samedi 2 mars 2024

Accueil > Théorie(s) > Création et commentaires > Andelu : quand la peinture sort du mur

Andelu : quand la peinture sort du mur

la bête aux fleurs ou le présent gnomique

, Jean-Paul Gavard-Perret

Traces, passages, pans font l’essence de la peinture de Mireille Andelu, artiste graveuse française. L’attention de la créatrice est multiple. Elle tient non seulement de la description de lieux et de la contemplation mais de l’exploration sourde de la « bête ». D’un côté une nature étrange issue d’une fixation première — Il faut ainsi faire chauffer la nature des adeptes des roulés-boulés — de l’autre, et surtout, l’érotique.

Devant deux mondes,
2002, huile sur toile.

Un tel tableau, comme une de ses œuvres majeures Sortir du mur, suspend et surprend la pensée pour nous faire entrer en ce qui ne se pense pas encore afin de toucher, peut-être, l’instable et la vérité de l’inconscient. C’est en quoi le tableau représente une entreprise de catharsis personnelle à valeur esthétique.

Mireille Andelu, peut-être obsédée par le passé, tente de reconstruire quelque chose du présent qui la fascine, afin de l’exorciser. Elle recèle une telle beauté en cerclage et un tel état de passivité et de douleur, qu’on y sent une possible copulation impressionnante et douteuse. 

Andelu touche la réalité autrement en modelant la volupté paradoxale d’une masse improprement inconcevable. Les structures surgissent d’une paroi, des présences en « pleine » action, mais en pleine action statique. Un couple absent-présent, au cœur d’une émotion paradoxale, au sein d’un rituel quasi pictural qui renvoie aussi bien à certains « paysages ».

D’une telle « fiction », on ne se fait en effet guère d’illusions : si un corps sac de « peau » et de matière sombrement colorée de notre pâleur intérieure est présent, il se livre métaphoriquement un ébat amoureux.

Les éléments cependant ne s’adonnent pas à leurs échanges à l’abri de ce lieu clos et propice à l’abandon devant le neutre de la façade du fond.

Le regardeur assiste à la réalisation physique de figures de langage : ne pas avoir la tête sur ses épaules, avoir la tête ailleurs, avoir les bras et les jambes coupés, toutes ces expressions sont prises au « pied » de la peinture en effet supplémentaire de transgression.

Andelu ramène au langage en un double mouvement de contamination et d’« ironisation » de l’image en tant que figure de style et de représentation. Mais ici la métaphore ne soigne rien, ne cautérise en aucune façon la plaie : elle la creuse, elle fige et rend palpable par le corps ou la détresse de l’âme.

D’où cet effet de sidération qui prend le voyeur en un « mixage » d’envoûtement, d’attraction, de répulsion, de désir et d’interdit. L’inconscient semble toujours frapper à la porte d’une telle toile. La castration reste sans doute une piste à creuser. Il y a cependant dans ce travail un acte d’autorité.

À sa manière, Andelu décide et tranche. Certes, le doute est toujours présent : les éléments se battent-ils ou prennent-ils du plaisir ? Est-ce qu’il n’y en a pas un qui métaphoriquement tue l’autre ? Confusément, il semble que dans un tel travail celui qui voudrait aimer n’y parvient pas. Tout mute et c’est là l’essentiel et la richesse d’une telle recherche.

Après tout la « bête » pourrait rappeler ce que Louise Bourgeois affirmait : « chez une femme le sexe apparaît au moment où elle perd le contrôle, chez l’homme il intervient comme affirmation de son contrôle ». Mais chez Andelu tout est plus complexe et plus subtil sans toutefois aller jusqu’à évoquer la désagrégation psychique dans l’acte sexuel.

On se souvient à ce titre des mots de Georges Bataille : « L’amant ne désagrège pas moins la femme aimée que le sacrificateur sanglant l’animal immolé. La femme dans celui qui l’assaille est dépossédée de son être » (in L’érotisme, La Nef, 1957).

En conséquence, Andelu représente la violence latente de toute relation « amoureuse » ou charnelle, qui réside surtout dans l’intention d’aliéner l’autre pour exister. Celle ou celui qui est violent veut en effet atteindre l’autre non pas comme une chose : il veut atteindre sa conscience. C’est la force des fleurs. Elles nous pénètrent, conjointes, soit à ce bestiaire ou un quelconque sujet.

Dévorée, dévorante, trouée, déchirée, colorée, construite parfois jusqu’à une ascension lyrique, la peinture de Mireille Andelu s’approche de quelque chose d’essentiel en déliant les purs effets de réel de la pensée, de la spiritualité, de la sensualité.

La réalité perd de sa solidité, le dehors et le dedans deviennent des notions qui fonctionnent tant il y a des altérations de surface. Tout reste richesse d’apparat et incertitude. L’effet de trouble n’est pas celui du non-sens, au contraire celui de la présence de l’absence, présence in absentia à travers ce qui devient musique avant toute chose.

Il convient enfin d’envisager ce travail comme une recherche toujours ouverte qui nous apostrophe tant nous passons avec Andelu à l’icône par l’accident — par accident de naissance. Aimons ces ressemblances mais encore plus ce qui nous sépare… « Parlez pour vous... C’est ce que je fais. Tous, c’est que nous faisons. », dit Andelu. Il s’agit de l’écouter et de voir ses images.

Tour de Babel aux trois portes,
de la série « Tour de Babel ».

(Exposition permanente à Vallauris, à l’atelier du peintre)