samedi 27 mai 2023

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La Rumba Kongo

, Christian Kader Keita

D’origine africaine, développée sur le sol cubain et revenue au pays après bien des péripéties, la rumba est une musique moderne, liée non seulement à l’histoire du Congo, mais aussi à celle de l’Angola.

La rumba ou «  nkumba  » (nombril en kikongo), dans sa formulation originale, décrit l’union et le frottement des nombrils, une danse qui marquait les célébrations pour les populations du Royaume du Kongo (qui s’étendait sur ce que nous connaissons aujourd’hui comme l’Angola, la République du Congo et la République Démocratique du Congo, le Gabon, le Cameroun et le Centrafrique et une partie du Tchad). De nos jours, la Rumba confirme son caractère de musique universelle. La Rumba est plus qu’une danse c’est toute l’identité d’un peuple qui s’exprime à travers la clave, les tambours les cuivres et les guitares.

« Le bar « Vonvon » à quelques mètres de la grande Mosquée faisait face à un autre petit bar appelé « nganda ». Toute la journée, leurs enceintes suramplifiés, leurs tourne-disques braillaient des airs de rumba à tue-tête. Les refrains moralistes de Franco Luambo semblaient répondre aux sollicitations amoureuses de Rochereau Tabu Ley, le rythme des tam-tams de Kalé trouvait un accompagnement involontaire en la guitare aux cordes adroitement léchées de Docteur Nico.
Nous étions à Poto-poto, à Brazzaville, chez « Vonvon ».
Chez « Vonvon », quel que soit le jour, à minuit, c’était l’heure où telle une rose sauvage, s’ouvrait, s’épanouissait la vie. Il était impossible de trouver un centimètre carré de libre. Epaule contre épaule les clients bavardaient, ergotaient sur la politique du pays, riaient aux éclats, rotaient bruyamment et dégueulaient, le tout dans une ambiance endiablée, tous envoutés par une Rumba tonitruante et jubilatoire. Quelques mouvements saccadés de hanches et messieurs etaient transportés au-delà du réel. Ils y vivaient leurs meilleurs instants de bonheur. Ils ne touchaient plus terre. Dans ce paradis artificiel, un seul dieu, Bacchus. Le plus grand péché, c’était d’aller se coucher à l’heure où Primus et Kronenbourg, les bières préférées des Congolais étaient sur la scène dans leurs rôles de « lessiveuses de soucis ». Elles coulaient à flot, emportant toutes ces silhouettes sombres dans un univers lointain dont certains n’en revenaient que lorsqu’ils étaient totalement dépouillés, fauchés. Le refrain d’une belle Rumba, mille fois répété par Franco Luambo rendra le réveil moins douloureux. »

C.K. KEITA Yoro le pêcheur.

D’origine africaine, développée sur le sol cubain et revenue au pays après bien des péripéties, la rumba est une musique moderne, liée non seulement à l’histoire du Congo, mais aussi à celle de l’Angola. La rumba ou «  nkumba  » (nombril en kikongo), dans sa formulation originale, décrit l’union et le frottement des nombrils, une danse qui marquait les célébrations pour les populations du Royaume du Kongo (qui s’étendait sur ce que nous connaissons aujourd’hui comme l’Angola, la République du Congo et la République Démocratique du Congo, le Gabon, le Cameroun et le Centrafrique et une partie du Tchad). De nos jours, la Rumba confirme son caractère de musique universelle. La Rumba est plus qu’une danse c’est toute l’identité d’un peuple qui s’exprime à travers la clave, les tambours les cuivres et les guitares.

Le royaume du Kongo

Histoire de la Rumba

Les premières notes de la rumba raisonnent en Afrique dès le XVIe siècle dans l’ancien royaume Kongo, où l’on pratiquait cette danse très sensuelle. L’histoire de la Rumba est le récit d’un parcours exceptionnel, multicolore d’hommes et de femmes dans l’expression de leurs joies, leurs amours et leurs tristesses, sous un rythme définitivement jubilatoire.

