mardi 25 février 2014

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Cortex et col du fémur

Violence de la contexture chez Alexander Kluge

, Herbert Holl

« Chaque vie a un sens propre. Il réside dans une contexture en laquelle chaque présent remémorable possède une valeur propre, tout en ayant une relation à un sens du tout dans la contexture de remémoration. » Dilthey

PROLOGUE

Dès le sommaire d’Histoire et entêtement, paru en 1981, sous l’annonce du « Commentaire 4. Des rapports gravitationnels dialectiques dans l’histoire allemande », peu avant l’annonce de la troisième partie du livre, au verso de cette même page, « Violence de la contexture », "Gewalt des Zusammenhangs" — apparaît le négatif en blanc, noir, gris, d’un photogramme de col du fémur et de hanche, telles les sombres côtes fractales aux bords éclairés, d’un océan lumineux avec ses détroits, ses isthmes et ses îlots : terre et mer (GE 11). En voici la légende :

« IIl. : Os du col du fémur. Le point faible. Il en est un qui sait que cela viendra, mais il ne peut rien faire contre la chute. "Violence de la contexture’’. »

"Abb. : Oberschenkelhalsknochen. Die Schwachstelle. Einer weiβ, daβ es kommen wird, kann aber gegen den Fall nichts tun. ’Gewalt des Zusammenhangs’." (GE 11)

"Gewalt des Zusammenhangs" éclairera violemment tout le livre dans l’édition de poche parue en 1993. "Gewalt" : déploiement du pouvoir, déploiement de la violence. "Zusammenhänge" : l’attraction sous l’angle du contact, ou cohésion, selon Kant ; corrélation de la raison-fondement et de sa conséquence, de la cause et de l’effet, contexte du texte. Mais pour Negt et Kluge, par delà le "Allgemeines", le "pancommun" hégélien se déterminant en soi-même, le "Zusammenhänge" constitue le tout des relations de durée ou de temps, qui n’est plus l’ensemble des parties toujours artificiellement clos [1]. Le montage du col à même la page du livre donne l’image suspendue, pendue — "hängend", "hangend" — de l’espace-temps. Supportant le tout du corps dans la cohésion de ses parties, dans l’entre-deux de contexture, l’articulation de la hanche et du fémur supporte le travailleur global, "Gesarntarbeiter" marxien en phase permanente d’accumulation primitive et privative [2]. Les forces qui au passage du col anéantiront l’os, s’avancent séparément, mais frappent ensemble, selon la maxime stratégique de Moltke l’Ancien.

Selon Dilthey, toute énonciation sur le monde historique, du cours de vie individuel à celui de l’humanité, viserait simplement « un mode déterminé de contexture en une quelconque délimitation » / "eine bestimmte Art von Zusammenhang in irgend einer Abgrenzung" [3]. Toutefois, par-delà la catégorie formelle du rapport entre tout et partie, commune à l’espace, au temps et à l’« estance » organisée, la contexture lierait ce sens propre, "eigener Sinn", en vertu duquel un "eigener Bezug" relie toutes les parties. Dès lors, toute présence se remplit de passé, s’élance pour façonner l’avenir, comme dans Dichtung und Wahrheit de Goethe :

« Chaque vie a un sens propre. Il réside dans une contexture en laquelle chaque présent remémorable possède une valeur propre, tout en ayant une relation à un sens du tout dans la contexture de remémoration. »

"Jedes Leben hat einen eigenen Sinn. Er liegt in einem Bedeutungszusammenhang, in welchem jede erinnerbare Gegenwart einen Eigenwert besitzt, doch zugleich im Zusammenhang der Erinnerung eine Beziehung zu einem Sinn des Ganzen hat." [4]

Cette singularité propre, qui représenterait pourtant l’univers historique, telle la monade de Leibniz, va se concrescer chez Kluge en "Eigensinn" obstiné, à la contexture de vie d’emblée submergée par les cycles historiques, en monades singulières pourtant ouvertes sur le monde [5].

Lorsque l’extension d’un cours de vie entre naissance et mort, l’’’Erstrecktheit’’ qui fait contexture selon le Heidegger de Sein und Zeit, a mis à l’épreuve le cycle imparfaitement clos du "Lebenslauf" selon Kluge, elle s’empêtre dans le nœud d’une infinité de forces chaotiques [6]. Or, la contexture de l’économie politique du Capital, dont Marx fit la critique, aurait oublié « l’histoire générique des corps », avec leurs immenses réserves de potentiels accumulés. L’économie politique de la force de travail vivante qu’esquisse Histoire et entêtement s’efforce d’exhumer cette contexture charnelle jusqu’alors « fonctionnalisée » par la physiologie, la biologie, la neurologie. Mais elle en vient à mettre au jour deux temporalités qui ne cessent de se disjoindre : le cerveau humain, qui se surdévelopperait en monades ouvertes, à grandes « foulées révolutionnaires », et l’ossature apparemment immuable. Capable de disposer côte à côte des expériences temporelles et spatiales, le cerveau produit la connexion, qui tire sa substance des « moments subjectifs et objectifs de l’évolution » (GE 284). Cette spatio-temporalité est à peine commensurable avec la cohésion de l’os, dont l’arc de triomphe reposant sur les fémurs est potentiellement une ruine en entrelacs baroque de nature et d’histoire. L’os majeur du corps constitue par sa masse le lieu de tension maximale entre l’édification et la destruction, l’âpre ligne de vie osseuse et la mortification des courbes chamelles, la contexture et la fracture. Ainsi s’établit la ligne dernière de l’os-ruine, en guise de « mémento mori » [7].

L’écriture corrélative à l’économie politique de la force de travail vivante sera désormais contexture de failles, de perturbations, de fractures à mettre en saillance telle fémur qui se brise. Où il y a cohésion mécanique ou guerrière, interviennent les analogies du centre de gravité, selon Clausewitz [8]. Point « barique » obstiné, sans mouvement de transcendance possible vers un point "abarique", l’os qui n’est rien, selon le genou de Wieland dans La Patriote, que lumière conglutinée, "eingedicktes Licht", défendra un « théâtre de guerre » qui s’écroulera avec sa brisure terminale (GE 271, P. 252). Bien qu’il soit transit et non être-transité, "Übergehen", non "Übergegangensein" selon Hegel [9] cet agrès « dont la chair est l’acrobate » [10] — ne rompt là avec sa matrice, la vertèbre dorsale, que pour réfléchir la mort en elle-même, en inconstante expansion, réduction de l’ostéogenèse [11]. Pris de terreur à la vue de l’homme, telle la nature selon les Lehrlinge zu Sais de Novalis, l’os se serait-il ainsi pétrifié ? Avec les étoiles les plus lointaines, l’os minéral au plus près de l’essence étrangère de la pierre fait l’objet de l’exploration klugienne des zones de faiblesse, "Schwachstellen", aux passages les plus délicats de procès métaphoriques et allégoriques [12].

