mardi 28 novembre 2017

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Départs de feux — III/IV

, Werner Lambersy †

Tu nages nu jusqu’aux dents
Dans l’étang sans rides
Où se promène la lune
Le ciel et l’oiseau de passage

Tu regagnes les berges parmi
Les rasoirs du roseau
Et les maillets noirs des joncs
Tes pieds pris dans la vase et
Ta tête dans les étoiles
Mais comment
Séparer les têtards et les astres
 
L’odeur du pain
Le matin dans les rues de Paris
 
Le parfum de cuir
Dans les voitures qu’on achète
 
La fraîcheur d’apprêt
Dans le linge du dimanche
Et ta peau qui remplit le monde
Salut aux vivants qui volent
Dans les poubelles
 
Et dorment à
La belle chandelle de la lune
 
Salut à ceux
Du nid-de-pie scrutant le ciel
 
Salut aux
Rescapés du grand pot-au-feu
Du cosmos
 
Amen à ce qui dure insoumis
 
*
 
Lumière
Sur la beauté du monde
 
Parmi les mèches
De cheveux fins tombés
Autour du fauteuil
Vide du salon
De coiffure des ténèbres
 
Lumière
Parce qu’on vit d’images
 
Depuis la mère
Qui s’occupait des langes
 
Jusqu’aux narines
Inquiètes des lapins élevés
En cage
 
Et qu’on mange en famille
Avec le père
 
*
 
Nues
Les unes se couvrent
Les seins
 
Les autres
Se cachent les cuisses
Et le sexe
 
On se dit
Les yeux pourquoi pas
Les yeux
 
Mais l’âme n’a aucune
Paupière même
S’il arrive qu’elle pleure
 
Et que la peau soit
D’une herbe qui tremble
Les vieux rockers
Sont revenus s’agiter dans
La lumière
 
Leurs chiens
Sont enterrés ils n’ont plus
Les mêmes femmes
 
Ni le cul dans le beurre de
Leurs folies
 
La voix est bonne
Et le vieil engrenage de la
Musique
 
Mets des anges d’époque
Sur les dragsters
De la sono
 
Le rock chérie est de retour
 
*
 
Cahier d’un retour au
Pays natal…
 
N’importe lequel
Pourvu que je puisse
Avoir honte
 
De ma langue
D’alouette et du pâté
De cheval
 
Combien combien de
Fois ai-je couru
Derrière
 
Mes genoux
Comme on teste
Une armoire chez Ikea
 
Combien de fois
Changer de chaussette
 
Dans la chaussure
Neuve du mort
 
Avant qu’on l’emmène
Dans les règles
 
*
 
La mer gantée d’écumes
Le vent bagué
D’oiseaux
 
Et d’iodes à chaque doigt
 
L’aube aux
Allures de geisha
Agenouillée sur l’horizon
 
Dès qu’on ouvre
En grand la fenêtre au bout
Du voyage
 
Pour respirer debout et faire
Entrer le large
Dans la chambre en désordre
 
Où dort encore
Sans pyjama l’amour
Qu’a fatigué une longue nuit
 
Dieu est ce qui est 
Préférez l’inverse une ombre
 
De mouette
Sur la plage plus émouvante
Que dans le ciel
On n’a pas tenu compte
Du nombre de fois
 
Qu’il faudrait repousser
Et tirer l’air de l’air
Sans rompre la machine
 
Ce n’était pas
Prévu pour une éternité
Ni même un temps
 
Pas pour tout le
Temps mais longtemps
 
Pas les marées
Qui vont sans fatigues
Et reviennent
 
Pas la lumière qui court
Et s’essouffle
Dans la noirceur du vide
 
Non mais juste
Tout juste assez pour dire
Avant de se taire
 
*
 
On aurait
Presque pu écouter tourner
Au ralenti
 
Les rotatives du sang
Qu’encre le poumon gonflé
De la dormeuse
 
Des vagues venues de loin
Viennent lécher
Son corps de sable allongé
 
Dans la calanque
Secrète adossée aux roches
De la garrigue
 
Éboulée d’une lumière pure
Veillant à l’horizon aveugle
 
Près de l’épouse Inépuisable
De la page toujours blanche
 
Ce que le merle dans l’arbre
Ou la vitre dicte de beautés !
 
*
 
C’est une très jeune fille
 
On peut
Se demander si le grand
Fleuve
S’est déjà frayé un coude
Entre
Les berges de ses cuisses
 
Ses yeux
Sont des canyons à peine
Navigables
Par temps de fortes pluies
 
Elle rit
Comme des haies pleines
De moineaux
 
On ne sait plus où se mettre
Sauf à tomber en pierre
Lancée pour
 
Ricocher sur l’eau d’un lac
Dans les gares
Pleines de monde pressé
 
Et de gens
Qui attendent les heures
 
Sont des marbres
Que personne ne regarde
 
Pour les morts
Les déportés les victimes
De guerre
 
Mais rien
Pour les divorcés
Les solitaires qui meurent
 
À chaque train qui s’en va
 
La nuit on chasse les SDF
On nettoie
 
Les annonces se sont tues
La police passe
Ulysse repart vers Ithaque
 
*
 
Ils vendaient des portes
Par lot de douze
 
Des sabliers
De plastic pour retourner
Les phrases
 
Je les ai pris
 
Pour des amis qui aiment
Claquer les portes
Et discuter
 
René Char qui rit très peu
Souvent a trouvé ça
Ridicule
 
La lucidité
Exposant au coup de soleil
Les poèmes ne veulent pas
Qu’on les écrive
je n’écris
Pas de poèmes j’écris à la
Commande
 
En Allemagne
Les artichauts bretons
Servent de garnitures pour
 
Les tombes
Et les couronnes mortuaires
 
Seule la réalité est un poème
J’écris la réalité
 
*
 
Les yeux
Comme les arbres
Restent au fond de leur trou
 
D’orbites et de chairs
Dont la paupière est frissons
De feuilles
 
Jusqu’à ce que les regards se
Dispersent et perdent
De vue l’essor
Des grands gypaètes royaux
 
Puis tournent
Le blanc de l’œil pour
Creuser l’ombre et descendre
Où l’ancienne lave
Tient les poussières au chaud
Les chaussures ont un
Avantage sur l’éternité
 
On peut les reprendre
Les enlever
Si le gazon est tendre
Si l’eau est
Bonne pour traverser
 
Les morts
Qui s’occupent encore
De tout
 
Peuvent passer
Un chiffon de laine sur
Le cirage noir
 
De la mémoire pour les
Rendre neuves
Et briller du soleil doux
Des souvenirs
 
*
 
Les cailloux
Ne sont pas bavards
 
Ce qu’ils ont vu les
A rendus muets
 
Ils aiment mieux
Rester entre eux pour
En parler
 
En quoi ils sont
Très semblables aux
Hommes
 
Qui vont écouter la
Mer
L’eau des montagnes
Ou un
Concert dans la nuit
 
On se demande
Encore ce qu’ils ont
Retenu du voyage
 
*
 
Nuit d’été sans nuages
 
Nacres débris d’huître
De moules
Et de coquilles creuses
 
Jetées d’en haut
Par l’oiseau affamé qui
Voulait les ouvrir
 
Aube aux crevettes
Roses au bord de l’eau
 
Où le petit homme
Avance et promène son
Filet de pèche
 
On attendra que
Se renverse le feuillage
Argenté du saule
 
Pour lire couchés sur le
Dos un peu
De l’antique récit secret
Depuis des heures
Tout le jour et plus peut-être
 
Le poème et moi
N’étions pas inquiets
Nous rêvassions sans rien faire
 
Mais quelque chose manquait
 
Soudain l’impulsion avant que
L’encre sèche et
Meure
 
Elle attendait là c’était bien elle
 
*
 
Développez les possibles :
 
Lorsqu’elle sut
Jocaste fit le ménage
Tua Œdipe épousa Créon
 
Maria Antigone à Tirésias
Ismène n’eut pas d’enfant
 
Quand Jocaste
Mourut dans son grand âge
La rumeur persistait
 
On disait Œdipe à Athènes
Mais le peuple de
Thèbes avait
 
D’autres chats
À fouetter la mort était aux
Portes de la cité
 
Et les enfants n’apprennent
Plus le grec

JPEGDéparts de feux – Un recueil inédit de Werner Lambersy, accompagné de 11 reproductions de peintures d’Emmanuelle Renard.
140 pages. Format : 21,5 x 22,7. Titrage : 300 exemplaires sur papier Rusticus 120 gr, dont quatorze exemplaires de tête enrichis d’une œuvre originale du peintre.
Prix des exemplaires courants : 30 €. Prix des exemplaires de tête : 170 € (frais de port inclus).
A commander directement à partir de notre site (http://www.editions-tipaza.com) ou par la poste à notre adresse, Éditions Tipaza – 82 Avenue du Petit Juas – 06400 Cannes, accompagné de votre règlement par chèque.

Illustrations : détails — Joseph Mallord William Turner