mercredi 23 septembre 2015

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Puissance de la peinture et illumination

Bang Hai Ja

, Bang Hai Ja et Jean-Louis Poitevin

Si Bang Hai Ja est une créatrice, c’est qu’elle est en contact avec l’immensité de l’univers et cela depuis l’enfance.

I. Accepter l’immensité

Chaque atome, chaque fleur, chaque abeille, chaque oiseau, chaque moment du ciel, chaque vague qui déferle sur le rivage, chaque instant des paupières est un moment de l’univers. L’œil qui voit découpe, isole, puis il envoie vers le cerveau cet instant du monde. En nous sans que nous n’y puissions rien le visible de l’instant est relié à tout ce qui dans la mémoire vibre et vit depuis toujours. Pour la plupart d’entre nous de tels instants prennent place dans le grand charivari de la vie et si nous savons encore être étonnés par tant de grandeur, de charme, de beauté, nous n’accordons plus guère de crédit à ces émotions-là, emportés que nous sommes dans les rapides du temps des horloges.

Si Bang Hai Ja est une créatrice c’est qu’elle a su ne jamais refermer la porte de l’étonnement et de l’admiration pour tout ce qui n’a pas été fait de main d’homme, c’est-à-dire pour la terre, le ciel, le soleil, l’eau, pour la vie même. Humble devant tant de grandeur, elle n’a pas été tentée par les accents de la culpabilité de la créature face au créateur, tels que chez Pascal par exemple ils résonnent encore en nous. Elle n’a pas été tentée par ce mouvement de tout l’être qui fait l’âme faible se crisper sur elle-même et comme le dit Baudelaire, « crier vers dieu dans sa furibonde agonie, ô mon semblable ô mon maître, je te maudis ».

Si elle a su, enfant, faire confiance à ce qui se passait en elle, à ses émotions, il lui fallait affronter les aveux souvent involontaires des autres qui disent leur oubli de ces moments vitaux. Elle sut ne pas renoncer à ce qu’elle sentait vibrer en elle et a pu par la suite trouver dans les ressources infinies de la tradition bouddhiste la force de garder les yeux grands ouverts sur la beauté du monde. Mais elle a surtout osé croire à la vérité de son admiration.

La force du bouddhisme pratiqué et vécu comme un éveil, c’est bien de légitimer ce sentiment de plénitude et d’en laisser voir les traces dans chaque atome de la matière dans chaque aspect de la vie.

II. Plonger dans le cœur de la terre

Lorsqu’elle arrive en France au début des années cinquante, Bang Hai Ja est déjà convaincue que c’est par la peinture qu’elle va pouvoir faire partager la force de ses émotions. Mais il existe une distance encore immense entre ce qu’elle sait et la manière de l’exprimer par l’art. En France, dans ces années-là, les peintres de l’école de Paris, ont le plus souvent pris le tournant de l’abstraction. Cette abstraction est pour les plus importants d’entre eux le moyen de plonger au cœur de la terre. Ce sont de nouveaux paysages qu’ils inventent des paysages en quelque sorte inconnus de l’homme et qui pourtant participent de son existence. On a souvent l’impression qu’ils plongent dans les profondeurs du sous-sol et ce qu’ils en rapportent sont comme les souvenirs de ce voyage. Il s’agit d’un voyage doublement intérieur qui a lieu dans la trame imaginaire et mentale qui relie et unit la terre et l’esprit, la vie obscure des profondeurs et les arcanes de la psyché.

Pour Bang Hai Ja, ce moment est essentiel car il lui permet de réaliser des œuvres qui sont un pont entre les formes orientales de son appréhension du monde et la conception occidentale de la nature et du paysage. C’est sans aucun doute durant ces années-là, celles de la fin sa formation et celles de ses débuts comme artiste, que sa position picturale a commencé de rejoindre sa position existentielle. Plus exactement, il fallait cette rencontre entre sa perception de l’immense et intarissable beauté de l’univers et celle qu’offraient ces artistes occidentaux qui eux plongeaient dans les entrailles de la terre pour trouver l’espoir d’une paix ou les formes d’un apaisement, pour qu’en elle, germe l’idée de sa puissance propre comme artiste et de l’universalité de sa position pourtant singulière.

Elle comprit qu’elle pouvait, elle, Bang Hai Ja, établir un pont durable dans le champ de la peinture entre deux monde hétérogènes. Ceci était possible au prix d’un double mouvement qui n’impliquait aucun renoncement. Le premier mouvement consistait à « traverser » le cœur de la terre puis à ressortir en regardant la vie d’un œil neuf mais de poursuivre le chemin et de ne pas hésiter à foncer vers le ciel. Le second consistait à échapper au piège de la question occidentale véhiculée par la peinture, celle des relations entre chair et esprit pour la retourner en une question universelle, celle des possibilités concrètes de partager une illumination.

III. Illuminer l’instant

Bang Hai Ja a très vite trouvé « sa » voie, celle d’un être ayant accédé à la fois à un degré de connaissance profonde de la place de l’homme dans l’univers et à un degré de conscience des moyens picturaux permettant d’en rendre compte. Elle peut ainsi affirmer sa singularité sans être prisonnière des chaînes dans lesquelles la forme occidentale de la subjectivité retient l’individu. C’est pour cela que dans ses œuvres, il n’y a trace d’aucun narcissisme, ni d’aucune complaisance pour ce « moi » dont on se repaît en occident.