Le monde est pour Gartmann, « nazi de la science » de l’Inquiétance du temps et de la Puissance des sentiments, un cerveau-laboratoire en sa grande névrose, où s’affole la contexture ainsi évoquée par Gilles Deleuze :

« Le cerveau commande au corps qui n’en est qu’une excroissance, mais aussi le corps commande au cerveau qui n’en est qu’une partie. » [13]

La détresse de Gartmann trouve sa physionomie en un « homoncule sensitif » selon sa désarticulation somatotopique, avec ses immenses bouche et langue cérébralisées : « L’être humain poussant un cri », "Das schreiende menschliche Wesen", et « Articulation somatotopique du gyrus postcentralis chez l’homme », "Somatotopische Gliederung des Gyrus postcentralis beim Menschen" (UZ 601, 602). En narrateur délégué de Kluge, Gartmann reprend un dessin de Penfield et Rasmussen datant de 1957, diagramme en coupe verticale schématique du cerveau au niveau du cortex frontal que Kluge fera pivoter d’un quart de tour [14]. Mais la « vocalisation » lancée vers le ciel chez les deux biologistes se latéralise dans le cri dénaturé selon Gartmann ; la bouche crie à présent, en appelant à quelque dieu improbable (cf. UZ 398). De même, le recours salvateur aux vœux dans les contes rend transversales sur une « belle carte du cortex » les parties du corps du « Roi des grenouilles » écartelé, à incommensurable proportion de la surface de cortex impliquée (UZ 395). Le cerveau aspire toutes les parties du corps, tel le conte de Grimm détourné : l’hémisphère droit du cerveau semble se réfléchir dans l’hémisphère gauche et inversement, avec genou, épaule, poignet, main, doigt, pouce, visage, lèvres, mâchoire, orteils — immense cerveau, minuscule fémur. Le torse de grenouille cérébrale, « avec minuscules parties génitales » incorporées et « cuisses puissamment tendues » rejoindrait-il, « morceau par morceau, membre par membre », le « Torso » de l’Hercule du Belvédère jadis décrit par Winckelmann, le regard techno-allégorique de Gartmann transformant toute chose en une excitation d’écriture [15] ?

En quadruple contexture au « telos » scientifique unificateur — « nationalsocialiste », « marxiste », « socialdémocrate, « formateur d’adultes » — (UZ 398) Gartmann va cercler de force "Der Froschkönig oder der Eiserne Heinrich", avec son cœur fervent triplement cerclé d’acier, et ’’Die Schneekönigin" d’Andersen, avec le cœur en "metanoia" glaciaire réversible du petit garçon, le cœur de cristal igné de la petite fille. De ces deux contes fragmentés par billions de bits dans le miroir de Gartmann émanerait pourtant le cerveau, en « information ou esprit » de détresse, déployant ses connexions fantasmagoriques le long des lignes de fractures du nazi de la science jusqu’à ce que la fonnule votive — « aux temps anciens, dans lesquels les vœux portaient encore secours » / "in den alten Zeiten, wo das Wünschen noch geholfen hat" — vienne se pétrifier dans la bouche grand ouverte de l’« estance » humaine ainsi déchiffrée par F. Genscher, "Altphilologe" : « Les os morts de ces vœux lancent leur cri au ciel » / "Die toten Knochen dieser Wünsche schreien zum Himmel" (UZ 399). La grenouille se conforme désormais à la conformation ostéologique décrite par Goethe :

« Les longues pattes de la grenouille contraignent le corps de cette créature à une forme raccourcie, et le crapaud difforme est étiré en largeur selon cette même loi. »

"Die langen Beine des Frosches nötigen den Körper dieser Creatur in eine sehr kurze Form, und die ungestaltete Kröte ist nach eben diesem Gesetze in die Breite gezogen." [16]

CORTEX

Selon Histoire et entêtement, le cerveau, "das Gehirn", procède de l’un des trois facteurs d’une autorégulation dont la différenciation interne provoquerait l’inquiétude du concept, à l’instar de la détresse, "Not", seule à même de l’activer. Gartmann l’Ecartelé de la science va engendrer le diagramme des zones cérébrales par reflet inversé de la carte des zones glaciaires arctiques, pour le réengendrer sous forme de cuvette de Stalingrad en janvier 1943 (UZ 584-586). Il se retrouve ainsi en position de détourneur détourné de quelque Hanns Hörbiger, l’auteur de cette Glazial-Kosmogonie qui inspira plus d’un nazi [17] . Negt et Kluge remettent en jeu ces miroirs défigurants, par montage textuel et photographique, afin de creuser la différence entre le froid de glaciation qui se régulerait « pour soi » selon des lois humaines, l’homéostasie du corps humain, et « l’autorégulation spécifique du cerveau », étrange monade percée d’une lucarne, à l’encontre de celle de Leibniz qui n’en a nul besoin. En médiateur de l’extérieur humain, c’est-à-dire « la nature », et de l’intérieur humain, derechef « la nature », le cerveau serait la lacune d’entre-deux natures, d’abord hermétique, ensuite miroir du monde. C’est pourquoi l’autodétermination formelle du cerveau et les contenus qui le pénètrent à travers sa fenêtre paradoxale se révéleraient d’emblée « non-identiques » (GE 52). En ligne ascendante d’élémentarisation — plus on monte, plus il y aurait d’élémentaire — la cytoarchitectonie cérébrale respirerait la tension subjective, impulserait les sentiments, vivifierait pensée et travail sous la forme élémentaire des cercles de l’histoire générique (GE 238,236). En paysage industriel de l’esprit, le « travailleur global » formé par les méga-cerveaux se recueillerait en espace minéral métallique, circumbâti pierre après pierre, poutrelle après poutrelle, de même que le cerveau est seul, avec le cœur, à être enclos dans un réceptacle. « Le cerveau est obscur », "Das Gehirn ist dunkel", rétorquera Gartmann à son ami Alfred Schmidt, auteur historique du Concept de nature chez Karl Marx, qui le qualifiait de tête claire, "heller Kopf" (UZ 395 s.). Ainsi, le cerveau serait l’’’homo clausus" décrit par Norbert Elias dans son Über den Zivilisationsprozeβ [18]. Fusionnant les antiques métaphores presque épuisées du bateau et de la maison, il serait l’hôte choyé d’une « sommation » de toutes les sécurités cutanées qui préservent l’habitacle perceptif.

Au « Cahier 8 » de la deuxième partie d’Inquiétance du temps, « Le vice-amiral Dr. Cervix », cette Nouvelle Histoire se dispose entre les « Journées de l’Université Politique » à Francfort, « nombril de cette terre » selon Hölderlin et « Une faculté de représentation théorétique déficiente » (UZ 268-270, 260-268, 270 s.). Le 19 juillet 1936, peu de jours après le déclenchement de la guerre civile en Espagne, navire et maison endurent leur cérébration, "Zerebration", selon l’expression de Gottfried Benn. Celle-ci s’incarne textuellement en un pseudo-cohéreur, dispositif de détection des ondes radioélectriques à base de limaille de fer, qui maintiendra obsessionnellement la distance entre « l’instinct et l’écorce, entre l’intuition et le concept, entre la couleur et le nombre » [19]. Le cerveau se trouve un nom propre sous les espèces du vice-amiral franquiste, le "Dr. Cervix" — ’’Das Gehirn", ainsi retranscrit par le "narrator", en surnom d’un chef d’état-major de la marine espagnole. Ce "Befehlshaber" aurait-il un rapport avec Gonzàlez Francisco Javier Salas, vice-amiral né en 1871 à Madrid, qui fut chef de l’état-major central de l’Armada, chef de la commission européenne de marine, "Gentilhombre de Camara" du roi Alphonse XIII ? Selon le narrator, Cervix n’a quitté son édifice de fonction qu’une seule fois, pour prendre langue avec Franco et les autres conjurés aux îles Canaries en avril 1936, à bord du vaisseau amiral. La terre à peine maritime, insulaire de Cervix insurgé mais immobile et la terre-mer des marins prolétaires en "locus standi" kantien hautement mobile s’affrontent tels le cerveau-proie défensif et le cerveau prédateur offensif du « commandant en chef rabougri », cerveau entouré d’éclats d’os comme « parois de caverne » (GE 712 ss., UZ 396). Ainsi se scindent les hémisphères des marins et de l’amiral, se fracturent les contextures de latéralité du système nerveux central — sans ouvrir une issue pour les marins, en dépit du présent absolu de leur révolution, suivant l’événement mûrissant, éclatant de la « Nouvelle Histoire » de Kluge — enfouissant toute issue pour le vice-amiral contre-révolutionnaire. Les conseils de matelots de la flotte espagnole, qui mettront à mort les officiers insurgés lorsqu’ils s’obstineront à mettre le cap sur les ports en état d’insurrection, parcourent le cerveau-proie tout au long de leur corps, « selon l’axe céphalocaudal de la moelle épinière », siège de la force vitale dont participerait l"’aiôn" homérique de bataille [20] — Le sous-officier Balboa, l’une des figures historiques non-cryptées, avec Franco, Volckers et Woermann (UZ 270), intercepta puis interrompit les communications entre l’état-major de la marine et les insurgés. À l’instar de cette figure fictionnelle de "Vizeadmiral Dr. Cervix", les marins activent leur « carapace de douleur virtuelle » (René Thom) par autolocomotion sur les « corps de navires », indéchiffrables pour le monde-chiffre cortical du docteur Cervix, figure-titre du narrator. L’encéphale marin localise l’image des corps ; l’homoncule de la somatotopie démesurée du roi des Grenouilles se mesure à l’empan de l’espace-temps du monde. La substance blanche de la moelle épinière nourrit, protège le « réseuil », réseau et seuil selon Lucien Sfez, contexture défensive du cerveau, et la colonne vertébrale. Or, le cerveau prédateur Cervix est retranché, localisé dans un encéphale aux chétifs prolongements névralgiques continentaux tout juste capables d’esquisser la figure d’une action combinée, "Zusammenwirken", de la flotte et de l’armée de terre (UZ 268). Le vice-amiral, inapte à déchiffrer, interpréter tout mouvement marin qu’il ne percevrait pas comme la queue de comète de son cerveau, tente d’intervenir « téléphoniquement, radio-télégraphiquement », mais en vain.

Le repos du cerveau va servir d’attracteur ponctuel simple à Cervix en tant que son mouvement optimal. Ce repos même provoquera sa mort. En véritable cerveau de la métropole, cité matricielle, il perçoit l’ouverture de sa monade d’’’homo clausus" sur la flotte qu’il commande comme la pure réduplication en reflet cristallisé de sa matière cérébrale grise et blanche :

« Après sa visite dans les parages nautiques des Canaries, l’amiral mit le cerveau au repos, en ce qu’il demeura dans ses bureaux. La flotte se trouvait avec ses parties essentielles dans la rade de Tanger, en un repos analogue à celui du cerveau de son conducteur, à l’image de son cortex, à l’intérieur des navires seulement, recherche de nourriture, travaux de réparations, va-et-vient. »

"Nach seinem Besuch in den Kanarischen Gewässern stellte der AdmiraI das Hirn ruhig, indem er in den Amtsräumen verblieb. Die Flotte lag mit ihren wesentlichen Teilen auf der Reede von Tanger, in ähnlicher Ruhe wie das Hirn ihres Lenkers, Abbild seines Kortex, nur im Inneren der Schiffe Nahrungssuche, Reparaturarbeiten, Hin und Her." (UZ 268)

Ainsi s’inverse chez Cervix la somatotopique du roi des Grenouilles : au lieu que les parties du corps périphérique se localisent sur l’écorce cérébrale, c’est le cortex qui conduit leur localisation dans le corps de la flotte. Avec l’inhérence de l’amiral à ses espaces de bureaux, "indem" engendre la nature morte inhérente au repos de la flotte dans son enclos d’appositions, juxtapositions. Ici semble s’opérer cette même accrétion accompagnée d’un évidement interne qui caractérise, aux dires du genou nomade du caporal Wieland dans La Patriote la formation des os sédentaires privés de mouvement rotatoire. L’extériorité de Cervix n’est plus ni organe, ni langage, ni signe, mais « chose morte » en qualité d’effectivité externe et immédiate de l’esprit : la raison observante de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel reconnaît dans l’esprit un os [21]. En tête osseusement rétrécie de l’état-major, le Dr. Cervix, immobile, brandit le bâton de maréchal pétrifié, "Stab", ce phénomène-bâton antérieur à toute écriture, incapable de s’agencer avec d’autres baguettes, de même que ne s’adaptent plus guère les milliers de « bâtonnets gris » rétiniens d’Ernst K., âgé de quatre-vingt-quatre ans, lorsqu’il lève la tête vers le réverbère allumé avant de s’engager dans l’obscur escalier de granit, selon des frayages connus de lui seul (UZ 129).

La nouvelle du soulèvement de Madrid, le 19 juillet 1936, n’excite pas Cervix au point de le soustraire à son étrange attracteur de repos cérébral. Sans croissance ni diminution, sans mutation de blancheur en noirceur, sans déplacement cinétique d’un lieu à un autre, ni genèse ni disparition, le cerveau vice-amiral tente d’opérer une "metanoia" par transcodage anté-thermodynamique des corps de la flotte, sans mettre en pression, "ohne Dampf aufzumachen". L’action à distance d’une parole microénergétique décrit le parallélisme allitérant, iconique d’impulsions électriques d’avant la machine à vapeur, « à l’aide de communications téléphoniques et radio-télégrammatiques », "mit Hilfe von Ferngesprächen und Funksprüchen". Cette transmutation de metanoia changerait l’essence de la flotte en vertu d’une métaphonie, "Umbenennung", au sens de Walter Benjamin, levant l’innommable « vrai nom » de la flotte qui reposait au fond du cerveau. Or, le pavillon de pirate que hisserait l’amiral de l’Armada, en donateur du nom et du titre "Dr. Cervix", le narrateur l’a d’ores et déjà hissé à même le cerveau. C’est pourquoi le nom du vice-amiral est triplement fracturé. D’abord, le ’’vix’’ latin de lieutenance et d’alternance, au génitif "vicis", fend le nom d’amiral, avec son origine arabe — « le très grand émir » — tout en rimant virtuellement avec le nom propre "Cervix". Puis, entre le vieux mot latin "cervix", nom-surnom du vice-amiral, et "das Gehirn", le surnom allemand en synecdoque de la partie pour le tout d’un corps effacé, se fracture la partie postérieure du cou, ces "cervices" que l’on étranglait, le "cervix" offert à ceux qui frappent, cette langue de terre plurale qui fourche la mer — telle est la violence de contexture du col du cou. Entre le latin médical et le cerveau se rompt enfin "cervix", le col de l’utérus, au détroit de Gibraltar, à l’isthme matriciel des ports de guerre au sud de l’Espagne, au nord du Maroc : Cadix, Melilla, Carthagène, Ceuta que chercheront en vain à atteindre les officiers franquistes insurgés — telle est la violence de contexture du col de l’utérus.

