressant.