dimanche 9 juillet 2017

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Disparaître — 2/2

, Laëtitia Bischoff

Appelant à la retenue, « disparaître » n’en demeure pas moins un sujet qui entremêle et présuppose une foule de questions propres à la création.

Le petit monologue qui suit se borde de deux pièces « le point de départ est ce qu’il y a de plus volatil » et « aucune destination ne me retiendra » pour être sûre de vous semer le trouble et de ne plus savoir quoi en penser.

Disparaître peut être envisagé comme un état entier, détouré des deux bords. Il se détache d’un côté de l’être et de l’autre du néant. Ainsi on est à même d’envisager en lui un espace fini, un possible pays qui s’enclave entre deux autres. Il laisse un creux dans l’état d’être qui l’a vu naître. Ce creux est parfois ce qu’il y a de plus saillant, de plus précis pour définir une figure. On se révèle souvent par ce que l’on ne fait pas, ce que l’on ne dit pas, pire qu’un « contre », un mutisme. A l’autre extrémité, il y a un rien, un espace sans accueil.

La feuille de dessin, comme le ciel, comme la mer, sont des lieux déchargés. Le ciel pourtant s’est vu conférer une dose de symboles et de signes. Lui comme la mer ont reçu quantités d’espoirs, de rages humaines dans leurs boîtes aux lettres. Ils sont et ont été des espaces de projection pour l’humain comme le devient à chaque tâche, à chaque lettre la feuille. Le poète Guillevic nous conte :

Il y eut dans le ciel
Comme une émeute :

Les nuages se disloquaient,
Voguaient à toute vitesse

Vers quelque chose
Au-delà de l’horizon -

Et tout finit
Par un globe d’azur.

Aucune virginité, aucune neutralité dans un ciel, une mer ou une feuille de dessin. En les regardant, je vois des rébus à déchiffrer, une énergie dans laquelle puiser se présente. Ils sont tels des personnes que l’on ne connaît pas encore. Le ciel de Laponie nous l’apprend, si différent de celui de la Drôme (que je connais mieux), il est un choix de teintes, de longueurs, de spasmes dans le cours d’une année.

« Après 40 minutes de jeu, le match vient à peine de commencer ». Le point de départ est ce qu’il y a de plus volatil car si difficile à pointer, circonscrire, définir. Il est le premier à disparaître. Alors attribuer au point de départ la plus grande dose de volatilité, c’est affirmer une grande relativité dans l’explication des choses et de leurs enchaînements, c’est convoquer le stoïcisme pour ficeler le monde.

« Disparaître » possède toutes les caractéristiques de 0. En ce non-lieu, tout est redéfini, les lois physiques connues comme les autres. Les possibles sont conviés comme maîtres en leur demeure, dans cette entité qui oscille entre deux bords et peut à tout moment s’évaporer. L’être en disparition se consume au-delà des réalisables. Il n’y a plus de décimales, rien que des bonds de nombre en nombre. L’important est d’imaginer dans ces bonds, l’opportunité qui nous est offerte d’épuiser tous les possibles, les envisageables, et les autres.

Une résilience réside en la fuite alors que la disparition semble affectée d’anéantissement. Et pourtant la disparition essaime chaque moment de la fuite. A chaque pas, un « soi ici et maintenant » disparaît. Une personne en fuite est une suite de disparitions. Au cours d’une fuite s’opère un changement de substance nécessaire pour préserver la substance même, qu’elle soit corporelle ou psychique. On fuit un pays, une conversation pour perdurer, on devient rêveur, réfugié, on s’extrait des radars. La disparition, quant à elle, n’appelle aucune retenue de la part de la substance, celle-ci lâche prise. Cette ambivalence ressemble à celle trouvée par Francis Ponge dans l’orange et l’éponge :

« Comme dans l’éponge il y a dans l’orange une aspiration à reprendre contenance […] Mais où l’éponge réussit toujours, l’orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. »

La disparition laisse des traces, des rébus pour ceux qui les découvrent. Je trouve le monde beau en rébus. Cela procède d’un choix de voir les choses sous l’angle du jeu. Être en perpétuel déchiffrage des événements, des personnes et des phénomènes que l’on rencontre, c’est leur accorder à chacun le bénéfice d’un langage propre, reconnaître leur vérité sans pouvoir ni la voir ou la tenir entièrement. Voici le travail de l’artiste et du scientifique, alertes aux traces. Les rébus naissent des petits riens ou des grands effets atmosphériques qui ponctuent l’existence. Récolter, comprendre et restituer les formes qui composent un rébus et leur offrir une place de choix dans la compréhension du monde, voici en quoi consiste leur recherche. Une fois dans l’espace public, explicités pour être expérimentés par tout un chacun, les rébus changent les couleurs et les significations d’un point de vue, se collent à de nouveaux coins de la mémoire personnelle ou collective.

Une fois le rébus répondu, accueilli, il semble dommage d’oublier qu’il fut énigme, comme si on oubliait l’expérience même qui l’a révélé. Il est ainsi intéressant de ne pas perdre de vue ce qui a disparu. On y risquerait de faire naître le commentaire des styles et de perdre « la vie dans l’imbrication souterraine de ses racines. » (Aby Warburg)

Notes :
Le point de départ est ce qu’il y a de plus volatil – installation papier dimensions variables – © Laëtitia Bischoff – 2005.

Aucune destination ne me retiendra – installation vidéo aux dimensions variables – © Laëtitia Bischoff – 2005 – photographie Blux.