À l’encontre de Cervix, cerveau sans bouche, les marins républicains espagnols s’abouchent, "mündig", par conciliabules des « fleurs de la bouche » semblables à la "Blume des Mundes" de "Germanien", chant national de Hölderlin. Pour Kluge, être "mündig", c’est écouter et parler en « effet latéral d’atours multilatéraux », "als Seitenwirkung vielseitiger Zuwendungen" (GE 1000). À mesure que les conseils de matelots mettent à mort les officiers rebelles, les noms des vaisseaux lancés à pleine vitesse dispersent le nom en matrice involuée du vice-amiral : Cervantes, Almirante, Cerveira, Espafia, Jaime Primeiro, Schorruca, Almirante Valdez, Sanchez Barcaiztegui. Gonzalès Salas, la figure historique qui donna son cerveau au scripteur, commanda en son corps propre le vaisseau "Cervantes", qui devint le navire de proue des marins républicains.

Un télégramme rétrospectif fracture le temps narratif du "Dr. Cervix". Adressée par Völckers, conseiller de l’ambassade d’Allemagne à Madrid, au légat Woermann de la section politique du Ministère des Affaires Étrangères à Berlin, cette missive incruste dans l’Espagne la violence de contexture du cerveau national-socialiste. En ce point du temps, elle aménage une mortelle cavité textuelle dans le "cervix", dont le temps rétrospectif s’amasse sur son être-mort :

« "Le Cerveau" gisait, en ce point du temps, enfoui dans un jardinet à fleurs incorporé au Ministère de la Guerre ; n’étant plus irrigué par le sang, il avait ’oublié’ tous les plans. »

"’Das Gehirn’ lag zu diesem Zeitpunkt verscharrt in einem Blumengärtchen, das dem Kriegministerium einverleibt war ; nicht mehr von Blut durchflossen, hatte es alle Pläne ’vergessen.’" (UZ 270)

Nulle fleur n’a été décervelée, au creux de la « décision capitale » prise en 1936, en un trou temporel où Gonzalès Francisco Salas fut fusillé en novembre par les Républicains espagnols à Parcuellos de Jarama, tandis que Cervix était enfoui sans sépulture. Si le "locus amoenus" du jardinet s’enveloppe charnellement dans le Ministère de la Guerre, le cerveau à l’os décharné de Cervix n’avait pas compris qu’il y a « pas moins de pensée dans le corps que de choc et de violence dans le cerveau » [22]. N’étant nulle part ailleurs qu’en ce point du temps, en cet extrême cortex en non-représentation d’écorce terrestre, le col-cerveau de Cervix est en disproportion du nœud hégélien-klugien des proportions de mesures, "Knoten der MaßverhaItnisse". Au mois de mai 1977, balayé par le radar cérébral et ostéologique du chercheur de justice Bieske (UZ 407 ss.), le cervelet de Sonnenberg grièvement blessé, membre de la RAF capturé dans le sud de l’Allemagne, s’abouche avec la tête de radar fortement grippée de Bieske, laissant s’écouler sur une prairie fleurie de dent de lion jaune, de blanche cardamine, de cerisiers au bord du lac de Singen, son liquide cervical en plasma globulaire. Non loin de là, les insurgés de la Guerre des Paysans s’étaient fait briser les os jusqu’à la terreur de la moelle.

En mai 1968, à Francfort, lors des « Journées de l’Université Politique », le cerveau par excellence pour Alexander Kluge, c’est le cerveau-monde des formes de la contexture, Theodor Wiesengrund Adorno (UZ 295). Ce théoricien-praticien de la dialectique des Lumières met son cerveau au repos absolu, en « position d’ultime retrait » sauvegardée par l’écran de ses oreilles, tandis qu’il est assis au premier rang à droite, entre Enzensberger et Böll, lors d’un débat public dans le grand auditorium du "Hessischer Rundfunk". Lui qui projetait un ultime ouvrage, Kälte, il hiberne dans la canicule intellectuelle estudiantine, à l’abri de la « chose cavitaire » dans la salle émettrice-réceptrice. Comme une personne qui se noie accidentellement, réduisant à l’extrême les fonctions de ses organes vitaux pour se sauvegarder, Adorno se sauvegarde précairement des nazis de 1938 et de la « totalité sociétale » sous forme de « frigidaire hautement qualifié ». « Une subite inspiration concentrationnaire en détresse estivale, travail de deuil », ’’Ein KZ-Einfall in der Sommernot, Trauerarbeit" surexpose allégoriquement les chatons nouveaux nés d’une "Wohngemeinschaft" au froid absolu du réfrigérateur, dont l’un réchappera en « jeune mutante » aux « nerfs olfactifs » détruits. C’est là l’un des anachroniques « Jugements de dieu » qui peuplent le scriptorium de Kluge (UZ 180).

En cortex de la ville-matrice nazifiée, Prague, le parfait métrologue SS Madloch transplante sa calotte glaciaire d’Apocalypse technologique au camp de concentration annexe de Langenstein-Zwieberge. Ce praticien aveugle du cerveau-machine vient se juxtaposer en monceau de ferraille concassée, "Schrottstück", à Gartmann, doctrinaire-visionnaire d’une cytoarchitecture glaciaire par détresse néguentropique, au défi du « principe d’entropie » de la nature inanimée. Espère-t-il trouver dans la masse amorphe du cerveau l’aire glaciaire toujours intacte qui lui apporterait un jumeau surgi du genu-genus du roi des Grenouilles dédoublé à même la coupe transversale du cortex [23] ? Madloch et Gartmann, sous la pression des bords de la calotte glaciaire-crânienne, vouent leurs parties corporelles à la glace paradoxalement ignée :

« D’où viendra la prochaine ère glaciaire ? Rien à voir avec le temps qu’il fait. Mais : "quelque chose viendra. Il faut la reconnaître". Le "froid", principe central ne consistait pas nécessairement en glace ! Mais sans lui, personne ne souffre. »

"Von wo kommt die nächste Eiszeit ? Hat mit dem Wetter nichts zu tun. Aber : ’Etwas wird kommen. Man muβ es erkennen’. Das Zentralprinzip ’Kälte’ muβte ja nicht aus Eis bestehen. Aber ohne sie leidet keiner." (UZ 394)

De l’’’Unterschenkel’’ à l’’’Oberschenkel’’

Des histoires sans sur-concept, "Oberbegriff", dont Kluge dit ne pas concevoir toutes les contextures (UZ 9), se désossent de bas en haut, en renversement de la « Stratégie d’en haut », en parodie de la « Stratégie d’en bas » d’une institutrice qui cherche à préserver sa « couvée » des automates célestes. Dans Cours de vie, le juge Korti nommé non sans dérision « serviteur du peuple », voit en 1961 ses deux membres inférieurs, "Unterschenkel", brisés par un véhicule qui cause sa chute au moment même où Korti s’approche du lieu d’un accident. Avec ses tibias et péronés se fracture le corps du Centaure en concrescence de justice, laissant transparaître un instant la « fin de toutes choses » en guise de « paix perpétuelle ». Mais l’Apocalypse se referme, repoussant la fin de Korti, dont les 8 fragments d’os brisés se ressoudent au plus proche d’un lointain de plus en plus lointain (LL 217). Hinrichs le Lambin, "der langsame Hinrichs", jeune chercheur à l’Institut de Recherches en Sciences Sociales de Francfort, qui s’acharne à repousser loin de lui ses « homonymes », se brise un fémur, "Oberschenkel", au moment d’atteindre le but d’une descente à ski, à l’instant même où l’image de sa sœur lui était apparue avec soudaineté, "plötzlich", alors que cet "Aufsteiger" travaille sur les cours de vie d’autres aspirants à l’ascension sociale (UZ 172-175). Madame Zacke, qui monte la garde en haut du clocher de l’église Saint-Martin de Halberstadt, glisse vers le bas en même temps que le soubassement des marches, à travers une colonne de fumée, lors du bombardement par les Alliés le 8 avril 1945. Parvenue en bas, elle « remorque » le bas de son corps, "Unterkörper", au fémur brisé, "Oberschenkel", en contrebas de l’incendie, "unterhalb" ; dans l’attente du sauvetage, son fémur se tourne vers l’extérieur, exacerbant sa latéralité constitutive, sa supériorité de masse d’armes osseuse tirant madame Zacke vers le bas. Une fois sauvée par les réfugiés d’une chapelle latérale, sa fracture, à défaut de se rabouter par rapprochement de morceaux, s’immerge dans un nouveau Tout qui les fera, en dépit de leur distance, tenir ensemble [24]. Martha Glaube, gorgée de calcul, gouvernante d’enfants de veufs, a fini par épouser Monsieur Knoch, os radical. Elle est alors frappée par la violence d’une contexture, de bas en haut ; en une série de brèves phrases parataxiques et asyndétiques, elle subit, entre l’Avent et l’avènement de l’Avent, une foulure du pied, une hydropisie de la jambe et une fracture du col du fémur, consommant la rupture de l’os conjugal (LP 137-148).

VERTIGO

Le cas du Docteur en Médecine Ernst K. de Halberstadt, qu’un « je » ou « nous » en lieutenance de narration désigne comme le père d’Alexander Kluge, se noue en parfait accident du col du fémur, "Oberschenkelhals". L’architectonique du cerveau et la mécanique du squelette se relient en un "Geschehen" temporalisé en "Geschichten" à travers la configuration d’attraction de l’hémisphère droit du cerveau et le col d’un fémur dont le côté reste innommé. Les « rayons de monde » au sens du « Visible et l’invisible » de Merleau-Ponty, émanés des mouvements de Ernst K., dont le mal est une seule fois, tardivement nommé — « Parkinson » (UZ 327) — sont happés par la maladie maligne, "tückische Krankheit" : "Tücke", "tuc" en moyen haut-allemand, est frappe, poussée, mouvement rapide, coup rusé (Duden, Étymologie). Dès lors, Ernst K. est doublement exposé, au cerveau et à l’os. Le fémur, cet être en ruine dès sa naissance, selon le genou du caporal Wieland, serait le nom du temps même, entre "Heimtücke" et "Heimat" des membres — la sournoiserie qui se terre et le terroir (P 250). Les ultimes « feuillets d’être » de Ernst K. se morcellent sous le « point barique » du sens ominal de la coïncidence du col et du site noir cervical. Voué à la stabilité absolue, qui le ferait tomber à chaque geste, Ernst K. est dénué de l’instabilité en constant équilibre-déséquilibre qui permet le mouvement et le rythme. L’hémisphère droit en perdition, roi des Grenouilles-Homoncule-Homme au cri, contre lequel l’hémisphère gauche intact mène une lutte désespérée selon le narrateur, est mis en intrigue sous l’impulsion d’un advenir apte à déjouer toute correspondance univoque entre « réactions électroniques survenant au niveau du cerveau » et « phénomènes de l’esprit ». Pourtant, l’hémisphère gauche, langagier et mathématique, ne renonce pas à perlaborer le restant du monde — en violent déni de contexture avec la « protubérance hémisphérique de la tête du fémur qui pivote à la perfection à l’intérieur d’un habitacle concave du bassin ».

Tels trois plateaux de rhizomes, ou trois facettes d’œil de mouche, trois Nouvelles Histoires d’Inquiétance du temps entrent en lointaine connexion de cours de vie : « Parlons de la mort » (UZ 125), « Expérience acquise des mouches de juin » (UZ 245), « Classe 1892 » (UZ 317-334). La raison narrative fractale du fils de Ernst K. ne retrace guère la genèse et l’évolution d’une maladie de Parkinson dont le destin médical serait scellé par l’irrémédiable aggravation de « symptômes ». Le narrateur-observateur en travail de deuil se montre à travers une anatomie d’image-temps qui ressusciterait le spectateur devenu tierce image invisible. Il renouerait ainsi avec l’anatomie de Rembrandt, là où des siècles de médicalisation l’avaient pourchassé pour laisser tout le champ iconique aux organes et ossements sans corps. Ainsi perdure en autopsie de "Mortevie" le baron von Totleben, qui édifia la forteresse de Sébastopol imprenable, indestructible [25].

Happé par la violence de l’événement narratique irréversible, le vieil homme est encore animé par la volonté de crypter crépusculairement les stigmates d’une contexture dans les ligaments de laquelle ce qui lui advient serait à chaque fois préfiguré [26]. Latéralement à la guerre, à la paix, le vieil homme en adieu moléculaire s’adonne à une micro-mathématique de la résistance. Vieillir reste un décharnement [27], mais son propre acharnement à l’“autokinèse’’ va le frapper sur le site « non cinématique », à l’ossature d’étai qui ne tolère nulle indéterminéité de la contexture : le fémur (P 247, "Über die Ich-Struktur von Knochen"). L’« akinésie » du malade de Parkinson et l’« acinématique » du fémur de Kluge vont multiplier l’une par l’autre leur puissance et vitesse de prédation. Telle serait une "kinesis" épocale désentravée, dépourvue des mécanismes inhibitoires qui font de la montre une montre.

« Expérience acquise des mouches de juin », avec sa situation d’arrivée à peine différente de la situation de départ, renvoie en plan fixe, pris de face, au cinéma des premiers temps, qui persiste cependant dans la durée, entre le geste ultra-rapide des mains tremblantes de Ernst K. et la perception encore plus rapide de la mouche aux mille facette qu’il voulait écraser. Une telle nature morte à la mouche fige l’Odyssée de l’expérience de la conscience. Dans « Classe 1892 », une série de transformations vertigineuses happe, à même les abruptes marches de granit qui conduisent chez Ernst K., l’arbre qui verdit, abattu jadis par sa femme Alice – « blanc estoc » (UZ 123-125). Elle a déclenché, à des décennies de distance, la destruction de racines de lierre, la réduction de substance noire dans le site noir du tronc cérébral, la découpe de l’armature métallique du vaisseau-maison où Ernst K. livre son dernier combat (UZ 127, 328).

Le vieux médecin se meut en ligne droite ou circulaire, sur fond sans cesse anticipé de rumeur cérébrale, vers le cristal brisé de son os. Sa course d’« écureuil » engrangeur de cadeaux, entre le jardin d’hiver et le garde-manger, déclenche les pleurs de Gisela, qui pourrait être sa petite-fille :

« Gisela éclata en sanglots. Pourquoi tu sanglotes ? Parce que ce vieil homme s’est mu si rapidement à travers les espaces. »

"Gisela heulte los. Warum heulst du ? Weil sich dieser alte Mann so rasch durch die Räume bewegt hat." (UZ 125)

En chronophotographie transparaît le docteur Parkinson, découvreur de cette maladie qu’il appelait « paralysie agitante », avec sa « propension à faire pencher le tronc en avant », à faire « passer de la marche à la course, sans altération des sens ou des facultés intellectuelles » [28]. Le narrator œuvre par dédoublement de "gleich", en balancement d’équilibre et de déséquilibre. Celui qui est condamné à l’anticipation perpétuelle de son cas, de sa chute, de son accident, se fait aspirer vers l’avant par le préverbe "vor", lorsqu’il fraie ses ’’Trampelpfade’’, semblables aux sentes serpentant parmi les ruines de Halberstadt après le bombardement (UZ 102) :

« L’accélération de la course, il tentait de l’équilibrer par un art de l’équilibre, en penchant le corps en avant. »

"Das Schnellerlaufen versuchte er durch Vorbeugen des Körpers und eine Kunst des Gleichgewichts auszugleichen." (UZ 126)

Pour Gisela, la vie se met entre guillemets ; vivante, elle s’appelle mort ; morte, elle s’appelle vie. Dans le lointain tressaille à travers les hauts espaces de la villa, "hohe Räume", le plan kantien de quelque Providence.