Née en Afrique La rumba va être témoin de cette conflagration civilisationnelle que constitue la traite négrière. De nombreux africains vont être déportés vers les Amériques. Mais il faut se rendre à l’évidence que même la traite négrière malgré son caractère de broyeuse d’humains n’aura pas raison de la rumba. Les Kongos arrachés à leur continent vont emmener avec eux dans les caves insalubres de bateaux de négriers, leur culture, quelques instruments et leur musique. Le soir ou les rares jours de repos, sous l’ombre d’un arbre généreux, les esclaves chantaient, dansaient sur des rythmes qu’ils avaient gardés en mémoire. La rumba agrémentée de l’apport d’instruments trouvés sur place tels que les tambours, les trompettes, les maracas, la guitare électrique…va ainsi se répandre aux Antilles, à Cuba et en Amérique.

Un temps oubliée c’est grâce aux anciens esclaves revenu sur la terre mère que cette musique doit sa renaissance au Congo au XXe siècle. A son retour au pays dans les années 40-50, la Rumba congolaise prend, au fil des ans, une forme plus moderne tout en gardant un lien avec le territoire originel, le Royaume de Kongo.

En 1948, un an avant la naissance de Papa Wemba, est enregistré Marie Louise, le premier tube de la musique congolaise. Condamnée aussitôt par les autorités ecclésiales, la chanson du marin-boxeur Wendo Kolosoy connaît un succès fulgurant. Au cours des années 1950, une vie culturelle intense et novatrice se développe dans la « cité indigène ». Cinémas, bars, cabarets et orchestres foisonnent, une « culture de l’ambiance » [1] émerge qui, aujourd’hui encore, fait la réputation de Kinshasa. musique, danse, bière, amour…

De nombreux orchestres suivent le mouvement, les plus célèbres d’entre eux sont l’OK Jazz, porté par Franco Luambo, et l’African Jazz, fondé par Joseph Kabasele, dit Grand Kallé. Présent à Bruxelles en 1960, lors de la conférence de la Table Ronde qui doit fixer les modalités de l’émancipation du Congo belge, Kabasele compose un morceau qui va s’imposer comme l’hymne panafricain des indépendances à venir : Indépendance cha-cha. Chanson reprise ensuite par de nombreux pays africains.

La rumba depuis des années se révèle être une passion partagée par tous les Congolais... Elle est tentaculaire, et s’impose au cœur de leurs vies : mariages, soirées, chants religieux, fête nationale… sont des occasions pour esquisser quelques mouvements de hanches et des pas électriques.

La Rumba et la question de l’Esthétisme

Nous détenons que très peu de publications sur la musique populaire congolaise sur le plan de l’analyse esthétique.

L’histoire est celle d’un jeune cadre belge qui débarque à Kinshasa, nous sommes quinze années après l’indépendance de la RDC. Il prend son hôtel dans un des quartiers les plus vivants de Kinshasa ; les rues sont bruyantes, les Congolais vaquent à leurs occupations quotidiennes. Mais à 18h, à l’heure où le soleil épuisé va laisser sa place à la lune, un léger parfum de fièvre de « samedi soir » plane sur la ville. Deux bars se font face et déversent un torrent de Rumba, chacun faisant brailler son tourne disque plus fort que le voisin. Nous sommes un samedi soir à « Matonge », quartier, le temple de la Rumba. De sa chambre il pouvait apercevoir des silhouettes en plein mouvement esquissant une danse nombril contre nombril. Des cris, des rires sortent de ces hangars faits en tôle ondulés. Une l’atmosphère chaleureuse et une forte odeur de bonheur.

Quelle cacophonie ! Comment arrivent-ils à danser là-dessus ? Est-ce la musique ça ? on a l’impression d’entendre des balles qui tombent par dizaine sur une table de ping-pong.
Ce jeune belge avait l’impression d’être envahi de partout par un tintamarre indéchiffrable. Ces oreilles n’en pouvaient plus !
Trois jours plus tard, il décida de pousser la porte d’un de ces bars. Happé par le rythme chaloupé et les accords entrainants d’un solo de guitare du docteur Nico, les oreilles du jeune homme commençaient semble-t-il à distinguer les sons de chaque instrument : un tam-tam, une trompette… et cette voix !

