mardi 26 avril 2016

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Atlas Rrose Semoy

Jouer-trouver-se perdre

, Hélène Tyrtoff , Martial Verdier et Sylvain Paris

Accumulations et saturations de lignes, taches de couleurs, paysages de corps : s’y perd-on ? Cases, lettres, fausses légendes cartographiques, topologie pensive : sont-ils indications, orientations ? Croisant peinture, écriture et photographie, l’Atlas Rrose Semoy invite le lecteur au jeu des repères à inventer, pour le plaisir de l’apparition.

Où se joue l’Atlas Rrose Semoy ? Il y a bel et bien, entre la France et la Belgique, une petite rivière appelée la Semoy qui serpente. Elle brille fraîche en fond de vallée dans la forêt des Ardennes.

Ce n’est pas la tache rouge dans le cresson bleu qu’on y a rencontrée, mais la ligne rose du désir ludique, un jeu à peindre-écrire-photographier, un jeu de cartes, d’images à battre ensemble, joué à trois par une qui écrit, un qui peint, un qui photographie. Ils échangent parfois leur rôle.

On commence le jeu en plein air. Pour être plus juste, le jeu se joue avec un quatrième protagoniste, innuit siniswichi, héros nu BD — BP (body painter), non pas à pieds de bouc mais à tête d’éléphant, avatar de Sylvain (celui qui peint), personnage de chair autant que de papier car il réalise des performances qu’on retrouve dans ses aventures en bandes dessinées -publiées, comme l’Atlas Rrose Semoy, chez l’éditeur bruxellois La 5e couche, qui aime l’art contemporain et la BD questionnante. Sur les bords de la Semoy, innuit peint sur corps d’Hélène (celle qui écrit) qui, elle, trace sur peau d’innuit, tandis que Martial (celui qui photographie, en pull, lui) déclique image sur image ou coule en calotypes les aléas du tempo.

D’autres femmes prêtent leur corps au jeu. Qui se développe et s’engendre lui-même, ancré dans la scène « primitive ». Qui fait quoi, ça s’échange et ça s’hybride. Et la photo prend la peinture, qui se reprend et la peint. Qui peint aussi l’écrit, le refragmente.

A partir des photos documentant les séances de peinture sur corps, Sylvain Paris réalise des tableaux qui eux-mêmes sont photographiés. Puis il redécoupe ces images en cases, aptes à de nouvelles compositions, en y intégrant du texte par lettrage peint, comme autant de bulles ou phylactères, le tout jouant des codes de la BD. L’image n’illustre pas le texte ni le texte l’image. Les deux se rencontrent et fusionnent en toute liberté.

L’expérience sécrète en effet du texte, fragmentaire, instantanés de sensations, d’états, d’événements intimes, brouillages sonores. Hélène Tyrtoff le cherche à la main dans l’espace d’une page balayé au radar de l’écoute, à la frontière de l’extérieur et de l’intérieur. Zones bruissantes, flux sonores et atmosphères sémantiques générateurs de mots, ou pas, potentialités parfois manifestées. Comme des boussoles des sons d’un jour, se dessinent les bulletins sono-météos. L’écrit pause dans les calotypes, remonte peint dans les cases, reconstitue ses fragments ou en agglomère de nouveaux dans l’index des lieux dits et non dits, dont la classification alphabétique permet une nouvelle fois au texte d’échapper au déroulement narratif.

Quand les surfaces, les lignes, les blocs hypercolorés nous sautent joyeusement aux yeux, on s’enfoncerait dans la profondeur des calotypes de Martial Verdier, leur temporalité particulière. Les longs temps de pose et de développement spécifiques à cette technique ancienne laissent travailler la matérialité de l’image qui, pilotée par l’œil conscient du photographe, sera l’une des multiples possibilités qu’elle contient en puissance. Voici donc bien des vues : du végétal, du minéral, des corps. Cependant les images sont comme « passées », on glisse dans la perception : le sujet de l’image s’échappe tandis que l’objet matériel se manifeste. Les lieux sont resserrés sur les corps, les poses statiques, rendant d’autant plus sensibles le murmure pictural et le flux temporel qui les parcourent.

Le stock d’images s’accroît, en trois veines qui se nattent. Clins d’œil au réel, ces images s’implantent en elles-mêmes, créent leurs propres lieux parcourus des yeux par le lecteur, et lui résistent. Accumulations et saturations de lignes, taches, zones de couleurs, paysages de corps : s’y perd-on ? Cases, blancs, lettres, fausses légendes cartographiques, topologie pensive : sont-ils indications, orientations ? S’y retrouver ? Peine perdue. Autant se laisser aller au mouvement des images comme autant de plans plus ou moins rapprochés qui s’enchaînent selon une logique de rythme plastique. D’ailleurs un atlas, comme toute cartographie, est une forme codée artificielle par excellence.

Que le lecteur s’invite au jeu des repères à inventer ! L’Atlas Rrose Semoy, loin de chercher à fixer une réalité toujours en train de se modifier, cartographie, sans prétendre à l’exhaustivité, le plaisir de l’apparition.

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