Celui dont les cinq sens ont dû abdiquer leur puissance primégène selon Kluge —distinguer le chaud du froid — use son sens propre obstiné à retarder deux saisons encore le heurtement de la pierre d’achoppement granitique, en reliant les lieux-dits par cette trajectoire à la fois cursive et pétrifiée, dont Gisela exprime à deux générations d’intervalle l’inquiétance dromologique. L’écriture klugienne mime à l’extrême la subsomption explicite de tous les mouvements sous un corps qui n’est plus cette loi efficace de ses propres changements, les parties du corps se désenveloppant l’une après l’autre (Merleau-Ponty). Ernst K. semble devenu ce corps galiléen dont la direction est désormais dans l’espace. Mais par forçage de mouvement, la ligne peut redevenir vecteur, le point, centre de forces.

La violence de la contexture s’enroule en vrilles de plus en plus acérées autour d’un deuxième mouvement conjurateur de chute. "Erfahrenheit der Junifliegen" expose dans sa détresse l’état d’extrême expérimentation de Ernst K., son absolu processus d’apprentissage à issue mortelle ; la marche rythmée se transmue en course effrénée, les « possibles » révolus de l’arrêt suspensif s’incurvent en voltes acrobatiques. À la malignité d’un temps où l’après-chute précède l’avant-chute répond la danse de mouche en spirale, souvenance de l’antique, parfait mouvement circulaire, arbre en surgeons des Sonnets à Orphée de Rilke, "tönender Baum" de Novalis, qui auraient pris pour nom « pirouette » (UZ 245). La condition du mouvement salvateur, l’esquisse de chute, n’est pas encore remplie, que sa conséquence s’accomplit corporellement, alors qu’elle supposait la préséance de la chute. L’évènement réversible d’une chute bien compensée et l’évènement irréversible de la chute terminale peaufinent la figure du violent cercle de contexture.

Dans "Reden wir vom Tod", quatre tours autour de la "Bismarckplatz" de Halberstadt en vue de rétablir le tonus musculaire rapprochent la destinée du docteur Ernst K. du vaisseau de ligne Bismarck, livré soit aux cercles complets sans flux ni reflux, soit à la ligne droite où aucun espace n’entre en résonance avec aucun temps de retour odysséen après avoir essuyé les torpilles britanniques (UZ 471-473). Le docteur, qui fut artiste ès forceps, artiste ès papilles de la langue, "Zangen-künstler", "Zungenkünstler", s’est mué à son corps défendant en artiste ès chutes, "Sturzkünstler" (UZ 324-326). Comme dans Vertigo de Hitchcock, l’iris de l’œil se fait spirale, s’élargissant par profondeur de champ, au générique [29], la spirale de Ernst K. surgit de l’obscur, aveugle escalier de granit, au sortir de la lumière du lampadaire, par vertige de torsion, tour de vis et saut de chat (UZ 126 s.). Deux chronosignes viennent s’encastrer ici l’un dans l’autre, tels que les distinguait Gilles Deleuze :

« …/… d’une part le temps comme tout, comme grand cercle de spirale, qui recueille l’ensemble du mouvement dans l’univers ; d’autre part le temps comme intervalle, qui marque la plus petite unité de mouvement ou d’action ». [30]

"Jahrgang 1892" perd en 1976 la physionomie de sa date calendaire, puisque se perd jusqu’à l’alternance formelle de saisons déjà défuntes, printemps, été, automne (UZ 201 s.), pour faire place à une alternance d’excès en sens inverse l’un de l’autre, ’’Tag für Tag zu kalt oder zu heiβ » / « jour après jour, trop froid ou trop chaud » (UZ 327). Toute température oubliée, l’expérimentation obstinée se heurte à la rigidité contextuelle de ses défenses, contre un bombardement météorologique aux cibles aléatoires ; chez le vieil homme, la montée aux deux extrêmes, cinétique et calorique, se fait irréversible et potentiellement infinie, puisque le rafraîchissement saisonnier l’a abandonné. La seule limite est alors celle du Harz, entre l’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest. Dans sa maison, Ernst K. se tient assis « comme sur un vaisseau de combat » (UZ 328), retranché de la contexture familiale et nationelle, envers lesquelles il a perdu son homéostasie. Un samedi de novembre, Ernst K. a entrepris de rassembler les feuilles mortes de son jardin puis de les disséminer parmi les passants qui les piétineront. Dans la pénombre qui précède le repas du soir, Ernst K. court encore une fois au devant de soi-même auprès de son dîner. Mais incapable de s’atteindre, entre jardin et cuisine, il heurte non pas l’escalier de granit, mais la dalle d’achoppement qui empêche d’emblée la terre d’aller au pied. Ernst K. va à la chute que ne peut conjurer sa seule main gauche désormais retranchée de son corps, en membre-branchage de frêne étêté :

« Il s’ensuit une main blessée, le coude traversé d’une douleur violente, et il gît. Cela, il ne le pardonna jamais à sa gauche, qui plus tard resta atrophiée et raide ; après l’accident, il ne voulut en aucune manière renouer connaissance avec elle ou l’adopter comme son propre membre. »

"Die Folge ist eine verwundete Rand, heftiger Stichschmerz im Ellenbogen, und er liegt. Das verzieh er der Linken nie, und sie blieb später verkrüppelt und steif, er wollte sie nach dem Unfall gar nicht wieder kennenlernen oder als eigenes Glied annehmen." (UZ329)

La gaucherie de la main gauche, blessée, mais sans que l’avant-bras se brise en une fracture de Pouteau-Colles à 2,5 cm au-dessus de son articulation avec le poignet [31], se propage jusqu’à ce point de catastrophe où Ernst K. ne peut plus mettre le restant du temps de son côté, car il est enfoncé sur son flanc par le différentiel de durée entre la pensée inachevée — se lever, et le mouvement soudain qui a précédé cette fin. La fracture du col du fémur suivra les deux courbes décrites par le lever de Ernst K. et sa glissade, ligne brisée par une latéralité jadis salvatrice, à présent meurtrière :

« Tandis qu’il se levait encore du fauteuil, il retomba aussitôt latéralement. »

"Während er noch vom Sessel aufstand, fiel er sogleich seitlich hin." (UZ 329)

Sa triple latéralité, passée, présente, future, est prise dans un « rayon d’être » devenu mortel : le regard latéral qu’il lançait, sur un photogramme avec « femme, chien, enfant » (UZ 325), au "teleion" de son cours de vie [32], sa chute latérale hors de son fauteuil, et le paysage de rivière avec orage menaçant, latéralement présent, « à ses côtés », lorsqu’il sera immobilisé dans son lit à son retour de la clinique, à la "teleutè" de sa vie (UZ 330).

