lundi 1er mai 2017

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États du corps

Images d’Alain Nahum

, Alain Nahum et Jean-Louis Poitevin

Lors de séance de travail avec des étudiants, sortant de ses chemins habituels, Alain Nahum s’est pris au jeu et a tenté de mettre en image ce à quoi un corps, nu offert, celui d’un modèle, pouvait lui faire penser. Si le point de départ était la relation possible avec le modèle, le but fut vite un travail de réflexion sur les possibilités offertes par le noir et la lumière pour montrer à la fois comment un corps pouvait nous électriser et comment quelque chose comme une sensation directe pouvait être représentée.

Le corps, un corps, son corps, c’est, qu’on le veuille ou non, la limite matérielle à laquelle nous sommes liés. Mais nous le savons, c’est aussi tout sauf le sujet lui-même que nous prétendons être tant notre esprit déborde de toute part ces limites voire les abolit entraînant la carcasse dans les nuées du rêve. C’est là frontière ténue entre ici et ailleurs, entre l’asservissement aux lois de la physique et la possibilité mentale de leur abolition que mettent en scène ces quelques images.

Ce qui se donne à voir et à penser ce sont trois états du corps, états qui sont autant de tentatives de rendre compte d’une situation psychique au moyen d’une mise en scène, au moyen de la chose même que nous sommes, un corps.

Il y a, avec le corps bien sûr, se tenir debout ou assis, appuyé ou à l’envers. Il s’agit moins de dire comment faire face que d’indiquer un doute quand à la situation générale. Ce doute est discret, il passe si l’on veut par le regard, mais ce sont bien plus encore les légers décalages, les axes légèrement infléchis qui l’expriment, étant entendu que le noir qui englobe les corps joue ici le rôle essentiel du fond sans fond. Autant dire que ce noir faisant surgir la forme d’une absence de contexte la fait être à elle-même son contexte. Et c’est pourquoi tenir c’est déjà tomber.

Il y a être allongé sur le dos ou le ventre ou plutôt les genoux. Que le dos soit alors couvert d’épines de métal accroît l’impression générale dont ces images sont porteuses : hors contexte un corps est à la fois et une île et un astre, un monde. C’est la lumière alors qui prime, en se focalisant sur une partie de la peau elle transforme le reste en contours flous et limites incertaines, en frontières absolues ne délimitant qu’elles-mêmes.

Il y a tomber ou choir ou traverser la nuit en flottant. Le noir est devenu immensité cosmique, absence réelle de sol et le corps, navire sans attache. Il est là devant nous, entité cosmique lancée de toute éternité par une main absente vers un destin encore inconnu, encore innommé. Qu’ils puissent être soudain deux, un entier et une suggérée ne change rien au propos. C’est même l’essentiel qui se dit, à savoir que la relation est liée à la posture et la posture une affirmation inévitablement négative de l’existence nécessaire de l’autre.

Et le nœud de la fiction trouve ici, dans ces états du corps qui sont autant de projections hors sol de fantasmes éternels, une visibilité telle qu’il est possible d’envisager que voir et lire, lire et raconter, raconter et se taire sont autant de modalités du corps lorsqu’il est perçu pour lui-même, une île de silence dans la nuit du cosmos.