dimanche 2 avril 2017

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Un creux a la dimension qu’on lui accorde :
début d’une galerie souterraine, nouveau nichoir, espace d’une halte, cavité, sépulture, terrier, futur espace de plantation, de construction, de recherche de trésor.

Certains artistes ouvrent le monde par ses pans. Ils en creusent d’autres, dans le nôtre. Un fabriquant de creux s’incarne notamment dans la figure de Lewis Carroll qui a fait tomber Alice aux pays des merveilles. Adrien Mondot, Guillaume Amat et Douglas Gordon, quant à eux, ne créent pas des sas vers de nouveaux mondes, mais bien des gouffres dans l’image et le temps.

Adrien Mondot, de la compagnie Adrien M et Claire B, jongleur et mathématicien s’empare de la scène. L’espace matériel est support pour la lumière. Guidée par des formules algorithmiques et l’ingéniosité de ses pilotes, elle déverse sa loi sur scène. L’espace visuel est élastique, comme si la taupe au fond de son tunnel, ne savait plus trop où elle en est de son travail. L’acteur, le danseur se cabosse dans cette nouvelle aire qui l’englobe tout au long du spectacle. Il/elle défie parfois, orchestre les raies de lumière, même si ce sont aussi elles qui se jouent de lui/elle. Ainsi sans plus aucune géographie à sa portée, il/elle tente des douanes qui ne le/la laissent passer et s’amusent tendrement de son corps. L’orientation est caduque. Les mathématiques et la lumière sont alliés pour abattre un sort de Zeus sur les personnages.

Le mouvement de l'air - work in progress from Adrien M & Claire B on Vimeo.

Guillaume Amat ne leurre pas, il aménage. Des panneaux photographiques dans le paysage. Pas dans n’importe quel paysage et pour un seul point de vue, celui de son appareil qui dézingue et offre toute la force d’ouverture, presque de déchirure, à ce panneau venu creuser un tunnel sous le réel. Combien de kilomètres séparent ce lieu blanc et dévasté, de cet arbre vert et centenaire ? L’artiste a défait les distances, resserré les nœuds de ce qui ne se touche pas, ne se sait pas.

Ces œuvres sont accommodantes pour la place du spectateur, ce dernier jamais ne tombe ni ne trébuche. S’offre à lui une histoire possible dans laquelle son cerveau gymnaste. Un travail où l’esthétique se niche dans le cérébral.

Les œuvres
creusent
des étendues
des imaginaires

Des portes claires ou molles
sans verrou
avachissent les murs

rond point manège
pour une salle pour un pré
pour un no man’s land

des boutons de pression
accélérateurs
des ovnis

des algorithmes
pour devenir petit ou grand

faire de sa taille (ou celle de l’arbre)
un atout clé
un transport sans escale

le cadre en prend un coup,
il en étiole l’équation
du temps et de l’espace.

Douglas Gordon est de cette famille qui aménage des sillons solitaires. Le pli du livre entre deux pages qui se regardent, la tranche du livre aussi sonnent comme un gouffre dans la phrase. Ainsi le spectateur est libre de s’emparer de cet espace « entre » de ce « et » qui ne se dit pas. Celui-ci combine deux portions de phrase sans donner aucune indication ou saveur à cette jonction autre que le chemin visuel par dessus ce pli, par delà l’autre côté de la couverture du livre. C’est un creux pour l’esprit et un bond pour l’œil, un démultiplicateur sémantique. Le pli fait figure d’espace 0 où les possibles s’y rejoignent sans prendre de place. C’est comme un trou noir, un puits qui offre un tourbillon d’intentions au spectateur : il n’a plus qu’à ouvrir au maximum son spectre imaginatif.

La cavité est parfois pensée comme un lieu de passage vers le monde des esprits. Ses parois ont été notre premier espace de projection, d’incantation : à la surface de la grotte des dessins. En un pli de page ou de terre, bordés de lettres ou de dessins, nous sommes en ces creux aveugles, invités à aiguiser notre capacité à plonger ou gravir par l’esprit… Et offrir le degré d’interprétation que l’on souhaite à l’« entre » reclus au fond du paysage, du temps ou du livre.