ÉPILOGUE

« La brisure du col du fémur tue les vieillards parce qu’elle retire la mobilité du corps, mais surtout parce qu’elle tue la "fluidité" du mouvement » [33]. De "Fall" en "Unfall", cet accident du cas d’Ernst K., auquel il survivra un certain temps, « spolié de son dernier été » (UZ 327), achèvera le huitième jour de la Création, le jour de la chute d’Adam. Selon Jacob Taubes, ce récit comprend « tout ce qui était le cas, ce qui est le cas » [34]. Si l’histoire est bien prédicat de la Révélation, la loi martiale du Jugement se dévoilerait comme le contenu de ce prédicat. La ligne âpre du fémur d’Ernst K. serait alors dressée en machine à prendre par le col, sous la loi de stance martiale, "Standrecht", en métastase des cas multiples du Théâtre des marionnettes de Kleist ; l’ellipse du tour de main du montreur se serait transformée en la double hyperbole qui voisine avec le col du fémur du docteur Ernst K., du cortex-col de l’utérus du Dr. Cervix [35]. Les hémisphères intacts du vice-amiral sont pourtant oubliés par le corps qui « fait du sang qui fait du corps qui fait du sang » [36]. Dans le fémur, nulle flûte en os d’homme ne sera taillée, percée de quatre trous. Ce fémur ne se prête pas davantage à « l’union hypostatique » claudélienne, « cet AUTRE FÉMUR sur lequel, nous dit l’Apocalypse, sont inscrits les mots : Roi des rois, Seigneur des seigneurs » [37]. L’obstiné genou du caporal Wieland, échappé des Chansons de gibet, Galgenlieder de Christian Morgenstern, s’acharne dans La Patriote sur l’os, qui se réduirait à l’être pur, condamné à adhérer au sol, point faible « barique » soumis à tous les rapports gravitationnels de la contexture. Or, le genou s’éprouve comme l’entre-deux mouvant de la relation — "da ich verbinde und nicht bin" (P 248) — au voisinage du « point abarique » destiné à se confondre avec le « point nucléaire » du Jugement Dernier lors de l’’’Apokatastasis panton", le rapatriement de tous [38].

Dans ses « Réflexions simples sur le corps », Paul Valéry résolvait à sa manière le « Problème des trois corps » cher à Henri Poincaré :

« Tes images, tes abstractions ne dérivent que des propriétés et des expériences de tes Trois Corps. Mais le premier ne t’offre que des instants, le second, quelques visions , et le troisième, au prix d’actes affreux et de préparations compliquées, une quantité de figures plus indéchiffrables que des textes étrusques. Ton esprit, avec son langage, triture, compose, dispose tout ceci ; je veux bien qu’il en tire, par l’abus de son questionnaire familier, ces problèmes fameux ; mais il ne peut leur donner une ombre de sens, qu’en supposant, sans se l’avouer, quelque Inexistence, dont mon Quatrième Corps est une manière d’incarnation. » [39]

Chez Kluge, le premier corps serait l’espace d’instants vertigineux d’Ernst K., le temps des communications retranchées de Cervix. Le deuxième corps serait ce vieil homme sur un instantané aux ombres floues captées par l’appareil photographique — l’homme qui « ne consent pas d’être cette ruine » (Paul Valéry), la flotte du vice-amiral Cervix, dans laquelle son cortex se projette illusoirement . Le troisième corps serait fait des gestes disséqués et calculés par Ernst K., des plans stratégiques déjoués, puis effacés, de Cervix. Et le Quatrième Corps, « Corps Réel », « Corps Imaginaire », « relais des relais » selon Valéry, serait-il l’image invisible de « Recherche amblyologique selon Beate G., Docteur en Sciences Physiques », "Schwachstellenforschung nach Dr. sc. nat. Beate G." (UZ 207-216) ? Beate G. pénétrera-t-elle ce Quatrième Corps au sortir du « trou noir de la taille d’une épingle » qui aurait traversé la terre en 1908, venu de la « phase primé gène de la genèse du monde » ?

N.B. Sigles renvoyant aux ouvrages de Alexander Kluge (et Oskar Negt) :

GE = A.K., Oskar Negt, Geschichte und Eigensinn, Frankfurt a.M. : Zweitausendeins, 1981.
UZ = Neue Geschichten. Heft 1-18. "Unheimlichkeit der Zeit", Frankfurt a.M. Suhrkamp, 1977.
LL = Lebensläufe. Anwesenheitsliste für eine Beerdigung, Frankfurt a.M. Suhrkamp, 1974.
LP = Lernprozesse mit todlichem Ausgang, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1973.

Notes

[1Cf. G.W.F. Hegel, Vorlesungen über die Philosophie der Religion, Bd. I, in : Hegel, Werke in zwanzig Bänden, 16, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1969, p. 145 ; Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris : Éditions de Minuit, 1985, p. 20 s. Sur la « catégorie » de contexture chez A. Kluge, cf. Guntram Vogt, "Augsgrenzungen, Trennungen, Zusammenhänge und der Sinn", in : Alexander Kluge, hg. von Thomas Böhm-Christl, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1983, p. 167-189 ; Rainer Stollmann, "Zusammenhang, Motiv, Krieg", in : Alexander Kluge, hg. von Heinz Ludwig Arnold, = Text + Kritik n° 85-86, janvier 1985, p. 82-102 ; David Roberts, "Die Formenwelt des Zusammenhangs. Zur Theorie und Funktion der Montage bei Alexandex Kluge" Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, 12, 1982, p. 104-119 ; Rudolf Kersting, Wie die Sinne auf Montage gehen. Zur asthetischen Theorie des Kinos/Films, Basel-Frankfurt a.M. : Stroemfeld/Roter Stem, 1989, p. 136-152.

[2Cf. Arnould Moreaux, Anatomie artistique de l’homme, Paris : Maloine, 1975, p. 79-82, p. 260-286 ; Les Merveilles et secrets du corps humain, ouvrage collectif présenté en France par le Docteur Alain Senikies, Éditions du Reader’s Digest. 1987, p. 160-182 ; Paul Bellugue, À propos d’art de forme et de mouvement, Paris : Maloine, 1967.

[3Wilhelm Dilthey, Der Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften, Stuttgart-Göttingen : Teubner / Nandenhoeck & Ruprecht, 1962, p. 197.

[4Ibid., p. 199.

[5Geschichte und Eigensinn, p. 253-257.

[6Cf. Martin Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen : Max Niemeyer Verlag, 1977, p. 373 (§ 72).

[7Cf. Hartmut Böhme. "Das Steinerne. Anmerkungen zur Theorie des Erhabenen aus dem Blick des ’Menschenfremdesten", in : Christine Pries. Hg., Das Erhabene. Zwischen Grenzerfahrung und Gröβenwahn, Weinheim : YCH (Acta Humaniora). 1989. p. 119-141. ici. p. 128 s.

[8Carl von Clausewitz. Vom Kriege, hg. von Werner Hahlweg. 1973. p. 809 s.

[9G.W.F. Hegel, Enzyklopädie der philosophischen Wissenschaften, Bd. II. Philosophie der Natur, éd. cit (cf. n° 9), p. 439 (§ 354).

[10Gilles Deleuze. Francis Bacon, Logique de la sensation, Paris : Éditions de la Différence. T. 1., 1996 (3), p. 20 s.

[11J.W. Goethe. "Erster Entwurf einer allgemeinen Einleitung in die vergleichende Anatomie. ausgehend von der Osteologie", in : Goethes sämmtliche Werke in sechsunddreβig Banden, 32. Bd., Stuttgart : Cotta’sche Buchhandlung. 1868. p. 196 s.