A ce niveau nous comprenons cette question d’Achille Mbembé — « comment quelque chose d’aussi beau peut-il émerger de tant de laideur ? » — c’est une question que l’on peut pertinemment se poser par rapport à la Rumba et pas seulement quand on connait les origines du blues, du Son cubain…). [2]

Pour nous, la réponse est sans aucun doute dans la puissance émotionnelle que transporte la Rumba avec son chapelet fait de mots, de mélodie et de danses
Quand on a sans humilités bouché ses oreilles en arrivant, il est difficile de s’ouvrir aux sons d’autres peuples. S’ouvrir à la culture des autres consiste à pousser la porte tout en laissant au seuil des bars ses prismes et ses propres logiques musicales.

Le jeune belge finit par comprendre que si la Rumba est une musique populaire très privilégiée au Congo, ce n’est pas seulement parce que cette musique est « bonne » ou « belle » (kotoko), comme ils le disent, mais c’est aussi parce qu’elle repose sur un travail de recherche dans la combinaison des mots, des sons, des mouvements et des idées. Elle constitue un bon exemple de ce que Marcel Mauss a nommé le fait social total, dans le sens qu’elle interpelle l’oreille des Congolais, leur en parle de leur réalité. Le mélange des notes musicales techniquement associées à des textes poétiques qui traduisent le quotidien de chaque congolais constitue le bouquet esthétique de cette Rumba congolaise. L’utilisation judicieuse par les compositeurs de la répétition et de l’ironie combinés aux sons des instruments de plus en plus modernes contribuent à allumer le feu des émotions et à nourrir l’imaginaire de cette musique populaire. Les différentes chorégraphies créées au fil des ans autour de la Rumba contribuent de manière non uniforme au renouvellement et à la cristallisation des mémoires individuelles et collectives.

En outre, la richesse esthétique de la Rumba congolaise s’exprime dans ses rapports avec le protocole du corps. Les mouvements des hanches même s’ils paraissent naturels relèvent en réalité d’une technique de haut niveau. L’imagination dans la création des danses (danses folkloriques, ludiques, comiques ou subversives) et la sémiologie de ces dernières, avec sa part d’imprévisible et de spontanéité nous renseignent en profondeur sur la créativité et la technicité des artistes Congolais.

La science de ses artistes Congolais trouve son paroxysme dans l’écriture musicale. L’écriture des chansons, leurs morphologies, syntaxes et sémantiques, les stéréotypes sentimentaux, les rapports de « syntonie » entre les artistes, la sociogenèse et l’apport des animateurs ( atalaku ), la pertinence ou l’impertinence du business des dédicaces ( mabanga ) dans la musique congolaise sont des éléments qui parlent de la richesse de cette musique populaire. Une écoute même rapide des anthologies musicales nous met devant des figures de style et diverses formes littéraires (aphorismes, proverbe, rimes de tous genres…). Des chansons moralistes de Franco Luambo et les déclarations d’amour de Papa Wemba ne laissent indifférents aucune oreille. Avec ses paroles et son style la Rumba colonise désormais toute l’Afrique.
Ce qui nous amène à poser la question suivante : au-delà de l’esthétique du beau, la Rumba congolaise ne vise-t-elle pas simplement l’esthétique du vrai et du juste ?

« Pour ces initiés ambianceurs, le samedi était un jour sacré. La musique faisait monter la température au fur et à mesure que la nuit tombait. Danses et frivolités étaient au menu. Les clients avaient juré fidélité à l’alcool et à l’état de délire dans lequel il les abandonnait. S’ils s’attachaient à ce rituel, c’était pour mieux fuir la monotonie d’une vie fait d’expédients, placée sous l’art. 15 (système D) ».
Yoro le pêcheur, C. Kader KEITA p. 62

Compte tenu de sa fonction sociale, par sa nature culture populaire, la Rumba a dû naturellement affronter des questions difficiles à propos des relations de pouvoir, sur la non-égalité à l’accès aux ressources, sur le rôle de l’État, ainsi que sur des procédés complexes par lesquels la culture se crée, se recrée et devient publique.

« La rumba est sans cesse convoquée pour faire campagne ou célébrer les puissants, mais redoute de perdre son tempo en se coupant des aspirations de la jeunesse de Kinshasa. Entre esthétique subversive et pratiques mercantiles, elle navigue au gré des changements de régime ».

