mardi 30 novembre 2021

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FrenchMasks.SGDG

, Guillaume Dimanche

Depuis le 5 novembre les FrenchMasks.SGDG sont montrés dans l’exposition du Mois de la Photo de Grenoble, in situ, hors les murs et dans l’Ancien Musée de Peinture. Ils sont collés sur les murs de la ville. Quelques-unes de ces photographies resteront visibles, protégées de différentes manières, en pleine liberté, jusqu’au 5 décembre, date de clôture de l’évènement et peut-être au-delà si les incantations auront été suffisamment fortes.

Artisterie 1

Au début du mois d’octobre, pendant cinq jours, j’ai posé des tirages papier sur les murs et les pierres de quinze rues et places de différents quartiers de la ville plate iséroise. À vélo ou à pied, et avec l’aide de quelques étudiantes de l’école d’art, j’ai parcouru la ville pour montrer les faces clownesques dans des lieux variés qui s’avérèront parfois, par les noms des rues qui commémorent l’histoire, être en résonance tant sur le sujet traité, le personnage montré ou encore plus largement sur la question de la photographie et le traitement des images.

Chalemont Fourier 1

Aborder les murs de béton et leurs revêtements variés, crépis ou peintures, les pierres de constructions régionales, des granits durs et tranchants, dans des conditions automnales près des torrents alpins, ont apportés des difficultés et des contraintes qui ont enrichis encore la pratique du collage urbain. Il ne s’agissait pas seulement d’offrir des œuvres à des publics variés, mais aussi, parfois d’une lutte, pour installer et mettre en action une performance de plusieurs heures, chaque jour.

Esad Raoult M1 1

Ces actions en extérieur, dans l’espace public, ont reçu très souvent les réactions des passants, habitants du quartier, dans un large spectre de commentaires. Ces interactions portaient autant sur le fond, le sujet montré, que sur la forme, l’affichage public. Parfois aussi, l’indifférence à l’action laissait le travail se faire dans le silence ambiant des passages et des activités ordinaires de la ville. Les quelques fois où la sensation d’agression de l’œuvre m’était exprimée, par l’occupation d’un espace détournée de sa fonction réglementaire ou par la peur d’un affichage politique extrémiste et provocateur, les brèves discussions et explications, se sont toujours soldées par des approbations et des remerciements, des rires et de la symphaties, partagés. Les plus beaux étaient l’enthousiasme et les railleries des enfants devant les portraits de ce personnage adulte, effectivement ridicule, à la calvitie joyeuse, décomplexé de ses défauts. Mais aussi celui qui avait confondu cet homme avec l’autre star médiatique tellement écouté depuis des mois, le méchant dangereux.

Esad Raoult M1 2

- Mais vous avez collé une affiche de X !!! Ça va pas, pas ici ! On va vous la décoller vite fait !
- Vous trouvez qu’il a la tête de X ?
- Bah oui ! On le voit partout ! Et là il a l’air méchant !
- J’ai une tête de méchant, moi ?
- Ah non ! Vous vous avez l’air sympathique.
- Et bien, c’est ma tête sur la photo !
- Ah oui ?
- Oui !
- Ahahaha ! Bien sûr, je ne vous avez pas reconnu ! Alors on va la garder ! Elle est super cette photo !
- Merci ! Bonne journée !
- À vous aussi ! Au revoir.

Conversation échangée dans le quartier (la cité) de La Villeneuve. Le fameux quartier à nettoyer au karcher. Pas casher, la rue de l’Arlequin, le bouffon pauvre, rapiécé qui se cache derrière son masque noir. Ici, l’Arlequin collé, portait un éventail pakistanais, le “PakiFan”.

Esad Raoult M2 1

Et puis ailleurs, un autre jour, je collais, en suspension au dessus de la ville, “Le Feu”, portrait aux allumettes. La rencontre eut lieu sur sur le toit de la Cité Universitaire abandonnée qui porte le nom du mathématicien et physicien (on pouvait être les deux), écrivain de la loi sur la chaleur et les fluides qui porte son nom, Joseph Fourier. La loi qui permettra, 185 ans plus loin, d’écrire la norme de compression des images fixes numériques le JPEG, date approximative de la naissance de ma pratique de l’art numérique. À quinze jours près. Là-haut je rencontrais une équipe de marcheurs curieux qui me suivait depuis le début de la montée Chalemont. Ils suivaient sans le savoir, et avaient finalement trouvé et rejoint, le Poucet qui semait ses masques sur les murs de la ville.

Esad Raoult M2 2

Il y en a eu sur la Place Saint-Bruno, moine savant et ermite installé dans le massif sauvage de la Chartreuse, la farouche “Racine d’ortie”. Quelques collages variés sur le Pont au-dessus du Drac, le torrent contemporain. La place Andry Farcy, du nom du conservateur dégénéré, interné au début des années 40, sur la porte bleue, fermée, du Magasin des horizons. Sur la place Saint-André au pied du plus valeureux des chevaliers, celui sans peur et sans reproche, Bayard. Sur le mur difficile et rose repris par des chinois pour y vendre des habits kitchs et bon marché, un “Aïl”, décollé méticuleusement après coup, d’un ancien magasin de fleur, Au Souci. J’ai rappelé d’anciens souvenirs à un colleur militant qui mélangeait sa colle à des bris de verre. Et puis sur les quais, routiers souvent, de l’Isère. Les deux affiches n’ont pas tenues, emportées par les vents, raclées, rayées, déchirées par les pierres graniteuses des alentours et le passage des véhicules carrossés.