Ainsi, à travers les années, Bang Hai Ja suit un parcours qui pourrait être décrit comme la longue traversée d’un être qui aurait vécu dans les profondeurs de la terre et se serait frayé un chemin jusqu’aux orbes les plus lointaines du cosmos. Ce trajet est proche de celui de l’âme dans certains mythes platoniciens. Sans doute est-ce plutôt, ici, le mouvement rétroactif d’un être qui a compris l’importance de l’illumination comme guide et moteur de son existence.

Bang Hai Ja est une grande artiste parce qu’elle a su ne jamais renoncer à cet appel mais surtout parce qu’elle a accepté d’accomplir le trajet pour rejoindre cette lumière qui la tenait éveillée sans jamais faiblir.

Ses œuvres sont comme le « récit » de ce grand voyage. Un temps, elle nous fait entrer dans le ventre de la terre, puis nous permet d’explorer tel ou tel détail d’un atome ou d’une source. Puis nous nous retrouvons en train d’assister à l’éternel recommencement du grand partage entre le jour et la nuit, au moment que chaque matin ressuscite, celui la création du monde, de la séparation entre ciel de terre , celui de la création de ce grand miroir qui fait toute choses plus belles, la surface toujours mouvante des océans.

Enfin, c’est le même jour et c’est l’aboutissement d’un si long trajet qu’on dirait celui qui va de la conception à la naissance, nous sommes face à l’univers infini peuplé d’étoiles vierges. Ces feux irradient l’espoir jusque dans la nuit de l’inconnu. Bang Hai Ja est leur porte-parole.

IV. Peindre

Si Bang Hai Ja a réussi à imposer sa peinture tant en orient qu’en occident, c’est parce qu’elle a su prendre en quelque sorte le meilleur de chacune de ces deux grandes traditions. De la tradition occidentale, elle a retenu la couleur et l’espace, mais elle les a dégagés de la question du dessin, de la forme et de la représentation. De la tradition orientale, elle a gardé l’impulsion et la spontanéité du geste, le sens de la présence de l’homme dans l’univers et une respiration lente et profonde qui seule permet les grands voyages, mais elle les a libérés de la nécessité s’enliser dans le quotidien.

En ayant en quelque sorte chacune de ces deux grandes traditions dans l’un des hémisphères de son cerveau, elle peut les faire se rencontrer sur la surface de la toile. Cette rencontre est au sens strict ce qui caractérise l’œuvre de Bang Hai Ja. Cette rencontre se manifestes moins par les motifs même de ses œuvres que par la présence en elle d’une lumière toute particulière, unique même.

Cette lumière qui irradie et traverse ses œuvres de part en part est la traduction picturale de l’illumination. Il faut cependant entendre par ces mots quelque chose de plus qu’une métaphore. L’illumination est un processus psychique qui permet aux impulsions provenant de l’hémisphère droit de passer et d’irradier l’hémisphère gauche. Plus exactement, il s’agit de ce moment « magique » entre tous, lorsque précisément des données issues de la pensée spatiale dont la peinture est la plus grande représentante viennent à la rencontre de données enlacées aux mots.
Mais au lieu de plonger corps et âme dans ce débat aussi ancien que la pensée même, Bang Hai Ja choisit à la fois de laisser sa main qui court sur la toile être guidée par la main mentale qui hante son esprit et de peindre de telle manière que la couleur en traversant la toile irradie l’envers du monde. Elle choisit de capter cette lumière-là plutôt que de tenter de rendre compte de sa présence à travers l’infinité des êtres. C’est pourquoi son œuvre est peuplée non pas d’être vivants mais d’être porteurs de vie, de ces taches de lumière qui envahissent l’espace pictural comme les étoiles envahissent le ciel à mesure qu’il s’étend.

Bang Hai Ja voit donc quelque chose que peu de gens voient et que moins encore savent faire partager. Plus encore, elle a fixé son regard sur ce moment de l’illumination, un moment qui revient et revient encore à condition qu’on sache lui accorder l’importance qu’il mérite, un moment qui peut devenir une sorte d’autre état dans lequel il est possible sinon de vivre tout le temps du moins avec lequel il est possible de ne jamais perdre le contact.

Chaque geste, chaque point lumineux, chaque déchirure, chaque couleur posée avec la légèreté d’un baiser et avec toute la force de l’amour, chaque instant de peinture est, pour Bang Hai Ja, une tentative de montrer que ce contact existe et ainsi d’ouvrir le chemin.

Face à ses œuvres, alors, nous aussi nous savons. Nous savons parce que nous voyons et sentons que nous sommes un moment de cette lumière et qu’elle est plus nous que nous-mêmes, plus vraie que ce que nos yeux nous font voir, plus réelle que nos rêves, elle qui est la source et du réel et des rêves.

I
BANG HAI JA Expositions
ACTUALITÉ DE BAG HAI JA

1. BANG HAI JA “Constellations’
Du 2 septembre au 23 septembre 2015
Centre Culturel Coréen
2 avenue d’Iéna, Paris 16e

2 BANG HAI JA - œuvres récentes
Du 8 octobre au 7 novembre 2015
Galerie Guillaume,
32 rue de Penthièvre, Paris 8e
Tél : 01 44 71 07 72

3. BANG HAI JA ‘Matière-Lumière’,
exposition rétrospective,
Du 14 octobre au 7 novembre 2015
Galerie Françoise Livinec
24 rue de Penthièvre, Paris 8e
Tél : 01 40 07 58 09

4. “Séoul-Paris-Séoul : Artistes coréens en France ”
16 octobre 2015 au 7 février 2016
Musée Cernuschi
7 avenue Vélasquez
, Paris
 8e
Tél : 01 53 96 21 50