L’ombre politique et business a bien failli égarer les talents de cette musique. La Rumba a dans son histoire souvent été utilisée par la politique comme l’opium pour aider à maitriser le peuple mécontent de son sort. Nous tenons pour exemple les faits suivants : La participation de la musique à la construction du nationalisme et du militantisme à l’époque du mobutisme et de l’authenticité ; l’instrumentalisation des vedettes musicales au service des idéologies politiques après 1990 (notamment Franco Luambo et OK Jazz) ; la production marginale d’une musique antigouvernementale ; la dynamisation de l’opinion publique par une musique tant religieuse que profane charriant des significations ou des intentions politiques.

Sous cet aspect, la Rumba a été révélatrice de la capacité des gouvernants à utiliser sans vergogne cette musique populaire aux fins de propagande politique sournoise ; empêchant par ailleurs toutes velléités de certains artistes à dénoncer leurs malversations au risque de prison ou de d’exil.

Si on considère la musique comme production culturelle et forme symbolique qui condense les marques de l’appartenance nationale, la Rumba reflète et exprime la volonté de la société congolaise de vivre ensemble. Une heuristique de la socialisation des Congolais par la musique. La Rumba participe ainsi à la construction d’une identité et d’un imaginaire national, à la diffusion des valeurs démocratiques et populaires.

Au-delà du royaume de Kongo, nous devons reconnaître que cette musique est probablement le cadeau le plus riche et le plus spécifique que les Kongos ont pu faire à ce continent, et donc au monde », comme le pensait d’ailleurs l’ethnologue Johannes Fabian à propos du Zaïre.

De l’Afrique à la France : La « Rumbatisation » du rap français

À la fin des années 90, des rappeurs français originaires de la République du Congo (Congo-Brazza) se réunissent en un collectif qu’ils nomment « Bisso na Bisso » (expression lingala qui signifie « entre nous »). Ils sont parmi les premiers rappeurs français à utiliser leur culture congolaise [3] comme inspiration pour leur rap. Pour leur album, ils collaborent avec des artistes congolais célèbres comme Papa Wemba [4], Koffi Olomidé [5] et Lokua Kanza [6]. Certains de leurs titres utilisent les sonorités des musiques congolaises. Près de 20 ans plus tard, une nouvelle génération de rappeurs issus de l’immigration congolaise continue de s’inspirer de leurs origines pour créer leur musique. Comme Bisso na Bisso avant eux, ils collaborent avec des artistes congolais, et en particulier avec Koffi Olomidé. Certaines de leurs paroles explorent les thèmes de la culture congolaise, comme la sape et incluent des mots en lingala. Cette « rumbatisation » s’étend à d’autres genres aussi comme le R&B français et la musique religieuse. Tous ces artistes connaissent un certain succès en Europe et en Afrique francophone. Il faut aussi noter que plusieurs de ces artistes (comme Youssoupha [7], Maitre Gims [8], et Djadju [9] sont les fils de musiciens congolais.

De l’Afrique à l’Universelle - Unesco Fin 2021

En conclusion, la Rumba patrimoine immatérielle de l’humanité est désormais un des baobabs de ce grand village qu’est le monde. La rumba moderne transcende les générations depuis près de cent ans et s’impose comme un patrimoine culturel précieux pour les Kongos mais aussi pour toute l’Afrique. Ses tentacules a pénétré les musiques de ce monde, l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord, sans oublier l’Europe.
Cette Rumba, a bénéficié du brassage et des apports multiples. Elle s’est enrichie d’autres courants venus de l’Afrique comme le High-life des « Popos » du Ghana et du Nigéria, de Cuba comme le Pachanga ou le Boléro, de l’Amérique comme le Rock et le Blues… Ajouter à tout ceci, la somme de danses locales et celles venues de l’Afrique de l’Ouest et de quelques expressions européennes comme la Polka piquée, le Boléro…
La Rumba c’est un feu d’artifices offert à l’idée de l’universalisme. Elle convoque les ancêtres, libère la nouvelle génération du poids du quotidien, et demeure prête à illuminer d’autres cultures.