[12Hartmut Böhme, art. cit. (cf. n. 7), p. 136 s.

[13Gilles Deleuze, op. cit. (cf. n. 1), p. 267.

[14Marc Jeannerod, Le cerveau-machine. Physiologie de la volonté, Paris : Fayard, 1983, p. 86.

[15Cf. Walter Benjamin, Ursprung des deutschen Trauerspiels, Gesammelte Schriften, hg. von Rolf Tiedemann, 1972 ss., I, l, p. 352. Manfred Schneider, "Der Barbar der Bedeutungen : Walter Benjamins Ruinen", in : Ruinen des Denkens Denken in Ruinen, hg. von Norbert Bolz und Willem van Reijen, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1996, p. 215-236 : "eine Galvanisierung, nämlich ein künstliches, technisch induziertes Zucken" (ibid. p. 230). La métamorphose de la grenouille en prince serait le "grand idéal" de Kluge : « /… : cela, je puis le raconter sous forme de conte, mais je ne puis l’exprimer de manière réaliste ». (A. Kluge, in : Gertrud Koch, "Die Funktion des Zerrwinkels in zertrümmernder Absicht Ein Gespräch zwischen Alexander Kluge und Gertrud Koch", in : Rainer Erd, Dietrich Hoβ e.a., (Hg), Kritische Theorie und Kultur, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1989, p. 106-124, ici p. 115.

[16J.W. Goethe, op. cit. (cf. n. 11), p. 189.

[17Hanns Hörbiger, Glazial-Kosmogonie. Eine neue Entwicklungsgeschichte des Weltalls und des Sonnensystems aufgrund der Erkenntnis eines kosmischen Neptunismus und eines ebenso universellen Plutonismus, 1913 ; cf Jost Hennand, Der alte Traum vom neuen Reich. Völkische Utopien und Nationalsozialismus, Frankfurt a.M. : Belz Athenäum, 1995, p. 90 s. ; GE 50-52.

[18Norbert Elias, Über den Prozeβ der Zivilisation. Soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, Bd. l, "Einleitung", p. XLVI ss.

[19Gottfried Benn, "Goethe und die Naturwissenschaften", in G.B., Gesammelte Werke, hg. von Dieter Wellershoff, Wiesbaden : Limes Verlag, 1968, Bd 3, p. 724-762, ici p. 759. Pour des « textes-cerveau » de Kluge, cf. par exemple UZ 13, 587-595. Sur le cerveau, cf. Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal, Paris : Fayard, 1983 ; Introduction aux sciences cognitives, sous la direction de Daniel Andler, Paris : Gallimard, 1992 ; Bernard Andrieu, Le Corps dispersé. Une histoire du corps au XXe siècle, Paris : L’Harmattan, 1993 ; Marc Peschanski, Le cerveau réparé ? Paris : Plon, 1989 ; Lucien Sfez, Critique de la communication, Paris : Éditions du Seuil, 1988, p. 260 ss. ; Marc Mézard et Gérard Toulouse, « Des verres de spin aux réseaux de neurones », La Recherche, n° 232, mai 1991 (La Science du désordre), p. 616-623. Sur le mouvement, cf. aussi Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard (Tel), 1976 (le éd. 1945), p. 114-172.

[20Émile Benveniste, « Expression indo-européenne de l’éternité », Bulletin de la Société de Linguistique, 38, 1937, p. 103-112, cit. par Ernesto Leibovich in "L"aiôn’ et le temps dans le fragment B 52 d’Héraclite", Alter n° 2, 1994 (Temporalité et affection), p. 87-118, ici p. 100 s.

[21G.W.F. Hegel, Phänomenologie des Geistes, Frankfurt a.M.-Berlin-Wien : Ullstein Verlag, 1970, p. 199.

[22Gilles Deleuze, L’Image-temps, op. cit. (cf. n. 1), p. 267 ; cf. aussi René Thom, Esquisse d’une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et Théorie des Catastrophes, Paris : Interéditions, 1988.

[23Georg Groddeck. Der Mensch ais Symbol. Unmaβgebliche Meinungen über Sprache und Kunst (1933), München : Kindler Verlag, 1973, p. 12-17.

[24Cf. Denis Guedj, « La fracture algébrique », Libération, 26 septembre 1995, p. 38.

[25MG 413-423 ("Das Überleben des Baron von Totleben’’) ; Hartmut Böhme : Hubert Fichte. Riten des Autors und Leben der Literatur, Stuttgart : Metzler Verlag, 1992, p. 132-142.

[26Cf. Rolf Günter Renner, Die postmoderne Konstellation. Theorie, Text und Kunst im Ausgang der Moderne, Freiburg i. Br. : Rombach Wissenschaft. 1988, p. 285.

[27Bernard Andrieu, op. cit (cf. n. 19), p. 398.

[28Marc Peschanski, op. cit. (cf. n. 19), p. 130.

[29Cf. Wolfgang Beilenhoff, "Licht-Bild-Gedächtnis", in : Gedächtniskunst. Raum-Bild-Schrirt. Studien zur Mnemotechnik, hg. von Anselm Haverkamp und Renate Lachmann, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1991, p. 444-473, ici p. 457.

[30Gilles Deleuze, op. cit. (cf. n. 1), p. 49.

[31Les Merveilles du corps humain, op. cit. (cf. D. 2), p. 177.

[32René Thom, op. cit. (cf. n. 22), p. 154.

[33Claude Bugeon, lettre de l’île d’Yeu du 18 novembre 1996.

[34Jacob Taubes, "Zur Konjunktur des Polytheismus", in : J.T., Vom Kult zur Kultur, Bausteine zu einer Kritik der historischen Vernunft. Aufsätze zur Religions-und Geistesgeschichte, hg. von Aleida und Jan Assmann e.a., München : Wilhelm Fink Verlag. 1996, p. 340-351, ici p. 348.

[35Sur « cas », "Fall", dans le « Théâtre de marionnettes », cf. Paul de Man, Allegorien des Lesens (trad. de la première partie de Allegories of Reading), trad. de l’américain par Werner Harnacher et Peter Krume, Frankfurt a.M. : Suhrkamp, 1988, p. 231 s. : "eine disjunktive Vielzahl von Bedeutungen".

[36Paul Valéry, « Réflexions simples sur le corps », in : P.V., « Variété. Études Philosophiques », Œuvres I, édition établie et annotée par Jean Hytier, Paris : Gallimard, 1957, p. 923-931, ici p. 924.

[37Paul Claudel, Un Poète regarde la croix, Paris : Gallimard, 1935, p. 58.

[38Sur le genou de La Patriote, cf. Anton Kaes, Deutsclandbilder. Die Wiederkebr der Geschichte als Film, München : ed. text + kritik, 1987, p. 50 s. ; Christoph Nickenig, Desastres de la guerra. Studien zum Bild des II. Weltkrieges im Roman, Frankfurt a.M.-Berlin -New York -Paris -Wien : Peter Lang Europäischer Verlag der Wissenschaften, 1996, p. 166 s.

[39Paul Valéry, « Réflexions simples sur le corps », texte cité (cf. n. 36) : « Le problème des trois corps », p. 926-931, ici p. 931.

Une première version de cet article a paru dans l’ouvrage collectif "Literalität und Körperlichkeit / Littéralité et corporalité", Directeur scientifique Günter Krause, Stauffenburg Verlag 1997.