Esad Raoult M2 6

Finalement, les deux grandes compositions majeures de cette exposition extérieure, je les ai réalisées sur les murs dorsaux du bâtiment de l’ESAD, l’École des Beaux Art, bâtiment mitoyen de celui de la PM, la Police Municipale. Je n’ai jamais été autant surveillé pour un collage, pendant des heures fiévreuses et pourtant accueilli et aidé. Là encore dans une rue dédiée à un grand chimiste et physicien, écrivain de lois sur les solutions, principalement chaudes, pas du tout cousin de l’autre actualisé, François-Marie Raoult.

Pourquoi tout ce récit ? Certains murs ont rapidement rejetés les papiers que j’avais tentés de poser dessus. Des incompatibilités. Les hasards des rencontres lointaines, historiques, humaines, physiques, les aléas de l’accident. Ce sont des recherches et des questions menés, expérimentés dans des espaces de vie ou de passage, des confrontations avec l’inconfort. Des rencontres avec la vie, avec la passion, avec l’amour, avec la mort. La valeur de l’image n’existe pas. Elle n’existe plus. La valeur ne doit pas exister. L’exception est la seule règle. Le moment, l’instantané est la seule vérité de la vie. La conscience de la fragilité fait peur et entraine souvent la peur, le rejet et l’agression. Construire des murs, mettre sous verre, sous barbelé, est tout le contraire de la vie et de son expérience. La disparition arrive bien assez vite pour se priver des rencontres, de la curiosité, des explorations. Il semble que notre besoin de la sensation de vie ne se fasse que dans une écriture de la mémoire d’un instant présent déjà passé. La conscience de la disparition, de notre disparition, comme animal humain se fait de plus en plus sentir. Plus nous apprenons de l’histoire de nos destructions plus nous fonçons vers un nouvel anéantissement, inimaginé, inimaginable. Cap au pire est le mantra de l’humanité dans la connaissance de son être. Pourquoi imaginer produire un art avec des techniques que nous espérons immortelles ? Pourquoi espérer de nous-même une postérité à travers nos enfants, nos créations, alors que nous savons la fin. Comment imaginer une puissance créatrice supérieure alors que la vie, telle que nous l’avons comprise, ne peut être que l’accident d’un assemblage exceptionnel des éléments, dans la concordance infini des quelques atomes, un fragment d’universel.

Fourier Feu 2

Le récit, l’histoire et l’œuvre.

Alors, ces compositions, ces collages sont fragiles à dessein. Ils sont autant éphémères que possible. Oui, la quantité des images perçues aujourd’hui est telle, depuis presque trente ans, le JPEG, que dans leur multiplication, une seule image ne vaut plus rien. La vie d’une représentation est plus brève qu’un claquement de doigt. Seule la résonance nous affirme qu’un son a existé. L’image doit être partout, pour vivre. Elle doit s’approcher physique de son destinataire puisqu’elle sera très prochainement recouverte, arrachée, dépassée. C’est sa simplicité dans un langage universel qui lui apportera une présence continue dans la mémoire. Si par chance il nous reste quelques traces mémorielles de nos civilisation ancestrales, elle ne ressemble que très peu à ce qu’était la réalité. Nos fantasmes et nos rêves complètent une vision presqu’aveugle. Les représentations historiques sont des récits inventés, compris avec des sens atrophiés. Les savoirs ont tant été multipliés de fois par les machines boostées, dopées aux énergies fossiles que nos capacités cognitives ne valent plus rien. Avec tous nos outils puissants et complexes, nous sommes devenus inconscients de notre fragilité. Nous ne tentons plus seulement de faciliter la vie, mais sans cesse de repousser des limites pour espérer une immortel fantasmée. Nous tentons de préserver toujours un passé qui a été écrit comme paradisiaque, nous courons à l’envers pour le rejoindre, et pourtant nous savons que seul la mort peut nous faire progresser. La rétention et la glorification d’un quelconque passé ne poursuit que trop souvent à des idées enfermées et nauséabondes. La disparition est triste mais nécessaire. Elle est porteuse toujours de la joie d’un renouveau. Nous savons maintenant que l’infime accident que nous sommes, n’atteindra jamais l’immensité de l’inconnu universel. Nous n’aurons sans doute jamais la connaissance pour savoir s’il est infini ou fini, comme nous.

Magasin 4

Donc la boucle de l’homme se termine en quelques minutes. La colle encore humide, comme le plaisir, il faut prendre. Prendre le témoignage indiscutable pour valider la véracité de l’œuvre. Enregistrer une trace comme document historique. L’image sans couleur est la trace informationnelle photographique attendue pour la commémoration historique. Validée. Classée. Pourtant il n’existe aucun témoin qui ai vu toutes les œuvres affichées. Il est même possible que certaines n’ai été vue par aucun passant. Alors ? Quelle est la validité de ces traces ? Il existe des faux complets. Je ne joue pas au faussaire et ce n’est pas l’objet ici de montrer la tromperie des images. Quoique.
Il faut cette trace. Elle existe chez d’autres artistes, souvent d’œuvres in situ.
La trace servira à construire, à écrire, à inventer l’histoire, à raconter, pour après, l’éphémère vie. L’éphémère de la vie est bien plus belle et dense et joyeuse et riche et pleine et inébriante que celle des hommes riches et tristes en perpétuelle recherche de l’immortalité.

23 novembre 2021

Magasin 5
Montée Chalemont 1 1
Montée Chalemont 2 1
Montée Chalemont 2 2
Place Claveyson 3
Place Claveyson 4
Place Claveyson
Place St Bruno 2
Place St Bruno 9
Place du Tribunal 3
Place du Tribunal 4
Studio Génissieu 5
Univ Jean Fourier 2

L’exposition a eu lieu du 5 novembre au 5 décembre 2021 à l’Ancien Musée de Peinture et dans quatorze lieux extérieurs de la ville dans le cadre du Mois de la photo de Grenoble.

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