samedi 30 janvier 2021

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Bojan Šarčević – L’Extime

galerie frank elbaz

, Laure Jaumouillé

Avec L’Extime, Bojan Šarčević présente sa première exposition personnelle à la galerie frank elbaz. Il y expose des sculptures imposantes formées de blocs de marbre légèrement teintés de couleurs verte, rose et bleue.

Chacun de ces blocs est évidé pour accueillir des congélateurs fonctionnels. Les congélateurs semblent être littéralement « ingérés » par les cubes de marbre. A cet imaginaire polaire est associée une piste sonore atonale qui résonne aux alentours des œuvres.

Bojan Šarčević, Homo Sentimentalis, 2020
photo Claire Dorn

A proximité de cet univers de givre et de cristaux de glace, on observe trois figures de taille remarquable. Celles-ci entourent les blocs de marbre et interagissent avec eux, comme si elles étaient dotées d’un comportement ou encore d’une puissance d’agir. Leurs têtes de pierre sculptées et leur masculinité évidente entre en contraste avec le raffinement de leurs vêtements. Par ailleurs, ces figures sont ligotées selon la tradition japonaise du shibari. Le terme lui-même signifie « attaché, lié ».

Bojan Šarčević, Homo Sentimentalis, 2020
photo Claire Dorn

Le titre de l’exposition L’Extime fait écho au concept d’extimité développé dans la lignée de Lacan, notamment par le psychiatre Serge Tisseron. L’exitimité tend à dévoiler des parts de notre intimité jusque-là envisagées comme secrètes. Il s’agit d’une pratique tout à fait naturelle que l’on peut même considérer comme nécessaire à l’équilibre psychique humain. Ainsi il semble possible de s’interroger sur l’état intérieur de ces figures ligotées, privées de parole, et dont les visages semblent meurtris. Cependant, Lacan attribue une autre signification au terme « extime », à savoir le mot anglais « uncanny », qui peut être traduit en français par « inquiétante étrangeté ». Un lien entre ces deux définitions peut paraître pertinent, à savoir, que nos sentiments les plus intimes nous paraissent parfois profondément étrangers.

Bojan Šarčević, Homo Sentimentalis, 2020
photo Claire Dorn

En outre, on observe que les figures et les blocs de marbre sont le plus souvent reliés, soit par un câble, soit par la position d’un personnage assis sur l’un des congélateurs. L’exposition porte la trace de dualités prégnantes : les œuvres sont à la fois brutes et raffinées, réfrigérées et sensuelles, techniques et physiologiques. On y voit l’émergence du « Cyborg » tel que défini par Donna Haraway [1] ; à savoir la dissolution des frontières entre la machine et l’être humain. Tandis qu’il s’empare de la technologie caractéristique de notre époque, Bojan Šarčević assemble les « reliques » d’un futur hypothétique. Ces « chimères » de l’avenir semblent d’ores et déjà partiellement pétrifiées.

Bojan Šarčević, Homo Sentimentalis, 2020
photo Claire Dorn

Notes

[1HARAWAY Donna, Manifeste Cyborg, science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle, in : Manifeste cyborg et autres essais : sciences – fictions - féminismes, p. 29.-92., Paris, Exils Éditeurs, 2007, (1991).

Frontispice : Bojan Šarčević, Homo Sentimentalis 2020, photo Claire Dorn.

L’Extime

October 22, 2020 - February 27, 2021

galerie frank elbaz, Paris

66 rue de Turenne
75003 Paris - France
Tuesday - Saturday
11am - 7pm
and by appointment
t. +33 1 48 87 50 04
info@galeriefrankelbaz.com